Cinq heures de l'après-midi. Il avait finalement trouvé la Forge, après une errance d'environ deux heures dans les ruelles d'Elament. Pourtant, vu la taille du bâtiment, il aurait dû le voir depuis longtemps. Il poussa la grande porte, laissant la pluie tremper l'entrée.
Il referma silencieusement derrière lui, essora ses cheveux et les rejeta. Puis finit par regarder l'endroit.

Les armes s'étalèrent sous ses yeux, il les jugea de bonne qualité. Il y avait donc dans cette Cité un bon Forgeron.
Il fouilla alors dans les caisses de dagues, rangées selon leurs effets. Il repéra les dagues de lancer et se saisit d'une vingtaine d'entre elles.

Il regarda autour de lui. Pas de tenancier. Et il en avait assez d'attendre. Mais comme il lui fallait aussi un fourreau...
Il s'approcha du comptoir, et repéra la porte de l'arrière-boutique entrouverte. Il cogna sur le bois, plusieurs fois de suite, et entendit un grand ramdam dans la pièce d'a côté. Il avait certainement dû surprendre le marchand...
Et pourtant il ne vint pas. Il frappa à nouveau et entendit râler. Une silhouette se profila au fond de l'arrière-boutique, se dirigeant vers la pièce principale. Sans être arrivée, la voix du marchand s'éleva.

-C'est pas bientôt fini? Pouvez pas patienter une p'tite seconde, hein? J'ai des trucs à faire aussi!

Kyo claqua la langue d'un air agacé. En plus c'était une voix féminine. En espèrant qu'elle connaisse son boulot...
Lorsqu'il vit la Gérante arriver, il toussa jusqu'a s'en étouffer et cracha pour réussir à reprendre son souffle. Lorsqu'il se redressa, Khori s'était cachée derrière le comptoir.

-Il va p'têt pas me voir...
-Toujours aussi discrète.

Il la vit se redresser brusquement, se cogner le pied contre une bordure et rattraper son képi qui se faisait la malle.
Au bout de dix ans, il revoyait sa seule et unique élève, qui avait bien grandi. Mais qui semblait ne pas avoir changé, et, en même temps, avait terriblement changé.
Avec ses cheveux toujours trop longs, toujours détachés, et cet air nonchalant et moqueur.
Elle ne faisait désormais qu'une quinzaine de centimètres de moins que lui, et son visage avait cet air unique qu'elle avait toujours eu. Mais en beaucoup plus adulte.
Il avait quitté une gamine, et retrouvait une grand Elfe.

-Il me faut un fourreau, fut sa seule parole.

C'était la fin de l'après-midi, Khori rangeait les armes que Tina venait d'envoyer dans l'arrière-boutique en sifflotant. Elle entendit l'immense porte grincer sur ses gonds, puis se refermer. C'était un Elfe, elle le sentait, mais l'aura ne lui était pas inconnue. Sûrement quelqu'un qu'elle avait déjà rencontré en courant dans les ruelles...

Elle ne se présenta pas au comptoir. Il saurait bien se débrouiller, non? Vu comment elle avait arrangé l'endroit, chaque arme était visible très facilement!
Elle lança trois épées dans un tonneau, quelques sabres dans un autre, et arrangea le tout contre les murs.
Elle avait les bras chargés de dagues et de shurikens lorsqu'elle sursauta sous l'entente de quelques coups sourds, qu'elle devina frappés sur le comptoir. Tout ce qu'elle avait dans les bras rejoignit le sol dans un grand bruit de métal entrechoqué.
Elle ragea et ramassa tranquillement le tout. Il l'avait deconcentrée, le client attendrait!
Non mais, on avait pas idée. Elle avait dû faire une arabesque arrière pour éviter de se faire transpercer le pied par une dague.
Elle n'avait pas de chaussures en fer! Elle finit son rangement, et lâcha un sifflement agâcé en entendant une seconde salve de coups sur son précieux comptoir en ébène. Elle jeta les dagues dans une boîte, les shurikens dans une autre et rejoint en râlant la salle de vente.

Et s'étouffa en voyant le client. Toussant, à moitié morte asphyxiée, elle rattrapa son képi qui allait tomber sur le sol couvert de sciure. Et se redressa.
Elle le regarda en même temps qu'il la détaillait. Pourquoi le trouvait-elle encore plus sombre qu'avant? Ses yeux n'avaient quasiment plus aucune lueur...

-Senseï est encore plus sombre qu'avant. Qu'est-ce qui t'est arrivé?
-Il me faut un fourreau.
-Tricheur. Taille habituelle?

La question n'attendait pas de réponse. Elle disparut dans l'arrière-boutique et fouilla partout. Elle en retrouva un, rangé dans un coffre.
Elle repparut dans la grande salle, et chercha un chiffon dans son comptoir pour nettoyer le fourreau. Assise en tailleur sur le bois, elle astiquait pour enlever la poussière, et rouvrit un tiroir. Elle attrapa une dragonne, et l'installa sur le fourreau. Puis le lui lança.

-Ca fera 40 Elamentias. Si tu me racontes comment t'es arrivé ici, réduction de 20 Elamentias. Et comme je sais que t'as pas de fric, tu vas forcément accepter!

Elle afficha un méchant sourire carnassier, et des dollars à la place des yeux.

Encore plus sombre? Etait-ce possible? Apparemment, puisqu'elle le disait.
Et après ? Qu'est-ce que ça pouvait bien changer ? C'atait son problème.
Elle, elle avait bien l'air encore plus bruyante et sans-gêne ! Et ce n'était pas pour faute d'avoir essayé de lui inculquer les bonnes manières. Mais il semblait impossible de faire de Khori une Elfe féminine, polie, et discrète.

Et cela se voyait ! Elle marchait à grands pas bruts, sans chercher à adopter une démarche de femme, et ses cheveux volaient dans tous les sens, malgré le couvre-chef très large coincé sur ses cheveux, où dansaient des petites tresses battant ses tempes au rythme de ses pas.
Sans parler de sa tenue, qui lui paraissait d'un laissez-allez monstrueux. Large, blanc, rouge, et informe. Il nota cependant la forme du haut, plus moulant que le bas. Et les inséparables mitaines de cuir. Lorsqu'elle s'assit sur le comptoir, il retrouva en elle la plus vieille habitude qu'il lui connaisse, ne pas s'asseoir sur les chaises. Elle avait apparemment un problème avec ce qui était les sièges, elle n'était jamais dessus.
Et vit briller sur son cou la dague de Cristal. Ce qui lui fit étonnamment plaisir.
Il soupira, blasé, et posa son coude sur le comptoir, la tête appuyé sur deux doigts. Il paraissait complétement consterné par l'apparence de sa disciple.
Mais la retrouver dans une Forge ne l'étonnait qu'à moitié. Après tout, son domaine restait les armes.
Et puis elle maîtrisait très bien. La précision de ses mouvements était plaisante à voir pour le vagabond, qui suivait des yeux les gestes vifs de la jeune fille. En deux temps trois mouvements, elle avait depoussieré le fourreau, dont elle connaissait parfaitement la taille, attaché la dragonne, et le lui avait lancé. Et là, instant fatidique.

Il aurait du s'en douter. Jamais elle ne lui aurait fait crédit, Khori aimait bien trop l'argent pour cela. Même à lui.

-Avare.

Il saisit le fourreau. Vingt, il avait. Pas quarante. Et la necessité de ce fourreau était urgente. Très urgente.
Il réfléchit. Il n'aimait pas parler, mais apparemment, Khori avait toujours cet horrible esprit de magouille qui lui déplaisait tant. Il grogna. Elle restait assise à le fixer avec un immense sourire. Il n'eut d'autre choix que de céder.

-Ce qui m'est arrivé? A la verité, pas grand chose, et pourtant, j'ai l'impression d'avoir vécu ces dix années comme une vingtaine. Quand tu es partie, je me sentais tranquille, tu n'imagines pas à quel point. Si tu m'interromps, je m'en vais.
Donc. J'étais tranquille, mais je m'ennuyais. Alors j'ai decidé d'aller apprendre, lire, avaler des connaissances. Comme toujours, en l'occurence. J'ai tellement lu que j'ai eu l'impression que ma tête allait exploser sous la masse d'informations que j'ai ingurgitè. Après ce petit passage joyeux, j'ai recommencé. Jusqu'à ce que, là où j'étais, il n'y ait plus rien qui subsiste pour que j'ai de nouvelles choses à étudier. Alors, au bout d'environ troix ans, j'ai pris la route. A chaque rencontre, mauvaise ou bénéfique, je trouvais quelque chose de nouveau. J'ai vu des situations invraisembables, des choses incroyables, que tu ne peux même pas imaginer. Je te raconterais cela en détail un autre jour, sinon tu vas, telle que je te connais, t'endormir assise sur ton comptoir. Pendant approxivatemment quatre ans, j'ai parcouru les terres, combattu tout ce qui s'opposait à moi, et emmagasiné encore de nouveaux apprentissages. En plus des connaissances intellectuelles, ma technique de combat s'est affinée, developpée, me dévoilant les méandres non-explorès de ma technique. Alors j'ai également travaillé, pour parfaire, et tout connaître.
Et plus j'en apprenais, plus je me rendais compte du chemin qu'il me restait à parcourir. Et plus j'en voulais. Alors je continuais. Il y a deux ans et demi, je me suis rapproché d'Elament. Etant sorti d'ici juste après mes études, j'ai encore beaucoup de choses à voir ici. Et également tes progrès. Mais d'abord, je dois faire refaire mon arme. Et ce n'est certainement pas toi qui t'en occupe."

Il s'arrêta dans son monologue. Il attendait la réaction de son élève, qui l'avait ecouté bien sagement du début à la fin. Il avait bien remarqué la lueur de fierté qui s'alluma dans ses yeux lorsqu'il parla de "progrés". Il sentait bien qu'elle avait travaillé. Enormément, même.