A présent le disque d'or aparaissait dans toute sa gloire, flamboyant au milieu d'un hymne de lumière. Les flèches d'or du matin traversaient l'air et l'inondaient, dissippant les maléfices de la nuit dans un océan de clarté. Te souviens-tu de cette impression, parfois, en sortant de ta tente de camping pour voir le soleil se lever sur la mer, de sentir cet immense flot de lumière inonder ton coeur jusque dans ses moindres recoins? Cette vague puissante portant avec lui à la fois l'envie de chanter et celle de pleurer, non pas de peine mais de joie? C'était elle qui refluait à présent sur le pays. Le dieu solaire était ressuscité une fois encore, pour porter jusqu'à la dernière parcelle de l'air d'Elament, le cantique de l'aube et le matin du monde.
Pourtant, rares étaient ceux qui étaient debout pour l'admirer. En bas dans la Cité, on distinguait un reflet métallique sur l'épée imposante de l'un des Gardiens de la Cité qui faisait sa ronde. Dans l'air une petite fée passa, ses ailes étincelantes renvoyant des reflets de perle. Ici et là, dans la Cité, on pouvait apercevoir les flamboiements intense de quelques matinaux qui s'entraînaient à la magie. Mais aucun n'était arrêté comme deux êtres, dans une pièce à flanc de mur, à mi-hauteur de la grande tour de l'Ecole. Car eux étaient là sans occupation, recueillis, n'étant distraits par rien, car toute leur âme regardait vers l'horizon.
Soudain, dans un tintement de cristal, les grandes ailes transparentes de l'ange se déployèrent dans l'air. Sonores, elles frémirent comme deux voiles de navire, impatientes de reprendre à nouveau le chemin des vents. Reprendre cette navigation, cette errance où le coeur ne se fatigue plus à penser, laissant la couleur bleue du ciel panser toutes les blessures et répondre à toutes les quetions. Un Appel auquel aucun Trône ne pouvait complètement échapper, surtout pas s'il était un Aera, sous peine de dépérir. Dans le coeur d'Archael, cet appel avait toujours été la plus puissante des forces. C'était cet amour du ciel qui l'avait retenu de sombrer dans la folie, jadis. Cette communion avec les grands seigneurs de l'air, au point de surpasser toute autre chose. Pourtant, un instant, Archael détourna ses yeux du ciel pour sourire à Tullia.
"Remercie aussi cette nuit, elle t'a enseigné plus de choses que je n'aurais pu le faire..."
Lorsqu'il releva la tête, le saphir du ciel se refléta dans ses yeux de lapis-lazuli. C'était un bleu unique au monde, ce ciel, une couleur fraîche et comme fraîchement lavée, la couleur du monde quand il était encore jeune, avant que la Souillure ne vienne de l'extérieur. La couleur des yeux de l'archange du réveil, celle des premiers bleuets un jour de printemps, celle de la mer sous le soleil d'été... il rassemblait et sublimait toutes ses nuances pour en faire une couleur qu'un dieu artiste lui-même ne saurait reproduire.
L'Appel résonnait encore, irrésistible. Il devait partir à présent, quitter pour quelques instants cette enveloppe corporelle et la laisser devenir un avec cette clarté, après la longue nuit sombre. Etancher cette soif en changeant son corps en lumière pour s'affranchir enfin, le temps d'un sortilège, du fardeau d'un corps à traîner. Lentement, la magie de l'air grandit le long de ses ailes, nimbant tout son corps d'un pâle halo de prisme. Une dernière fois, l'enfant céleste se tourna vers Tùllia.
"Le ciel m'appelle à présent..." fit-il tandis que son corps commençait déjà à devenir transparent. "Je dois aller."
Pas de salutation, pas d'encouragement ou de conseils à présent, et c'était la plus belle preuve d'estime pour la jeune fille. Mais en adieu, le sourire de l'ange fut la dernière chose qui resta au milieu de l'air, même après que la couleur de ses yeux se soit fondue avec celle du ciel. Lorsqu'il disparut enfin, Archael était parti...