Gardien de la cité, voila le poste qu’occupe désormais Mavado, et c’est la raison qui l’avait poussé à venir à Elament. Il avait fait un long voyage dans ce but et maintenant c’était chose faite; seulement il était arrivé après la tempête. La guerre contre les démons s’est terminée avant qu’il n’arrive, et il n’avait eu à mener aucun combat.
Il passait donc son temps à se promener dans la ville pour tenter de s’y retrouver et pour se faire des points de repères, mais aussi pour y rencontrer les habitants. Il s’était déjà lié d’amitié avec quelques uns d’entre eux, uniquement des femmes, mais ce n’était qu’un hasard.

Aujourd’hui il n’avait rien de prévu et avait décidé se s’aventurer en dehors de la ville, d’aller là où le conduiraient ses pas…et ses pas le conduisirent en plein dans les Monts Décharnés…
Cela faisait un moment déjà qu’il n’entendait plus aucun signe de vie, à part les croassements lugubres de corbeaux. Sous ses pieds point d’herbe mais un sol sec et poussiéreux. Malgré le froid qui régnait sur la région en cette période, le sol restait tiède. Il s’était pris des cendres dans l’œil, ce qui l’avait poussé à continuer sa route les yeux fermés. De toute façon, ouverts ou fermées, cela ne faisait aucune différence pour lui, et il continua à s’avancer dans cet endroit désolé.
En marchant il se rappela ce qu’on lui avait dit sur cet endroit.

* « Les Monts décharnés, ancien paysage fertile ravagé par un énorme incendie, et resté tel quel depuis. » Aucun doute possible, je suis bien dans ces monts.*

Même aveugle, l’elfe avait reconnu ce lieu sans difficulté.

*Aucune magie ne peut faire reverdir l’endroit, à ce qu’on m’a dit. Quelle tristesse…*

Amoureux de la faune et de la flore, Mavado ne supportait pas cette idée. Le fait qu’un paysage reste à jamais vierge de toute vie était pour lui inconcevable.

*…mais je veux en avoir le cœur net!*

Il se dirigea vers le sommet d’une petite colline proche, sur laquelle il n’y avait aucun arbre, enfin aucun arbre mort. Arrivé au sommet, il s’assit en croisant les jambes, et se concentra.
L’intensité du vent sembla légèrement s’accroître à ce moment là, un vent d’air froid transportant des cendres tièdes.
D’un coup, Mavado posa sa main droite sur le sol, et utilisa sur pouvoir Terra pour faire pousser une fleur. Il se rendit très vite compte que la manœuvre était bien plus délicate qu’à l’ordinaire, et il du attendre quelques secondes avant que la fleur ne sorte du sol, sous le visage joyeux de l’elfe. Son visage redevint plus bougon juste après lorsque la magnifique fleur prit feu.

*Cela serait donc vrai?*

Mavado ne se découragea pas et se leva, toujours les yeux fermés comme depuis son arrivée dans les Monts décharnés, et il se reconcentra. Il mit une main dans son dos et leva l’autre vers le ciel. Il prit l’inspiration la plus lente et la plus profonde qu’il put, avant de tout expirer d’un coup tout en s’accroupissant et en posant le plus vite possible la main qu’il avait levé au ciel, sur le sol.
Sur une vingtaine de mètres autour de lui, des centaines de fleurs jaillirent du sol instantanément, faisant ressembler cette colline à une des plus sublime des Collines Devëlites, pendant moins d’une seconde…
Les fleurs prirent toutes feu et créèrent un brasier autour de l’elfe, sous l'envol et le croassement des corbeaux qui se trouvaient aux alentours. Les flammes l’entourèrent et arrivèrent très vite jusqu’à lui, ne lui laissant pas le temps de se mettre à l'abris derrière un bouclier de terre ou de pierre. Il se protégea le visage mais sa veste pris feu. Il la retira instinctivement et la jeta au sol, ce qui s’avéra être une mauvaise idée car une fois au sol elle finit de se consumer d’un coup, laissant à sa place quelques cendres chaudes de plus.

De la magnifique colline fleurie il ne restait plus qu’un nuage d'épaisse fumée noire au dessus de l’elfe, qui semblait dépité.

Dans le silence pesant des Monts Décharnés, quelques croassements de corbeau. Seul bémol, seule petite touche désagréable dans un océan de magnificence. Le sol était dur, terriblement dur, sec, poussiéreux, il y avait des arbres morts, noirs, un peu partout en bas de la colline, le ciel était gris, l'atmosphère lourde… Tout aurait pu être parfait, mais non, il y avait ces saletés de corbacs pour péter l'ambiance et empêcher les gens de faire un break peinard.

Et l'un de ces gens c'était Tranlthanas, là dans un coin, couché sur le flanc gauche, les bras tendus devant lui dans une position s’apparentant à celle d’un félin mollement alangui, dans une attitude tranquille et royale. Chez l’elfe, ça n'avait pas aussi fière allure, mais il dormait bien comme ça. Ainsi posé, il aurait pu paraître mort si son corps ne se soulevait pas régulièrement au rythme de sa respiration.

Il y a des riches qui dorment dans des lits magnifiques et confortables. Il y a des moins riches qui essayent de les imiter. Il y a des pauvres qui dorment dans la paille au milieu des vaches et des porcs. Et il y a des inclassables qui préfèrent ronquer dehors, par terre. Selon le cas, ce sont soit des aventuriers, soit des fous, soit des cons. Comme le premier terme est un peu trop pompeux pour Tranlthanas et que les deux autres ne sont pas très flatteurs, disons de lui qu'il est un amoureux de la solitude et de la nature.

Nature ?…

Ca aussi c'est un peu fort comme terme pour désigner ce qui composait les Monts Décharnés… Passons.

D'un coup d'œil, l'elfe balaya la zone, profitant de sa position surélevée sur un rocher pour couvrir une distance plus large et d'un moment de tranquillité entre deux rafales de vent qui envoyaient de la poussière dans les yeux. Il vit arriver, de loin, une silhouette masculine. Allons bon. Ne faisons pas de vagues, il va sans doute passer sans faire gaffe. Et même s'il fait gaffe, il fermera sa bouche bien comme il faut. Si si.

L'homme se rapprocha à pas tranquilles, et, arrivé non loin du rocher où Tranlthanas était perché, il s'assit en tailleur sur le sol, posa la main à terre. Lentement, une fleur apparut. Mais qu'est-ce qu'il maquille, celui-là, avec son pouvoir ? Mais qu'est-ce qu…

Sans surprise, le Sabrone vit la fleur se consumer. Il se redressa et se contenta d'hausser un sourcil, considérant le nouveau venu comme un paumé notoire qui cherchait à faire des miracles avec son pouvoir là où toute magie susceptible de rendre vie à l'endroit s'avérait parfaitement inutile. Et c'était pas faute d'avoir mis les gens au courant dans la Cité. Bah, il y en avait toujours pour tenter le coup, sait-on jamais, si un Elu posait le pied par là…

Stop ! Pause.
Il recommençait. Il voulait vraiment cramer avec ses fleurs, celui-là.

A sa première visite ici, Tranlthanas avait vu une fleur. Une unique fleur. Une jeune fille avait alors fait remarquer avec allégresse que la nature tentait de reprendre ses droits. Tentait : à peine s'était-elle détournée que la fleur avait disparu discrètement, dans un léger nuage de cendres. L'elfe avait préféré ne pas le lui dire, histoire de ne pas casser sa joie…

Un soupir échappa au Sabrone lorsqu'il vit le second essai de l'inconnu s'envoler encore une fois en fumée, après avoir pris soin d'enflammer sa veste… Il ricana sous cape en voyant l'autre s'escrimer avec le feu, dépité par un nouvel échec.

Et là… Hey, surprise-party, c'est la fête, encore quelqu'un qui se ramène. Une jeune femme cette fois. Si elle veut aussi tenter de faire pousser une rangée de tulipes, on va pouvoir faire un barbecue en moins de trois minutes.

Mais non, elle n'essaye pas. Peut-être n'a-t-elle pas le pouvoir pour. Ou peut-être qu'elle est un peu plus avertie et perspicace que l'autre… Par contre elle parle. Sa seule voix, claire, qui résonne sous le ciel. Tranlthanas écoute. Et se met à applaudir les derniers mots.

-J'admets, concéda-t-il sur un ton faussement admiratif. C'était bien essayé.