Des yeux jaunes, fixes, qui se souvenaient. Des yeux de la couleur d'un astre qu'ils n'ont plus vu depuis si longtemps, éclats volés au soleil. Et de quoi se souvenait-elles, ces prunelles dorées ? D'une rencontre mes amis, entre deux êtres des ombres.
C'était une autre nuit, il y a un certain moment. On pouvait le dire ainsi si on regardait les événements passés dans les environs depuis. Mais comme nous vous l'avons déjà dit, ma bête et moi, pour nous autres chasseurs l'éternité n'est pas assez longue encore ; Les sentiers nous menant à la gloire et à la puissance ne sont pas à la portée de Cronos.
Alors même si en toute bonne fois je voulais vous répondre, je ne le pourrais. À quoi bon encore mesurer le temps, l'écoulement des jours qui ne sont plus que des nuits. À quoi bon essayer de me souvenir de la dernière fois que j'ai rencontré le traqueur. La dernière fois que croisé Suiton Shinreï.
Le lieu était le même, inchangé, lugubre. Les arbres, les étoiles et les esprits qui surplombaient le cimetière étaient les mêmes. Le brouillard rendait le paysage encore plus terne, occultant même certaines tombes en les enveloppant d'un cotonneux voile. Cependant, la caïnite avait reconnu son visiteur dès que ses yeux s'étaient posés sur lui. Elle s'était d'abord rapprochée silencieusement sous le couvert des gouttelettes en suspension, éphémère ralentissement.
Gardienne du cimetière d'elament, son titre. Alors elle gardait. Au début intriguée par des gémissement du portail, traces sonores d'une personne défiant impunément la lourde chaîne qu'elle avait posée cette nuit, elle avait quitté la maisonnée. Elle avait quitté la souhaitée tranquillité alors qu'elle voulait une fois de plus goûter de cette macabre atmosphère et s'en imprégner. Le recueillement semblait fuir la damnée car en s'approchant il fut manifeste que la brume lui avait apporté le drow. Il n'était donc plus question de coucher tranquillement quelques mots sur papier depuis son grand fauteuil.
Ha, Shinreï. Ce nom était emprunt d'un intêret non feint. Après la déception que lui avait apporté ici ses semblables, peut-être trouverait-elle un accord avec ce rejeton des ténèbres. Quelles nouvelles apportait-il ? La rose noire en était bien curieuse mais se décida à se laisser découvrir. Cela viendrait bien assez tôt.
Il se promenait entre les pierres aux suppliques, donnant à chacune une attention dont certaines n'avaient pas l'habitude. En cherchait-il une en particulier ? Lisait-il au hasard ? Ou bien ne laissait-il pas ses yeux déambuler sur ce funeste spectacle alors que son esprit vagabondait ?
Il en frôlait certaines, évitait d'autres, doigts dirigé par maître Hasard, ce marionnettiste de talent.
Et puis, enfin, il sembla remarquer une présence. Quenthel se figea, statue tombale aux yeux incandescents. Immobile, attendant qu'il vienne vers elle.
Te souviens-tu, elfe, ce défi lancé ?