une rencontre insolite (PV Iblîs)

Mar 20 Mar 2007 - 23:23

Tel un papillon de nuit, Breïna ne se sentait libre et sereine que lorsque la lune brillait haut dans le ciel noir, perlé de ces petites étoiles, comme des lucioles dans les broussailles ou un jeu de couleur sur la toile d'un maître. Inexplicablement, la phase nocturne de la journée l'attirait inexorablement hors de la cité. Bien qu'étant un lieu de protection, c'était aussi un endroit de confinement. Elle ne pouvait admirer les paysages, les murailles faisaient barrière et coupaient l'horizon qui se dessinait sous ses yeux dorés. Mais hors de tout ça... elle se retrouvait, elle, la fée sauvage, l'indomptable, celle qui ne souhaitait appartenir à personne, n'être dépendante de qui que se soit.

Ce soir là, elle s'était munie de son célèbre attirail de chasse, bien qu'elle n'avait pas spécialement l'intention de s'y livrer. Allez savoir, peut-être allait-être avoir l'occasion de s'en servir? Les animaux imprudents, il y en a souvent...

Ses pas la guidèrent droit vers la forêt darke, et bien entendu, la jeune femme aimait à s'enfoncer au coeur de celle-ci, loin de la foule, des regards indiscrets mis à part les chouettes. Nonchanalement, elle déambulait, une légère brise soufflant dans ses voiles, ses cheveux noirs ondulants, le cuir de ses cuissardes de frottant l'une contre l'autre... le silence... mis à part Breïna. Cependant la nature ne prêta pas attention à l'intruse, comme si elle la considérait comme amicale, comme si elle faisait partie du décor.

La fée était née dans une forêt similaire, son sang aurait très bien pu être de la sève, comme ces arbres qu'elle aimait effleurer de ses frêles doigts blancs, sentir l'écorce brute. Humer cet air boisée lui redonnait une énergie folle. C'était une sensation suréaliste.

Sur son chemin, un grand chêne s'imposa à elle, solitaire, majestueux, tel un roi parmis ses sujets. Un sourire illumina le visage de la fée.

_ Et bien... on dirait bien que j'ai trouvé un endroit pour méditer un peu...

La jeune femme s'avança vers le grand arbre, et commença avec aisance à grimper, tel un chat pour finalement se percher sur une énorme branche. Elle prit alors place, adossé au tronc, une jambe dans le vide, l'autre à demi-pliée... Sa tête penchée en arrière, ses yeux se rivèrent vers la lune...

Soudainement, l'expression lassive de la fée se transforma. Ses yeux se plièrent.

_ Qu'est-ce que???? Un halo rouge sang autour de la lune.... voilà un mauvais présage.... que... haaaaaaa....

Une vive douleur prit possession alors de son bras. Une alerte? Le mal revanait??? Celui-ci commençait à s'approcher de plus en plus... les douleurs intervenaient de plus en plus souvent.... et elle n'avait encore pas de nouvelles d'Erkios et de sa façon formule pour sceller son mal.

Non.... ce n'était pas les furies qui agissaient encore... autre chose... de noir, sombre, vicieux, sournois... le mal au sens propre. La fée en eut de légers frissons....

Ses yeux dorés brillèrent sous les feuillages de son chênes, toujours perchées, une main sur son bras. Quelque chose approchait... quelque chose ou quelq'un....

Mer 21 Mar 2007 - 22:50

Ce soir, haut dans le ciel, la Lune est rouge sang.

Le manteau de la nuit nuit porte toujours la même obscurité sur le monde ... mais il existe bien des nuits différentes. Certaines sont paisibles et silencieuses, quand le monde tout entier s'abandonne au sommeil. D'autres sont noires et chaudes, emplies de halètements et d'étreintes, pour l'amour ou la bataille. Il y a aussi ces nuits claires, sous le disque d'argent de la pleine lune, quand les fées dansent dans les bois et qu'une magie douce imbibe chaque atome de l'air. Des nuits glaciales, sur l'hiver au sommet des montagnes, où les froides étoiles scintillent comme des diamants. Et tant d'autres... des nuits de chasse, de paix, de magie, de travail...

Et puis, il y en a certaines qui sont mauvaises. Les nuits de la Lune Noire, et les nuits de la Lune Rouge. Elles ne sont pas régulières. Mais parfois, à la pleine lune où à la nouvelle lune, sans prévenir, il semble que le Mal se réveille soudain. Peu-être les yeux de l'Enfer s'ouvrent-ils, quelque part... Alors le monde se peuple d'ombres et de sorcellerie, et le doux vent devient sinistre, peuplé de chuchotements. Parfois, les lunes mauvaises ne durent que quelques minutes, parfois, c'est jusqu'au matin qu'elles durent. C'est l'heure des ténèbres, celle où les pouvoirs maléfiques sont à leur apogée. Il ne fait pas bon se perdre au coeur de ces sabbats, car alors la nuit est pleine de présences étranges et malveillantes. Cette heure aurait pu être tranquille et poétique...

Mais ce soir, haut dans le ciel, la Lune est rouge sang.

Oui, quelque chose approche... C'est arrivé sans prévenir. Soudain, l'obscurité n'est plus douce. Elle devient froide, inquiétante, emplie d'une force qui étreint le coeur. Si vous fermiez les yeux, vous pourriez presque sentir l'Ombre vous frôler. C'est une sorte de frôlement aveugle, une mélopée silencieuse qui émane des profondeurs du monde. Le silence lui-même a changé. Les Ténèbres ne chantent pas, elles ne rugissent pas non plus. Mais elles sont là, oppressantes seulement par leur présence. Sentez-vous leur regard aveugle vous écraser, comme si vous étiez nu sous les yeux d'une foule? Les Ténèbres, les Ombres, le Noir. Elles sont ici. Il est ici.

Et ce soir, haut dans le ciel, la Lune est rouge sang.

Le Sombre est là. On pourrait le prendre pour un rocher, quelque part entre les arbres. C'est une forme verticale, comme une pierre dressée. Seulement, cette forme avance, lentement. Quand elle parvient au milieu des rayons de lune, elle prend forme et consistance. Il s'agit d'une silhouette enveloppée d'une cape à capuchon. Marche-t-elle, ou glisse-t-elle silencieusement sur le sol? Quoi qu'il en soit, elle avance droit devant elle, venue des profondeurs de la forêt Darke - et cette nuit entre toutes, cette forêt porte bien son nom.

A son approche, les quelques fleurs qui survivent dans la Forêt se flétrissent et meurent. C'est autour d'elle que la nuit est la plus sombre, que le vent est le plus froid. Ce n'est pas un vampire, c'est quelque chose de plus froid, de plus sombre. En la touchant, même la lumière de la lune semble disparaître, dévorée. Lentement, la silhouette avance. Elle passe non loin du grand arbre, sans lever la tête. La voilà qui le dépasse, escortée de son cortège de Ténèbres. Elle n'a même pas regardé dans les feuillages, à croire qu'elle n'a pas remarqué la présence d'une fée aux yeux d'ambre...

Va-t-elle disparaître ainsi? Non. La voilà qui s'arrête. Elle se retourne, et se tourne vers les branches. Sous le rebord du capuchon, seul le bas du visage est visible. L'homme d'ombre ne dit rien. Il ne bouge pas. Il regarde juste, silencieusement. Comme un fantôme.

L'homme? Non, ce n'est pas un homme non plus. On croirait un spectre sorti du passé. Ou juste l'incarnation de cette nuit de maléfices. Tout semble possible cette nuit.

Car ce soir, haut dans le ciel, la Lune est rouge sang.

Jeu 22 Mar 2007 - 12:22

Le temps semblait se figer, l'air se faisait plus lourd, empoissoné par une essence sans nom... Comme un oiseau nocturne, la fée était perchée, l'ouïe à l'affût, le regard sévère, observant, regardant ce qui l'entourait sans rien dicerner. Certes ses yeux ne voyaient rien, mais il y avait quelque chose.

Sous le corps pâle et frêle de Breïna, la jeune femme sentait le chêne frémir, la nature aussi sentait le mal, la forêt le sentait dans toute son immensité, dans toute sa majesté. Et pour que cette antique endroit de paix, de mystère se mettent ainsi en alerte, rien n'était à négliger. Un danger qui ne portait encore de nom approchait.

Le poul de la fée lui même commençait à s'emballer, ses poumons, son coeur étaient oppressés dans sa poitrine. La douleur à son bras faisait de plus en plus mal, piquant, envahissant sans pour autant se manifester comme à son habitude. Cela en était déconcertant. Son esprit commençait à se troubler...

" C'est.... c'est.... terrifiant... temps de mal.... pourquoi cela m'opresse-t-il autant? "

La respiration de Breïna qui avait déjà relativement ralenti, ce mit à se faire de plus en plus grave, comme si l'air n'était plus. Pendant un instant, elle se crut défaillir, un mur blanc commençait à se dessiner devant ses yeux comme un voile. Mais étant de nature résitante, bien plus que le prêter sa constitution physique, la fée tenut bon.

Son regard doré se rivèrent furtivement sur la lune. Le halos lui semblait tellement plus sanglant alors. L'astre semblait blesser, comme si elle saignait, poignarder par cette magie noire, cette force obscure aussi taillante qu'une lame de rasoir.

Et c'est qu'elle vit.... Breïna vit l'incarnation de ce mal. Une silhouette étrange, encpuchonnée, grande et mince, l'obscur tounoyant autour de cet être si cela en était vraiment un. Avant de véritablement lever les yeux sur lui, elle regarda le chemin qu'il s'était fait avant de se retrouvait sous ce chêne. Ses pas, ses traînées... tout n'était que mort, dessèchement... la vie de la nature avait été aspiré sur son passage.

Les yeux de la fée s'écarquillèrent de surprise quand elle vit ce démon se tourner vers elle. Etait-ce un hasard? Rien n'était dû au hasard avec de tel être.... Le mal, un fantôme....

Sans trop savoir pourquoi, intriguée sans doute, la fée descendit pour se tenir face à face avec cette personne, se laissant glisser sur l'écorse rugueuse de ce grand chêne. Peut-être le sentait-elle trop fragile fasse lui? Un arbre aussi imposant prêt à céder? Il ne fallait jamais se fier aux apparences.

La jeune femme le regardait, peut-être pas ses yeux car elle ne pouvait alors les dicerner dans l'ombre de sa capuche. Aucun mot ne sortit, le silence pesant et oppressant s'installait.... la lune semblait saignait de plus en plus....

Ven 23 Mar 2007 - 17:49

Une silhouette agile descend de l'arbre, s'immobilise au sol.

Le vent s'est tu, soudain. Un calme de mort est tombé sur la forêt. Les serpents de ténèbres ont stoppé leur avance invisible. Tout s'est figé, silencieux, quand l'homme noir s'est immobilisé. Etrangement, il ne relève même pas son capuchon, qui pourtant doit limiter son angle de visée à un mètre à peine. De cet angle étroit, il est impossible qu'il puisse regarder la fée.

Mais peut-être n'en a-t-il pas besoin. Soudain, l'espace s'est assombri encore, au point de gober presque toute la lumière présente. La forêt toute entière est imprégnée de malice, à croire que l'air même est devenu un être vivant. On croirait presque qu'un millier d'yeux rouges viennent de s'ouvrir, dans chaque coin d'ombre, et dardent un regard de feu sur l'intruse. Tous ceux qui ont cette chose qu'on nomme l'instinct, sauraient instantanément que cette zone est devenue l'une des plus dangereuses au monde. Leur signal d'alarme subconscient tinterait follement, car de chaque atome de noir, un fauve semble aux aguets. L'Ombre tout entière examine l'être vivant. Comme le font les grands félins qui n'ont jamais rencontré l'homme, et qui hésitent entre l'agressivité et l'indifférence. Un interminable instant s'écoule, aussi pesant qu'un monde.

Puis, peu à peu, les tentacules invisibles se rétractent, comme à regret. Le Présence écrasante relâche son attention. Pour une raison ou pour une autre, cet être au sang chaud n'a pas catalogué comme un ennemi. Ce soir, les Ténèbres ne sont pas en chasse ...

"..."

La silhouette bouge enfin. Elle lève un bras, ramène lentement le capuchon en arrière. Et à mesure que l'étoffe glisse, tout s'apaise. La tension disparaît petit à petit, et lentement se desserre la main de glace qui étreint le coeur. Les nappes d'ombre s'évaporent, comme si elles quittaient ce monde pour retourner dans le leur. La lumière de la lune reste sanglante, mais se fait plus brillante tandis que s'éloigne la peur froide. La nuit redevient paisible, et quand le capuchon glisse enfin, il ne dévoile plus qu'un homme...

Teint de cire, paupières closes, traits fins, ce visage a quelque chose d'une statue ... ces statues des anciens rois. Leur régularité, leur majesté, mais aussi leur froideur de pierre, leur dureté et la vie qui leur manque. Une longue chevelure plus noire que le jais, pendant dans le dos, encadre ce visage trop parfait pour être humain.

L'homme noir hoche la tête et s'approche lentement. Et avec le naturel le plus parfait, il vient s'asseoir au pied du tronc, à un mètre à peine de la jeune femme.

Ven 23 Mar 2007 - 20:18

Sans trop s'en rendre comtpe, la fée commençait à se questionner. Elle n'était pas femme à croire aux destins ou autres forces divines, mais elle croisait un grand nombre de forces démoniaques ces temps-ci. Etait-ce un pur hasard? Etait-ce une sorte d'instinct inconscient qui guidait ces pas? A cause du mal qui la rongeait de par son bras? Mais tout de suite, c'était cette personne qui l'inquiétait...

Pendant de bresf instants qui semblaient pourtant durer une éternité, on aurait pu croire que le malin la surveillait, les yeux de la forêt se posaient sur elle, impregnait de mal comme jamais.... Elle aurait pu croire que face à cette force absolue, la nature lui avait tourné le dos...

Breïna était trop fière pour avouée qu'elle commençait sérieusement à avoir peur, une peur qu'elle ne s'expliquait pas car le mal, cette frayeur ne pouvait se voir à l'oeil nu.... seulement se ressentir comme une pression malsaine. Et Lui ne semblait pas bouger... peut-être était-il en train de se délecter de ce spectacle? Non... il n'y avait pas de quoi, même pour un démon puissant. Cependant, elle tenait toujours sur ses deux jambes et sans nul doute que si sa mort avait été voulu, la faucheuse serait venue bien rapidement... mais aucun mot ne sortit.

Pour une raison quelconque, le mal s'évanouit lentement, comme s'il avait compris que Breïna ne pouvait rien faire. Quelques part, cela aurait très bien pu frustrée la jeune femme. Aurait-elle été considérée comme trop faible pour lutter? Vraiment, quel drôle de questionnement... à ce demander si le jeu préféré de Breïna n'était pas de jouer avec la mort et ses accolytes.

Instectivement, quand Iblîs bougea pour la première fois, la fée recula légèrement, sans agressivité, un simple réflexe. Il dévoila enfin son visage et Breïna ne s'y attendait pas du tout.

* Irréel... *

Chacun de ses gestes semblaient délicats, sa démarche fantômatique, et les traits de son visage sortit d'outre-tombe sans pour autant être dénué d'une certaine forme de beauté, du moins de peu commune, démoniaque.

Alors que les tensions disparaissaient, elle le suivait des yeux, elle ne pouvait le quitter, trop méfiante ou subjugée par la vue du mal? un peu des deux.

Ce démon avait un physique bien étrange, rien d'humain c'était certain ou d'une queconque autre race. Cet homme lui faisait penser à ces étranges pierres tombales en marbre de ceux que l'on considéraient comme des grands seigneurs. A travers la pierre et au dessus de leur corps dans leur socle, on sculptait leur effigie. Ce démon avait l'allure de ces statues là, de ses caveaux de nobles. Néanmoins, il avait les chevex aussi noirs que les siens. ceci lui rappela alors que quelques démons qu'ils soient, quelques soient la force émanante de lui, il était mortel.

C'est alors, que de façon naturelle, celui-ci partit s'asseoir au pied du chêne, tout comme elle trouvait en cet arbre un appui, il en faisait de même. Cela en était tellement déconcertant. Tout alors elle était assaillie par le mal et maintenant...

Le silence avait trop longtemps duré et quelque chose empêchait Breïna de se retouner pour simplement partir.

" Seriez-vous homme à apprécier les banales balades en forêt ? ... Où se cache-t-il de sombres desseins derrière votre venue? "

Lun 26 Mar 2007 - 13:28

Tout d'abord, l'homme étrange n'a pas répondu. Les yeux toujours fermés, il a ramassé une brindille. Depuis, il est très occupé à la faire tenir debout en équilibre sur le sommet de son index. Un jeu d'enfant de cinq ans, que la plupart dédaigneraient. D'ailleurs, la performance fut médiocre. Une seconde à peine, et la brindille bascule et tombe à terre. Un instant, Iblîs semble la considérer avec perplexité, à travers ses paupières closes. Puis s'en désintéresse.

Il est curieux de voir un démon se livrer à des occupations si futiles, si dérisoires. Mais ce démon-là n'est pas comme les autres. Son esprit est aussi impossible à cerrner que la Nuit dont il est fait. Ses idées et ses raisonnements sont une énigme. Parfois, il paraît ignorer les choses les plus élémentaires, et à d'autres moments on le dirait capable de lire dans l'avenir et au fond des coeurs.

Le voilà qui sourit à présent. Sans ironie, mais rêveusement, comme s'il pensait à autre chose.

"Je suis simplement là où je dois être, mademoiselle Breïna."

La voix va de pair avec le personnage. Elle est calme et posée, teintée d'un léger accent aristocratique, mais ses harmoniques sont totalement inhumaines. Le timbre est plus proche de la sourde mélopée du vent au bord des falaises, que semblable à une parole d'un être vivant.

Les démons ne peuvent généralement pas lire dans l'esprit des elémentalistes. Pari eux, seuls les yeux de Kaho Long sont capables de percer l'envelope de la chair pour lire une petite partie de l'âme des vivants. Alors quand à savoir comment cet homme connaît le nom d'une personne qu'il rencontre pour la première fois ... les dieux seuls le savent, mais comme les dieux de ce monde sont morts depuis longtemps, le seul moyen de le savoir serait de lui poser la question.

"Dans un sens oui, je me promène. Vous-mêmes ne pouvez vous passer de voir le Soleil de temps en temps. Pour moi, j'ai besoin de la Nuit."

Au fond, ceci était d'une parfaite logique. Enfermez un homme pendant des années, au plus profond d'un cachot, sans un seul rayon de lumière... au sein de ce noir total, il dépérira lentement. Les Démons transgressaient toutes les lois qu'ils pouvaient, mais à celle-ci, ils ne pouvaient échapper. Certains devaient de temps à autre se baigner dans les feux de l'enfer, d'autres retourner au seins des champs de bataille pour y respirer l'air des carnages (quitte à se battre entre eux s'il n'y avait pas de guerre dans la zone). Les succubes et les vampires devaient boire le sang des vivants pour entretenir leur propre vie. Et ainsi de suite. Les démons obscurs, eux, ne pouvaient survivre sans se retremper quelquefois dans l'ombre et la nuit. Iblîs plus que tout autre, lui qui était l'incarnation même des Ténèbres.

Je vais vous murmurer un secret ... Voulez-vous savoir comment vaincre l'un des plus dangereux démons de cette ère? Cela est possible. Peut-être le corps immatériel d'Iblîs est-il insensible à toute blessure physique, mais il existe d'autres moyen de s'en débarasser. L'un est très simple. Si vous l'enfermiez dans une zone de lumière parfaite, sans le moindre millimètre carré d'ombre, sans échappatoire ... pfuit! Le seigneur des abîmes se désintégrerait comme un moustique devant un lance-flamme. Sans espoir de résurrection...

Mais en attendant cette fin, Iblîs est là...

Lun 26 Mar 2007 - 19:46

Avec étonnement, la fée contemplait le démon qui semblait jouer tel un enfant. Quel voilà une bien drôle image qu'il donnait de lui. Finalement, étaient-ils tous aussi différents que les autres races? Eux les démons? A cet instant, on ne l'aurait pas cru. Non. Des personnes négligentes ou curieuses s'avanceraient sans crainte vers lui... pour mieux mourir certainement. Breïna le comparerait sans mal à une de ses feurs carnivores dont l'apparence attirante trompait les insectes pour en faire son repas.

Cependant, la jeune femme n'était pas duppe. Il était trop calme pour ne rien cacher, son visage trop parfait pour être un homme dont il ne fallait se méfier.

Elle se tourna alors totalement vers lui, surprise de sa nonchalance, de sa sérénité. Etais-ce donc la véritable nature du mal, des ténèbres? Cette sérénité et cette froideur d'outre tombe? Etrange... et effrayant quelque part.

Néanmoins, la fée ne fut pas surprise que celui-ci sache son nom, ce qui en tant normal aurait dû l'interloquer. Mais elle en voyait tous les jours de toutes les couleurs, alors, lorsque ce genre d'information était détenu par un démon.

" Mmmm... je vois que vous connaissez mon prénom.... ma réputation m'aurait-elle précédé?... je doute... étrangement, je pense qu'un homme tel que vous ne perdrait pas son temps à retenr mon nom, ou simplement de se montre à moi... "

Quelle drôle de sonorité que cette voix démoniaque. Breïna aurait pensé que cela serait bien plus déplaisant...

Etant la vitesse avec laquel ces deux personnes échangèrent leur parole, la fée opta pour la position assise. Tout comme son interlocuteur, elle s'adossa près du chêne, entre deux racines, confortablement. Sa tête penchée en arrière, ses yeux se posèrent sur la lune rougissante.

La voix de la jeune femme s'éleva de nouveau, brisant une fois encore la nuit qui s'imposait.

" Le soleil.... il est vrai que nous, pauvres êtres terrestres, avons besoin de sa chaleur.... mais je vous une préférence à la nuit également... pour son calme et la discrétion qu'elle m'offre...bien évidemment, elle ne m'est pas vitale... "

Breïna gardait les yeux au ciel, mais croisa les bras.

" ... Puisque nous sommes là... puis-je demander ce que vous désirez? "

Mar 27 Mar 2007 - 19:23

"La Nuit?" chuchota Iblîs. "Mais votre nuit a encore des étoiles. Pas la mienne."

Quelque part au fond de la forêt, une chouette hulula. Entre les branches, un vol de chauves-souris passa, déchirant l'air de leurs cris suraigus. Dans les hautes feuilles arbres, le vent nocturne passa, chuchotant ses éternels secrets que l'on entend jamais. Un souffle léger souleva un instant les longues mèches du démon, faisant onduler sa crinière noire devant son visage. Mais derrière les longs cheveux, le sourire demeurait.

Oh, ce n'est pas une moquerie, il n'est pas spécialement adressé à Breïna. Juste à tous et à rien, tel l'impassible sphinx dont le regard est éternellement fixé dans le vide. C'est cela qui le rend mystérieux, attirant, mais presque effrayant par sa fixité.

Ce sourire, ami voyageur! Ce sourire! Tu l'as déjà vu, n'est-ce pas?
Ha! C'est celui du Roi Liche sur son trône! C'est celui du mort qui se réveille et pousse le couvercle du cerceuil! C'est celui du Seigneur Fantôme qui hante les rêves des vivants! Celui qui se dessine sur les lèvres sèches des cadavres, celui que partagent tous ceux qui ne sont pas de ce monde ...
Ha! Ce sourire, enfant, c'est celui du diable!

Mais peu à peu, le masque de cire redevient neutre. Iblîs se tourna enfin franchement vers sa compagne, comme s'il l'examinait enfin. Qu'aurait-il détaillé, s'il usait de la vision des mortels?

La jeune femme est mince, de taille moyenne, mais souple et agile comme un félin. Noir corbeau est sa chevelure, et accrochés à ses cuissardes de cuir, de armes auquel nul n'aimerait se frotter. Mais ce qu'on retiendrait surtout, ce sont les pupilles. Dans le pâle visage, ce sont deux flammes d'ambre! La fée ne porte pas de vêtements précieux, mais elle possède l'or du regard, le plus dangereux de tous. Il y brille le feu du soleil couchant, le pelage clair des grands fauves, la vie de l'arbre volée au temps, la lune froide quand elle se lève - prenez garde, dit le sage. Au fond du soleil liquide, la mort se tapit. Prenez garde. Cette jeune femme n'est pas une proie. Cette jeune femme est un prédateur.
Et cette jeune femme porte le nom de Breïna.

A la réflexion de la jeune femme, le démon penche la tête de côté.

"A cause de votre odeur."

Ah cà! Curieuse façon de se faire une idée sur quelqu'un, surtout pour de la part d'un démon majeur. Mais vous savez, chère amie, vous n'avez pas vraiment le temps d'y réfléchir. Parce, que voyez-vous, il y a ...

La voix qui s'interrompt net.
Le bras qui file au sein de l'air.
La main qui effleure l'épaule de la fée.

Déjà Iblîs s'est retiré. Mais sur le tissu, brille à présent une trace presque invisible, à peine phosphorescente. Une place insignifiante, comme quand on effleure quelqu'un sans y penser ...

"Vous avez sur vous l'odeur de l'aura d'Erkios, donc, vous êtes entrés en contact physique récemment. Et la seule personne qu'il aie mentionnée sans y penser est une fée mystérieuse nommée Breïna, aux yeux d'assassin, qu'on peut trouver parfois dans les Marais ou la Forêt ... vu le nombre de personnes qui répondent à cette description, la probabilité d'erreur était infime. Cependant je ne vous cherchais pas, et notre rencontre était dûe au hasard. Quand à ce que je désire, qu'importe?"

Un instant, le silence retombe. L'homme noir ne répond pas directement. D'un geste coulé, comme le mouvement d'un serpent, il a joint les mains sous le menton. A présent, assis en tailleur, il fait face à sa vis-à-vis. Tout simplement, sans aucune menace dans son attitude. Mais dans l'ombre du front, les yeux toujours clos semblent rayonner, scruter, fouiller jusqu'à l'âme!

"L'important, c'est ... que désirez-vous, vous?"

Mar 27 Mar 2007 - 22:59

La voix d'outre-tombe du démon résonnait dans la tête de la fée, comme un échos et s'estompait petit à petit. On aurait cru à un cri poussé dans les montagnes enneigées, un souffle froid, glacial, furtif. Sans trop répondre véritablement, elle susura une réponse.

" En effet... des nuits étoilées... "

Le calme retomba rapidement sur les lieux, les deux êtres atypiques adossés au chêne, sereins, donnaient l'impression de se reposer. Mais le silence fut brisé par un hululement d'oiseau. La nature s'agitait subitement, tous les animaux nocturnes semblaient s'animer. Les arbres, les branches, les feuilles également... Le vent venait souffler inopinément, montrant sa présence, sa puissance...

Bien que les yeux de Breïna ne semblait se détourner de la voûte céleste, elle sentait étrangement le sourire malsain d'Iblîs. Aux côtés de cet homme, elle ressentait un mal être particulier, bien qu'il n'existait encore aucune querelle ou autres. Encore un jeu du malin...

Cette impression se fit plus forte à un instant. Infime perturbation qui troubla la jeune. Elle tourna la tête vers lui, ce démon insondable. Ceci en était par ailleur bien frustrant, de ne rien voir sur son visage, de ne pouvoir lire aucun trait d'expression, ni ses yeux. Le néant, le chaos, les ténébres où rien n'existent à part la noirceur. Il en incarnait bien la chose.

Elle eut cependant un petit rictus au coin des lèvres quand elle sut ce qui l'avait attiré dans cette direction; du moins ce qui l'avait intrigué pour l'amener à suivre le chêne qui le conduirait au chêne où notre bonne vieille Breïna était dans le haut des branches.

Elle prit le temps de répondre avec une voix tranquille et suave, sans pour autant paraître fade et éteinte.

" Mon odeur.... que voilà une bien étrange réponse..."

Breïna se stoppa net. Pendant une fraction de secondes, elle avait eu une drôle de sensation, comme si on était venue à elle, la frôler, sans être vu, comme un fantôme qui venait à traverser les corps des vivants.

Une sorte de pression insaisissable sur son bras la saisit. Instinctivement, elle passa sa main dessus. Ses yeux dorés devinrent étincelants de stupéfaction.

Une telle rapidité. Une telle discrétion. Ce démon était surprenant. Insaisissable et surprenant.

Il continua alors son explication. Erkios. Elle aurait dû le voir venir. Qui d'autre que le général des Enfers auraient pu lui donner son identité. Mais cela signifiait aussi que ce démon là planchait sur son contre sort. Une bonne chose pour la fée et cela avait l'air de mettre pas mal de pagaille, assez pour faire parler entre eux. Bizarre.

Néanmoins, Breïna ne put s'empêcher de rire.

" Ce bon vieux Erkios.... il ne sait pas se montrer discret... heureusement que ce n'est pas une affaire d'état! haha! Mmmm... il est vrai que je connais ce démon là...mais il exagère... des yeux assassins??? Quelles description il me fait là! Je suppose que c'est un compliment de sa part! "

Breïna soupira comme lassive. Maintenant, Iblîs se trouve face à elle. Essyait-il de la sonder à présent? Elle n'avait pas grand chose à cacher finalement. Il perdrait de toute façon son temps.

La fée ramena ses jambes vers elle, les fléchissant pour poser ses bras sur ses genous, penchant ensuite sa tête comme une enfant, sourire aux lèvres.

" Ce que je désire moi?... voilà une bien grande question... Mais vous vous intéressez donc à mes désirs? Cela est bien plus étonnant encore... "

Mer 28 Mar 2007 - 21:10

Longtemps, les deux voyageurs nocturnes se firent face. L'une la tête penchée sur le côté, l'autre le menton au creux de ses paumes. On aurait dit deux grands enfants échoués là, qui jouaient à ce jeu vieux comme le monde : je te tiens, tu me tiens, par la barbichette...
Mais ni l'un ni l'autre n'avaient l'innocence nécessaire pour jouer à ce jeu. A des degrés divers, ils étaient tous deux des enfants, mais dénaturés, des enfants dont émanait la conscience, le savoir et la malice. L'innocence? Kof! L'un ne l'avait jamais connue, déjà noir comme le vice à l'instant de sa venue au monde. L'autre l'avait perdue depuis longtemps, et cela se lisait dans chacun de ses gestes, chacun de ses souffles, et au fond des ses iris d'or pâle.

Non, Erkios n'exagérait pas. Le prince de l'ombre ne lisait pas dans les esprits, mais il savait peser les âmes. De plus, il savait reconnaître la saveur d'un être.

L'odorat du chien, même les yeux fermés, lui apporte des centaines d'informations rien qu'à partir de l'odeur d'une personne. Les sens magiques d'Iblîs fonctionnaient de la même façon. Sa perception de la magie n'était pas un 6e sens plus ou moins inné, acquis par l'entraînement, comme les élémentalistes. C'était une perception viscérale, inhérente à ses fonctions corporelles. Un ensemble de sens conscients et parfaits qu'aucune technique d'amplification ne pouvait égaler. La différence était fondamentale, car l'être noir n'utilisait pas la magie. Il était la magie.

Il vivait à demi dans le monde invisible et disposait d'autant de récepteurs pour l'un que pour l'autre. La frontière entre les deux mondes n'était qu'un concept étranger. Il pouvait écouter l'océan de la magie, mais aussi reconnaître sa texture, sa densité, son goût, son odeur. Voilà pourquoi le sens de la vue était parfois quelque chose de totalement superflu.

Et point n'est besoin de voir pour sentir le sang sur les mains de Breïna. Quand la vie mourante a taché vos mains, elle y appose sa marque de façon ineffaçable. Invisible, mais gravée pour l'éternité. Les pupilles qui un jour ont brillé de la froide volonté de tuer, ne seront plus jamais les mêmes. Pour le reste de sa vie, elles marqueront l'assassin, celui qui a pris la vie et peut encore la prendre. Même si vous paraissez détendu, ne relâchez jamais votre vigilance en présence d'une telle personne. L'erreur pourrait vous coûter plus cher que vous ne pouvez payer.

Soudain, Iblîs laissa échapper un petit rire et se laissa aller en arrière.

"Bonne réponse. Ne jamais se livrer à un inconnu et savoir répondre à une question par une autre. Vous êtes intéressante, mademoiselle Breïna!"

Si la question avait été un examen, la réponse avait certainement mérité une mention. L'impression scrutatrice et oppressante qui émanait encore en partie du démon disparut totalement. Au-dessus de l'arbre, le vent s'était tu. Depuis que le Sombre avait cessé de ramper entre les racines, le petit peuple de la nature avait repris ses occupations. La vie galopait de nouveau sur la mousse. Cette partie de la Forêt Darke était relativement claire et aérée, à la lisière des Collines Devëlites. Elle n'avait pas, comme à d'autres endroits, cette glauque athmosphère des profondeurs grouillantes de choses innomables.

Iblîs se redressa. Un instant, debout sous la Lune Sombre, il sembla écouter le bruissement du monde endormi. Puis il se retourna vers la fée.

"Je poursuis ma route. Si le coeur vous en dit!"

Sans attendre de réponse, il dévala le petit tertre où poussait le grand chêne. La longue silhouette noire s'élança sous les feuillages. Rapide et silencieuse, on la sentait plutôt qu'on la voyait. En déplacement, il avait tout d'un spectre qui traverse l'air. L'allure est rapide, bien plus qu'à son arrivée.
Est-ce volontaire ou juste parce que la nuit continue de vieillir? Qui sait, et à quoi bon se poser la question!
Ce soir, sous le couvert obscur de la forêt, "elle" a commencé!

Ce soir, ce n'est pas la Chasse du loup, ce n'est pas la Danse du guerrier, ce n'est pas l'Errance du vagabond ni le Vol de l'aigle, ce n'est pas la Traque du chasseur ni la Course du fauve.
Ce soir, tous ceux-là dorment, et le serpent glisse dans la pénombre ...

Silence, tous!
Car la chouette l'a crié tout à l'heure : sous la lune immense et rouge, la peur froide parcourt le monde ...

Ce soir, c'est la Marche qui commence, la Marche des Ombres!

***

Marche!
Et que les troncs défilent! Passent les clairières sous les sinistres rayons! Ne t'arrête au lit de mousse, ni au siège de pierre au pied de la falaise. Que les taillis disparaissent derrière nous!
Les habitants de la forêt voient la forme noire passer, muette, déjà évanouie entre les arbres. Ceux qui ne savent pas retiennent leur souffle. Ceux qui savent se taisent.
Marche!
Notre pas est silencieux, et parmi l'Ombre tu n'es qu'une ombre. Le grand manteau ondule au vent, mais nul ne sait où finit finit sa couleur et où commence la noirceur de la nuit.

Le visage d'Iblîs est une sculpture de cire, livide au milieu de la robe noire qui flotte autour de lui. A peine tourne-t-il la tête quand une silhouette agile bondit soudain de branche en branche, au même rythme que lui. Un instant, le démon sourit.
Lui sait déjà, mais nous, nous l'ignorons encore ... Est-ce juste une martre en chasse? Ou bien es-tu là, Fée du Mystère?

Mer 28 Mar 2007 - 23:25

Le temps s'écoula avec une lenteur qui aurait pu être insoutenable pour bien des personnes. Breïna n'était pas de cela, elle était comme un loup, dont les yeux brillaient dans les ombrages d'un buisson, guettant la venue de sa proie. Attendre sans bouger, sans un battement de cils, sans un souffle perceptible.... pas de velour.... mais lorsque la mâchoire du chien sauvage enserre la gorge de la proie, celle-ci n'a guère le temps d'entrevoir la faucheuse.

Autrefois, elle avait utilisé cette méthode animale de prédateur. Oui, fée sauvage et perdue, esseulée, maudite, vagabonde. Sans comprendre, elle avait trouvé le soulagement dans l'assassinat, mais aussi une façon étrange de ce faire du mal. Elle s'était vengée en menant une guerre qui avait causé des milliers, voir millions de pertes dans les deux camps réunis; mais elle y avait perdu beaucoup. Puis après des évènements douloureux, elle s'était mise à tuer... ironiquement, elle s'attirait ainsi la vengeance des autres. Du sang, toujours du sang.... cela la poursuivait... où qu'elle aille, le malheur s'abattait dans sa vie... Elle se condamnait à être sans attache.... Terrestre, elle était aussi condamnée à souffrir de ses émotions. Le grand paradoxe de la vie...

Breïna était une fée, une combattante, et une femme maudite, et peut-être il y avait-il sous sa malédiction ses satanés furies. Mais elle se les chassa de l'esprit pour regarder de nouveau l'ombre qui se tenait face à elle. Elle pouvait être également aussi impulsive, qu'étonnante, passant du coq à l'âne.... l'imprévisibilité pouvait aussi être une arme.

La fée nota ce petit rire fantômatique qui s'échappa du démon. Etrange sonorité qui la fit de nouveau frissonner, tout en souriant.

" Alors vous me trouvez donc intéressante.... venant d'une personne telle que vous, j'en suis flattée. Mon égo risque de devenir énorme. "

Si elle pouvait être parfaitement sure que ce démon là avait un égo, ou du moins conscience de ce terme, qu'il est un sens pour la nature, elle aurait très bien pu gonfler le sien. Elle sentait sa puissance ténébreuse, oppressante émanée de lui; mais ce qui la terrifiait au fond d'elle même était qu'il avait parfaitement conscience de cela, de cette puissance, de la peur qu'il pouvait engendrer.

Mais brusquement, toute cette tension obscur s'évanouit comme le vent soufflant opinément dans les branches. La nature reprenait son cour.

Toute comme la forêt reprenait vie, Iblïs s'animait lui aussi. De son impériale présence, il se redressa. Il allait continuer son chemin, et quelque part le démon l'invitait à le suivre.

La fée ne donna aucune réponse, et lui s'en alla à une vitesse que l'on ne pouvait décrire ou détaillée par une force physique naturelle. La magie seule pouvait l'expliquer, et sa nature. S'enfonçant dans l'obscur de la nuit, cet être là l'intéressait aussi.

Sereinement, la fée se redressa, prenant même coquettement le temps de s'épouster les vêtements. Puis elle suivit sa piste, à grande ajambée. Mais il était si rapide, si elle continuait ainsi, elle perdrait sa trace, malgré la nature morte qui se desséchait sous ses pas, il la distancerait bien facilement.

Seulement, c'était bien sous-estimé la fée qu'elle était. Certes, elle ne pratiquait pas la magie, il était évident que ses jambes lui donnaient leur maximum, seulement c'était une élémentaliste.

" Et bien... que l'eau me vienne en aide... "

Sans plus attendre dans sa course folle, de l'eau sortit de ses paumes pour se condenser comme des cordes. Elle se saisit ainsi des branches solides des arbres de sa route et fit de ses cordes acqueuses des lianes qui amplifiait sa vitesse de déplacement de manière non négligeable.

A quelque distance de là, elle le sentait, le mal. Il s'était arrêté. Arrivée non loin de lui, elle se maintint perchée telle une chatte sauvage dans son arbre, sourire au lèvre, et ne semblait pas si essouflée que cela. Ses lianes acqueuses s'étaient immédiatement retirées lorsqu'elle s'était immobilisée.

Son regard d'ambre qui se fixait en premier lieu sur l'horizon se posa sur la silhouette fine du démon.

" Messire... vous poursuivez votre route bien rapidement. A peine rencontré, vous me fuyez déjà? "

Breïna se mit à rire légèrement, immobile, ses cheveux noirs ballotants sous les quelques signes du vent...

Une légende.
Juste une légende.
Mais elle dure depuis plusieurs millénaires.

- Au Midi -
On parle de lui à voix basse - prends garde, dit le Conteur, car les génies du sable ont entendu son pas.

- A l'Orient -
La forêt immense a aperçu son ombre, celle qui réveille les spectres au fond des vallons.

- Au Septention -
Quand les étoiles vacillent et semblent prêtes à s'éteindre, les montagnes blanches sentent sa présence.

- A l'Occident -
Ses pas restent imprimés sur les plages, et l'océan se souvient de la peur sans nom.

Dans chaque pays, cela commence par une rumeur. Qui l'a lancée? Voire! Peut-être un gamin terrifié, rentrant tout tremblant d'une escapade nocturne. Peut-être la sentinelle sur la muraille. Peut-être un pèlerin à l'auberge, quand les chopes se vident et que les histoires courent. Mais toujours, cette rumeur est la même : la nuit, quelque part, quelque chose est passé.
Certes il y a toujours des histoires de fantômes qui se racontent au coin du feu, mais celle-ci est différente. On parlait d'une ombre plus noire que l'obscurité, d'un démon qui surgissait des lieux sans lumière. On le pensait escorté par des esprits maléfiques qui tournoyaient dans l'air comme meute silencieuse. On disait que même ceux qui le voyaient de loin sentaient quelque chose d'horrible leur étreindre sournoisement le coeur. Quand à ceux qui se trouvaient sur sa route, on ne retrouvait rien d'eux, pas même un corps. Ils étaient devenus la proie des Ténèbres. La Nuit les avait pris et dévorés jusqu'à l'âme.

Alors pendant deux jours, ou pendant deux ans, plus personne ne se risque dehors sans appréhension, une fois le Soleil couché. On avait l'impression que la nuit entière vous regardait. Il n'y avait plus seulement la crainte des spectres des morts, ni celle des bandits qui rôdent, ni celle des grands fauves de la nature - quelque chose de pire la hantait désormais. Cela n'avait pas de nom. Alors, pour désigner cet être qui portait la peur froide, les hommes parlaient simplement du Marcheur des Ombres.

La légende grandit, ici et là, vague et floue. On l'oubliait à un endroit tandis qu'elle revenait à un autre. Elle était toujours en marche, toujours en errance. Autaut dans les contrées désertes que dans les terres peuplées, aussi bien chez les nobles Elfes que chez les vils Orques. Elle pouvait aussi disparaître pendant une centaine d'année, ou davantage, et les nuits redevenaient paisibles. Puis elle reparaissait un jour du tréfond des mémoires, pour un jour, un an ou davantage. Pour une nouvelle errance silencieuse. Pour une nouvelle Marche.

Et ce soir, dans la Forêt Darke aux alentours d'Elament, la légende renaît de son sommeil. Le Noir glisse entre les troncs.
Iblîs marche.

***

Il s'est remis en route, en effet, alors que la fée l'a rejoint. Plus lentement qu'avant, mais plus rapides que les animaux eux-mêmes, dont c'est pourtant le royaume. Ce sont deux silhouettes qui avancent à présent, comme pour une lente procession funèbre. Tout en marchant, il parle.

"Vous dites aimer la nuit. Si vous voulez la connaître, le seul moyen est de la suivre où qu'elle aille."

Un instant de silence. Les feuilles bruissent non loin d'eux. C'est un sanglier lourd, dont l'esprit obtus n'a pas réagi à la menace qui rampe dans les environs. Mais quand il arrive devant les deux intrus, il s'arrête net. Troublé, il aspire bruyamment une goulée d'air. Deux êtres-debout, ces créatures à deux jambes qu'on voit rarement dans la Forêt. L'une sent la feuille et la vie, comme ceux qui sont proches de la nature, mais elle émet aussi l'odeur fade du sang. Le Sang! La Mort!

Lentement, la sensation de danger monte dans le cerveau rudimentaire.

Et l'autre? Il ne sent rien, mais soudain, l'animal recule, alarmé. Dans l'air, celui-ci laisse seulement l'effluve de la pierre froide. Mais l'instinct est là. Le rustaud de la forêt se rend compte de son erreur. Tout son être lui hurle que la mort est là, toute proche. Alors, affolé, il choisit la seule solution qui ne lui laisse aucune chance. Frémissant, émettant de tout son corps l'odeur des proies, il fonce au plus profond des taillis, là où planent les volutes d'ombres, là où rôde le pire danger de cette nuit.

Car dans cette direction, l'ombre toute entière semble onduler. Les Obscurs sont éveillés, cette nuit. Ce sont eux que tu as senti tout à l'heure, jeune fée. Cette Présence malsaine dont on ne sait si elle vient d'Iblîs, de cette nuit maudite ou des deux à la fois. Ils sont une partie de l'aura du démon, mais ils sont aussi partie intégrante de l'ombre laissée par la Lune Rouge. Ce sont eux qui ont fait la réputation de mort de la Marche, car quand elle commence, ils s'éveillent et commencent à dévorer la vie.

Une plainte jaillit soudain de l'obscurité. Mi-grognement, mi-gémissement, emplie de terreur absolue. Elle s'interrompt busquement, coupée comme le fil de la vie qui s'éteint. Déjà les esprits noirs se dispersent et reviennent escorter Iblîs et Breïna, à distance respectueuse. Les yeux du démon demeurent indifférents. Il ne se s'arrête pas, ne se retourne pas, ne ralentit même pas. Combien de fois n'a-t-il pas assisté à cette scène, au cours de sa longue vie?

"A votre avis" reprend-il déjà alors qu'ils poursuivent leur route, "où va la nuit quand le soleil se lève?"

Pour Breïna, il n'y avait jamais eu plus étrange et commun qu'un démon. Non, pour elle se n'était qu'une race de plus dans le vaste monde, du moins le nom que l'on accordait à ces Hommes et Femmes des ténébres. Qu'importe la nature de la chose, le Mal était une notion bien plus subtile pour elle. Après tout, de par ses actes, la fée s'était montrée bien plus démoniaque que les sus nommés, autrefois, dans des temps qui lui semblaient à la fois lointain dans son esprit et si récent dans sa chair.

Jouant au chat perché, la jeune femme vit Iblîs repartir, certe moins rapidement que précédemment, mais à une allure qui lui valait tout de même un peu d'admiration. Sans trop attendre, elle le suivit, esquivant les branches, l'oreille attentive à chaque murmure de la forêt, à chaque bruissements et brisures, ses yeux dorés agards, à l'affût eux aussi.

C'est alors que la voix du démon se dressa dans cette nuit, où la lune rouge brillait toujours de sa funeste lumière. La femme aux cheveux de jais ne tarda pas à répondre.

" Mais la nuit est joueuse, elle se dérobe à nous lorsqu'on désire l'attraper... vouloir la connaître serait prétentieux de ma part mais je suis prête à relever le défi... La nuit m'a souvent apporté son aide et sa protection, alors je la suivrais où qu'elle aille... "

Il était vrai que la face sombre des jours avait toujours été de très bon secours mais aussi de mauvaises augures avec la fée. La nuit en effrayait plus d'un, mais pour Breïna, elle était synomyme de repos et de douleur. Sa famille, son village avait été massacré en pleine nuit, mais c'était aussi dans ces pénibles moments qu'elle avait découvert ses dons d'élémentaliste. La nuit l'avait accompagné pendant la guerre, pendant ces meurtres, ses "contrats", pendant ses deuils, ses larmes... La nuit froide l'avait englobé dans ses bras comme un amant, dans ses limbes noires, elle avait anestésié son coeur pour atténuer ses souffrances sans jamais l'étouffer.

Avec cette étrange compagnie qu'était celle du démon, la plus improbable mélodie lui vint en tête. Une vieille chanson qu'elle avait pu entendre dans des plaines lontaines, là où même l'existence d'Elament n'était rêvée... une langue oubliée des hommes, peut-être autrefois chantée par les elfes... cette mélodie était chantée lors d'étrange procession faite en l'honneur de dieux étranges dont Breïna se connaissait rien, seuls les mots de cette mélancolique balade lui était restée.

Os iusti meditabitur sapientiam,
Et lingua eius loquetur indicium.

Beatus vir qui suffert tentationem,
Quoniam cum probatus fuerit accipient coronam vitae.

Kyrie, ignis divine, eleison
O quam sancta, quam serena, quam benigma, quam amoena

O castitatis lilium

Mais ces quelques paroles s'échappèrent lorsqu'un animal vint lui ôter toute mélodie de la tête. Son regard félin se posa sue le rustre animal, sans rien faire. Elle l'aurait pu le chasser, elle avait ses affaires, cependant elle n'en fit rien. Le démon ne semblait pas non plus vouloir bouger le petit doigt.

Néanmoins, la bête semblait troublée, et il fallut quelques secondes pour que la fée en fut tout autant. Elle sentait une vague ondulante et ténébreuse autour d'elle, mais avec une pointe de familiarité. On aurait pu croire qu'il y avait des répliques du démon tout autour, qui les encerclaient, les regardant.... Une seule explication : l'aura du démon.

Impressionnant fut le premier terme qui lui vint à l'esprit. Le mal semblait n'avoir aucune limite. L'animal s'enfuit mais pour seulement mieux mourir. Des grognements, et voilà la mort.

Comme si rien de tout cela ne s'était produit, comme si une vie ne venait d'être prise de façon non naturelle, les deux êtres si atypiques continuèrent leur chemin. L'indifférence qu'elle pouvait parfois éprouver effrayée Breïna, mais sans aller plus loin dans la pensée.

C'est alors qu'une nouvelle question vint rompre le silence.

" La nuit ne disparaît pas.... elle se cache pour mieux reconquérir le jour... elle se dissipe aux quatre coins du globe, dans l'ombre, le noir, en enfer peut-être.... qu'importe, elle reviendra toujours.... Mais les êtres vivants ne se posent jamais cette question, elle va plutôt dans l'autre sens.... est-ce que je reverrais le jour? quelle ironie..."

"C'est exact" répond Iblîs sans interrompre sa course. "Les mortels ne se posent que rarement les bonnes questions. Et s'ils errent sans réussir à atteindre leur jour dont ils rêvent ... savez-vous pourquoi? C'est parce que l'endroit où se cache la nuit est le fond de leur propre coeur."

Peut-être le comprends-tu, enfant qui déchiffre ce récit, bien des siècles après que la fin de ce monde de magie? Le comprends-tu, que dans cette simple phrase se trouve le premier de tous les secrets, celui de la naissance des démons? Non? Et tu me demandes de te l'expliquer! Il est des choses que tu dois comprendre toi-même. Si tu ne comprends pas encore, suis le prince de l'Ombre au cours de sa légende. Vois le fil noir de son destin, qui court au-dessus des gouffres du temps pour parvenir jusqu'à nous. Ferme les yeux, et chevauchons ce fil d'Ariane au rythme de mes mots, jusqu'au jour où tu comprendras.

Ainsi, la Marche se poursuivait, sous le ciel à présent couvert de nuages. Sans trêve. Depuis qu'Iblîs a prononcé ces derniers mots, il n'a pas rouvert la bouche. Depuis combien de temps courent-ils ainsi, le démon et la fée? Des minutes? Des heures? On perd si facilement la notion du temps quand on pénètre dans le royaume de la nuit et du brouillard.

Marche!
Et que la route continue, au sein du chaos nocturne où tout chemin se perd! Dans la Nuit, l'immobilité signifie la fin de tout. Quand l'Ombre danse, le seul moyen de survivre est d'accepter sa souillure et d'accompagner son blasphème. Qui cède au chant des sirènes noires, et s'arrête pour se reposer, ne reverrait jamais la lumière du jour. Le sommeil, c'est l'oubli, le repos, c'est la mort.
Marche!
Les nuages sont descendus peu à peu, couvrant le monde de leur manteau noir. La Lune Rouge a disparu. Le brouillard est là, cotonneux, rendant la nuit plus obscure encore. Au milieu de ce néant, ne t'arrête pas! Vois : alors que tes pas se succèdent sur la mousse, le brouillard noir avance avec toi! Son souffle est étrange, parfois neutre comme le néant, parfois puant la pourriture. La brume noie tout, mélange formes et couleurs au creux de son envoûtement. Il s'exhale le mal de ces nappes de vapeur. Sortent-elles des fissures du sol, loin dans les profondeurs, là où la lumière n'a jamais lui? Dans la pénombre bleue, avance ou péris, dit la Nuit.
Marche!
Le terrain s'est quelque peu élevé. Nous sommes toujours dans la Forêt Darke, mais le sol est plus sec, plus rocailleux. Les rochers affleurent parfois la surface. Les arbres sont des sapins à présent, les aiguilles remplaçant les feuilles, et les branches mortes se dressent dans l'air comme autant de doigts squelettiques. Chaque tronc semble devenir, au gré des jeux de pénombre, une hydre mouvante et menaçante. Allons! Ne regarde pas à droite, pas à gauche! Avance au milieu du cauchemar, et que tes pas soient silencieux afin de ne pas réveiller d'autres choses mauvaises!
Marche!
Plus une seule vie n'a croisé notre route. Parmi les bêtes, le sanglier était l'idiot du village, celui qui se jette droit sous les sabots de soldats qui passent. Quand le Brouillard Noir emplit la forêt, les animaux savent depuis longtemps se terrer et se taire. La forêt semble désertée, comme un décor de théâtre pour une pièce surréaliste. Au milieu de ces artifices, saute les troncs, enjambe les pierres! Un orchestre invisible semble rythmer ta course : peut-être est-ce une illusion, mais on croirait entendre un orgue invisible et lancinant jouer quelque part dans la brume nocturne. N'écoute pas la Nuit, cours sur le tapis d'aiguilles!
Marche!

Et le temps passe. Peu à peu, devant, quelque chose semble s'éclaircir. Iblîs ralentit. Puis s'arrêt. Imite-le : la Marche touche à sa fin.

"Nous sommes à la croisée des chemins..." commente ton guide. "Je ne pensais pas revenir ici avant longtemps."

Comment cela? Ne sait-il pas lui-même où il se rend? Entre Iblîs et la Nuit, qui possède l'autre? Qu'importe! La Marche n'a pas besoin d'explications. elle est là, c'est tout. Quand à ce lieu... nous nous trouvons sur une sorte de promontoire des Monts Décharnés, une longue colline qui s'enfonce au milieu des arbres. Nous l'avons abordée par le côté est, et sa crête est bien un carrefour. Curieux, car la Forêt Darke est réputée pour ne comporter absolument aucun chemin en dehors de la grande route qui mène vers Elament. Mais en cette nuit ou tout semble possible, le coeur de la Forêt ouvre trois chemins.

Le premier descend.
C'est une trouée entre les arbres, vers l'autre côté de la Forêt. Ces lieux ont mauvaise réputation. C'est la partie la plus profonde de ces lieux, au milieux de marais puants et grouillants de choses innomables. Le vent qui en parvient est fétide, chargé de corruption et de pourriture. Antres glauques, entre les arbres si serrés que jamais la lumière n'y brille. Une jungle inquiétante qui a donné son nom à la Forêt.

Le second monte.
Cette corniche étroite longe le bord de la colline et semble monter vers les premiers contreforts des Monts Décharnés. Le vent y est glacial, sifflant sinistrement entre les parois de pierre. On raconte qu'à cet endroit, des gouffres sans fond existent, béants à la surface du sol, et que ceux qui y tombent partent tout droit vers l'enfer. Même les oiseaux de proie ont fini par ne plus venir y nicher.

Le troisième ne monte ni ne descend.
Il continue en direction de l'extrémité de la colline, qui domine la forêt. Les arbres s'y raréfient, et le brouillard noir emplit le chemin. Il mène vers le bout du promontoire, une sorte d'aiguille de pierre qui se dresse dans la nuit, environnée des brumes qui rampent sur le sol. Aucun vent n'en vient, et il règne dans cette direction un silence de tombeau.

A quelques pas devant toi, Iblîs s'est retourné. Ses yeux semblent te voir à travers les paupières closes.

"A vous de choisir."

Trois chemins, deux personnes, un choix. Chaque route peut mener à une issue différente, et peut-être à une réponse différente. Que vas-tu choisir, jeune fée? Le chemin descendant, vers les marais emplis de pourriture et de corruption, mais où ceux qui savent surmonter leur dégoût peuvent trouver l'origine des choses? Le chemin montant, vers les sommets froids et les gouffres mortels, mais d'où la vue porte plus loin? Ou le troisième chemin, qui continue la Marche au coeur de la Nuit, celle que tu veux connaître?

Il était surprenant pour la fée de voir à quel point certaines de ces paroles ou déductions semblaient si proche des démons aux sombres desseins. Cependant, elle devait reconnaître à celui-ci le bon sens dont il faisait preuve. Mais finalement était-ce vraiment si stupéfiant? Cet Iblîs incarnait le malin, son esprit se devait de l'être tout autant.

Néanmoins, Breina n'y trouva rien à y redire. Après tout, cette nuit qui se terrait au fond des coeurs, elle l'avait sollicité enfant lorsqu'elle voulut chasser son chagrin, et une fois de plus à la perte de son elfique époux. Paradoxalement, même si elle savait que cette "chose" que l'on nommait ci-présent de manière poétique lui était réconfortante, elle désirait ne plus lui demander d'aide. Serait-ce une forme d'espoir qui renaissait en elle? Aller savoir.... Mais elle ne pouvait nier le bien que lui fournissait certaines de ses rencontres, alors que dans son fort intérieur, elle ne désirait s'attacher à quoique se soit pour ne plus souffrir ou faire souffrir... un autre combat qui se jouait de manière invisible. Mais la souffrance n'était-il pas le propre de l'humanité? Que serait une vie sans souffrance, sans la connaissance de la douleur et des pertes? Une bien triste conclusion...

Leur course continua. Le temps s'étirait toujours un peu plus jusqu'à en perdre sa notion. La forêt coupait vraisemblablement ses visiteurs du monde extérieur, comme enfermer dans une bulle de végétation et de chemin sauvage. Breïna regardait devant elle, sans pour autant négliger la présence du démon. La méfiance était toujours de mise, et quoi de plus normal.

Les jambes de la fée la portait toujours, sans s'épuiser, tenant un bon rythme, mais pour combien de temps? Iblîs était porté par la magie, la nuit, les ombres, pas Breïna. Sans un mot, dans le silence le plus total, elle continuait, sans trop savoir pourquoi. Curieux et imprévisible était l'instinct des fées de son type.

Cependant, la lune n'était plus visible, le halos rouge qui fit frissonner notre jeune demoiselle non plus par conséquent. Un épais brouillard vint obscurcir le champ de vision de la fée mais son pas ne ralentissait pas pour autant. Si ces yeux lui faisaient défaut, elle avait son odorat et l'étrange sensation spectral d'Iblîs. Il jouait ainsi, peut-être à son insu, de guide pour la fée, il lui suffisait de suivre le mal aise qui était le sien à son contact, de ce mal, des ténèbres.

C'est alors que pendant un instant, Breina crut qu'ils étaient en train de quitter la forêt. Où n'était-elle que dans un coin qu'elle n'avait jamais essayé d'explorer? Pas impossible. Après tout, la forêt Darke était immense.

Le sol n'était plus meuble comme auparavant, elle dicernait enfin ses pas sur le sol, le son de ses talons et du cuir de ses bottes sur la terre. Elle pouvait même sentir quelques pierres arrondies sous la plante de ses pieds. Leur environnement changeait. La vie avait semblé s'échapper depuis quelques instants. Tout était si sombre et le silence n'était que mort.

Malgré le brouillard, la fée n'avait pas trébuché, esquivant les racines sortant du sol, évitant les branches qui s'étendaient tels des bras aux mains griffues, toujours derrière le démon, ses longs cheveux noirs mimant le mouvement des vagues dans le vent. Mais la course ralentit, rassurant la jeune femme. Existerait-il une fin à cette chevauchée nocturne?

Iblîs s'était arrêté. Breïna en fit de même, reprenant un peu de son souffle et de son énergie. Mais quelle fut sa surprise quand elle aperçut trois chemins distincts. Il y existait pour chacun d'eux une impression différente. La fée ne répondit pas à la première remarque du démon, mais elle observait attentivement ce qui l'entourait.

Pour elle, ses trois chemins représentaient un notion du temps, une notion simple de toute vie.

Le premier qui descendait représentait le passé. Descendre pour mieux retourner au origine, revenir en arrière. Mais les secrets que devaient renfermer cette voix étaient tellement vieux et poussiéreux qu'elle pouvait aisément en humer une odeur putride et infecte. Etait-il prudent de remuer les vieilles atrocités d'autrefois?

Le second qui montait représentait le futur. Il amenait les promeneurs vers le vide,dans les hauteurs, vers un temps qui n'est pas encore inscrit, où il n'y avait rien, mis à part une vue qui s'étendait à l'horizon, un horizon qui n'était que glace. Mais fallait-il avoir le coeur bien accroché pour oser regarder aussi loin?

Le troisième qui poursuivait tout droit représentait le présent. Le brouillard y est plus épais pour mieux voiler les obstacles qui se dresseraient sur le chemin. Le silence était plus obscur, plus mystérieux.

C'est alors qu'IL se retourna, avec cette silhouette maigrelette, fantômatique et toujours cette indescriptible sensation. C'était à elle que revenait le choix de leur destination. Elle sourit et son bras se tendit alors, pointant de son index long et fin l'une des directions.

" Par là bas....je la suivrais où qu'elle aille... "

Breïna montrait la troisième voix, la nuit continuait par là, alors c'était là bas qu'elle irait....

Il y a un proverbe bien connu dans le monde d'Elament. Allez donc savoir quel philosophe l'a pondu, depuis les décennies qu'on l'utilise sans y penser... à moins qu'il s'agisse d'un délire d'ivrogne qui se soit répandu de bouche en bouche. Les mortels sont suffisamment stupides pour cela. Et de toute façon, cela n'a strictement aucun intérêt. Bref, cette "perle" de sagesse courait sur toutes les bouches, quand les circonstances s'y prêtaient. Elle disait que quelques soient les circonstances, dans tous les domaines, chaque fois qu'une décision est à prendre, elle se résume finalement à trois choix. Accepter, rejeter, ou ne pas répondre.

Sottise ou trait de génie... Ce n'est pas à moi d'en décider, jeune impudent qui me lis. Si tu t'en juges digne, essaie donc de le faire à ma place.
Est-ce folie ... Est-ce sagesse ... Et-ce que tu n'en sais rien?
Mais est-ce qu'en choisissant l'une de ces possibilités, tu n'en reviens pas au début de notre discussion? Le proverbe est donc justifié. Quoiqu'on puisse tout aussi bien décider qu'elle est à la fois folie et sagesse, ce qui ne faisait pas partie des trois propositions. Donc, le proverbe est faux. Problème : cette réponse est-elle un quatrième choix ou un refus de choisir? Comme toute pensée, elle est juste et fausse à la fois. Le concept de vérité est simultanément l'un des plus simples à énoncer et l'un des plus difficiles à obtenir ... immobile et perpétuellement changeante, elle miroite comme les facettes d'un diamant, ou comme les nuage d'un ciel de nuit.

Et à propos de nuit, revenons à nos moutons. Enfin, bien qu'il n'y aie aucun animal dans les environs qui présente les caractéristiques d'un mouton, à savoir quatre pattes qui descendent jusque par terre, de la laine blanche et une bouche qui fait "bêêêê". A défaut de cela, nous avons une fée aux yeux de sang et un démon au sang de nuit. Que le proverbe soit juste ou faux, eux en tous cas ont fait leur choix.

Quand Breïna a répondu, désignant le troisième chemin, son compagnon s'est contenté de se mettre en route sans répondre. Tous deux, à présent, marchent côte à côte sur la crête de la colline. Une seconde, les yeux fermés d'Iblîs la dévisagent. En règle générale, les gens n'avaient rien de plus pressé que de s'écarter de la route du brouillard noir. Cette jeune femme avait fait tout le contraire. A peine arrivée dans un lieu plus dégagé, elle avait choisi la route qui les replongeait tout droit dans le royaume incertain de la nuit. Le démon sourit, de façon assez inhabituelle chez lui.

"Vous êtes la seconde personne que j'aie rencontré dans cette région à vouloir me suivre. J'espère que vous serez la première à revenir."

Encore quelques pas, et le brouillard noir les engloutit. Le monde se réduisit à nouveau à une impalpable palette de bleu et de noir. Derrière eux, les brumes nocturne semblèrent se refermer avec un ricanement. Quelques minutes, il marchèrent ainsi au milieu des ombres mouvantes, comme des marionettes au milieu d'un décor pris de folie. Mais les ténèbres étaient plus silencieuses, tout à coup. Ne guettaient-elles plus celle qui les défiait sur leur domaine? Ne l'épiaient-elles plus avec la fixité de prédateurs invisibles? Oh non... l'Ombre se taisait à présent. Elle marchait, elle aussi, accompagnant la vivante et le non-vivant là où ils avaient choisi d'aller. Comme on conduit le sacrifié à la mise à mort, la fiancée à l'autel, ou l'invité à table... D'ailleurs, à bien y réfléchir, la situation tenait un peu des trois.

"Mademoiselle Breïna" demanda soudain Iblîs sans tourner la tête, "bientôt les miens et les vôtres se feront face devant Elament."

La question suivante était "dans quel camp serez-vous"? Logiquement, assurément, normalement. Oui. Sauf que cet homme est tout sauf normal. Alors, la question ne vient pas, laissant juste un silence qui invite, tandis qu'ils poursuivent leur marche sur la crête...

Breïna se tenait droite, face au chemin qui se dressait à elle, baignant un peu plus dans l'obscurité de la nuit, alors qu'elle venait à peine de rejoindre un sentier où la vue était dégagée. Le bras qu'elle tendit précédemment pour indiquer la voie à suivre s'abaissa alors lentement. La fée semblait étonamment calme, alors que quiconque serait sans doute effrayée, surtout avec une aussi étrange compagnie. Le démon était si stoïque, serein, froid, inerte... un fantôme.

Mais pourquoi l'avait-elle suivie? Qu'est-ce qui l'avait poussé à se trouver là maintenant? Quelle était donc la nature de ce soudain envie d'être dehors? La lune rouge? Ce n'était pas la première qu'elle la voyait.... Breïna ne croyait pas au destin, ni aux coïncidences.... elle pensait que certains évènements étaient inéluctables, que le hasard n'était pas de ce monde sinon celui-ci se serait acharnée sur elle d'une certaine manière.

Le regard de la fée essaya à présent de percer la brume profonde, celle qui foulait le chemin qu'elle avait choisi. La crête de la colline était si lugubre en cette soirée, le pas si funèbre.

Le son de la voix d'Iblîs retentit alors, coupant net le silence qui venait de s'imposer. A son tour, la fée sourit, notant particulièrement les mots qu'il eut employé.

" Mmmmm.... la seconde alors.... Mais ce qui m'étonne le plus dans cette révélation, est le terme "espérer" dans votre bouche. Et c'est espoir est inutile.... j'en reviendrais.... "

Il était vrai qu'elle se jouait de la grande faucheuse constamment, qu'elle provoquait le danger, mais paradoxalement c'était cela qui la rendait vivante, qui lui faisait prendre conscience que quelque part son existence n'était pas si insignifiante, bien que le terme ne soit pas le plus approprié....

Elle nota cependant un petit sourire étrange sur le visage cireux du démon. Etonnamment, celui lui parut bizarre.... mais peu importait alors, ils s'enfonçait tout deux dans la nuit, et elle en arriva à un point où les traits de la pâle figure de son compagnon de route n'était guère dicernable.

Tout était si étrange, mouvant comme un mirage en plein désert jusqu'à ce que le néant prenne place, imposant un silence de mort. Le calme avant la tempête?

Ce fut alors que de nouveau le démon prit la parole, rappelant ainsi la réalité des évènements, de la situation actuelle.... Se demandait-il alors qu'elle serait sa prise de position dans cet affrontement?

La fée ne répondit pas tout de suite, mais ces paroles seraient honnêtes.

" Il est vrai.... bientôt la terre se retrouvera de nouveau souillée par le sang des combattants....Sachez ceci..... je n'ai rien contre les démons, mais je ne suis pas plus attachée à la cité....pour moi, elle fut un refuge où je pouvais enfin m'adonner à mes dons mais.... des refuges, il y en a partout....même si je ne pourrais être entière.... je n'ai pas de véritables raisons de me battre pour l'un des camps...."

Les yeux dorés de la jeune femme semblait si vide alors. Il était vrai. Elle n'avait rien. Elle ne désirait rien pour ne pas le perdre de nouveau. C'était la complexité de l'esprit des vivants.

" Cependant.... il serait hypocrite de ma part de dire que cela me serait indifférent.... je sais pertinament qu'il y a des êtres parmis les nobles combattants qui se dresseront les uns contre les autres que j'aprécie, et cela n'est pas négligeable pour les gens comme moi.... comme vous l'avait si bien dit.... j'espère que j'en verais revenir...."

Breïna soupira banalement, suivant sa route. Elle ne fréquantait pas tellement la cité et en connaissait que très peu d'habitants. Il était facile de savoir qui elle aurait aimé protéger. Mais là, son domaine était la forêt, les collines, les ruisseaux, la lagune.... la nature, son soleil et sa lune... Et ce soir, c'était la nuit, les ténèbres qu'elle apprenait à découvrir un peu plus...

" Nous saurons bientôt.... bien assez tôt.... quel sera le devenir de la cité...."

La seconde...
Il ne se souvenait plus de quand il avait rencontré la première? Quelques jours? Quelques mois? Un des inconvénients d'une espérance de vie trop longue, c'est qu'on finit par perdre toute notion du temps. En tous cas, c'était depuis qu'il hantait les environs d'Elament.

Elle se nommait Kaylin Sölten, et c'était aux grottes de Sûrion qu'ils s'étaient rencontrés. Elle ne lui avait pas demandé si elle était un démon. Lui ne lui avait pas demané si elle était élève ou habitante de la Cité. Presque naturellement, ils avaient fait route ensemble. Le jeune fille l'avait accompagné alors qu'il s'enfonçait sous terre, tout comme Breïna le suivait à présent qu'il avançait au cour de la nuit. Ils étaient descendus loin, très loin, en direction de l'antique cité Drow qui dormait sous les Falaises. Là, l'Ombre était profonde et fascinante, plus que ce que les mortels pouvaient supporter.

Là, Kaylin avait ait ce que les êtres de la surface ne font jamais. Elle avait prêté l'oreille et entendu les Ténèbres murmurer, quelque part entre les murs de la ville au fond de l'abîme. Depuis le début, il avait senti en elle cette attirance malsaine qu'on parfois certains vivants pour les Ténèbres. Cependant, jusque là, elle aurait encore pu renoncer. Mais elle écouta le chant des noires sirènes, et il fut trop tard. La Nuit la prit, et commença à la ronger. Elle n'avait même plus voulu parler avec lui. Elle avait désiré continuer, aller voir ce qui dormait au cour de cette cité devenue maudite. Il ne l'en avait pas empêchée. En la voyant s'engager dans les rues de la Cité, il avait haussé les épaules. Rester pour voir la suite aurait été inutile. Il était remonté sans se retourner.

** Au final, les mortels sont tous les mêmes. ** avait-il songé en ressortant seul d'une grotte qui ne rendrait jamais sa proie. ** Ils peuvent combattre et vaincre, mais ce qu'ils sont incapables de faire, c'est de s'affronter eux-mêmes. **

Serait-ce la même chose pour cette jeune femme? Breïna Elathia ... Il fallait avouer qu'elle n'avait pas cet éclat morbide dans les yeux. Il y avait sans doute plus de force en elle qu'en Kaylin ... mais l'appel des ténèbres touchait au plus profond des coeurs. Pourrait-elle s'arracher à l'étreinte? Ca ... Iblîs lui-même l'ignorait. Et au fond, cela lui était égal.

Tout comme il se moquait pas mal de savoir si la fée serait une alliée ou une ennemie dans la Bataille. Il n'essayait pas de la manipuler : la question n'avait pas été un piège. Juste de l'intérêt. Il approuva d'un signe de tête au point de vue de Breïna - et cependant, sa réponse fut accompagnée d'un rictus désabusé.

"Des personnes que vous appréciez et dont la mort ne vous serait pas indifférente? J'avoue que je ne peux pas en dire autant."

L'indifférence. Sans doute était-ce son trait de caractère le plus profond. Puissant, certainement ... Intelligent, d'une certaine manière ... mais Iblîs n'était pas un dieu, au contraire. Il lui manquait la chose que le dernier des mendiants peut considérer comme son bien. Plus handicapé qu'un homme paralysé des quatre membres, plus taré que le dernier des imbéciles. Joie, tristesse, colère, calme, tous ces sentiments, il en était privé à jamais. Il pouvait les feindre, mais au fond de lui, il n'y avait qu'une amertume infinie, un gouffre noir, et un goût de cendres. Il n'était pas mort : il n'était jamais né, tout simplement. Tombant éternellement dans les Ténèbres, incapables de dire si cela lui plaisait ou cela le faisait souffrir! Il n'y avait plus rien qui aie d'importance, plus rien à quoi il puisse se raccrocher. Nombreux étaient ceux qui avaient envié ses pouvoirs. Aucun ne les aurait acceptés s'ils avaient su combien terrible était le prix à payer.

** Fous, tous autant qu'ils sont ** songea le démon comme il l'avait fait tant de fois.

Cela faisait maintenant plusieurs minutes qu'ils marchaient, escortés par le brouillard, quand Iblîs s'arrêta. Devant eux, se dressait une haute paroi noire : celle du sorte de boursouflement rocheux qui terminait le promontoire. Cette colline était connue des Habitants de la Cité, mais elle avait mauvaise réputation. A son sommet, des rochers et des arbres morts entouraient une petite mare. L'eau en était noire et empoisonnée. Les oiseaux et les bêtes avaient déserté l'endroit, et les corbeaux étaient les seuls êtres vivants qui le fréquentaient.

"Cela fait bien longtemps que je n'avais pas remis les pieds ici" commenta Iblîs en commençant à escalader légèrement la pente. "Comment appelez-vous cet endroit, à Elament?"

Tout lieu avait un nom, que ce soit dans la langue des hommes, dans les murmures de la nature et les mots secrets des animaux. Il s'écoulait souvent plusieurs décennies avant que le Vagabond Noir ne repasse aux même endroits, et il avait rarement vu des mons qui tenaient bien longtemps ...

Breïna se laissait bercer par le brouillard, à la fois lourd et léger, tout dans le paradoxe le plus mystérieux. C'était à ne rien comprendre. L'endroit était si sombre et malsain et pourtant si attirant. Voilà une chose à laquelle il fallait hautement se méfier.

Marcher, marcher. Le temps commençait à s'écouler plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Etais-ce parce que celui-ci ne faisait qu'éffleurer son compagnon, sans jamais l'atteindre? n'ayant aucune prise sur lui? Les ténèbres avaient une drôle d'influence sur la subjectivité des choses. La fée ne devait tomber dans un tel piège.

C'est alors que Iblîs eut un bref mouvement de tête, suggérant qu'il avait écouté ses dires et par conséquent, il avait quelque part approuvé les siens. Les yeux de Breïna regardait toujours devant elle, alors qu'aucune forme n'était visible au devant. Néanmoins, un petit sourire se dessina au coin de ses lèvres, discret, malicieux, étrange.

" Cela est évident.... que vous ne pouvez faire de même que moi. Les ténèbres n'ont pas de sentiments, et si c'est le cas, ce n'est pas du même ordre que nous les autres pauvres mortels. La seule chose qui, peut-être, ne vous laisse pas indifférent, sont vos ambitions...et encore..."

La jeune femme tourna alors la tête en direction du démon au visage cireux. Son sourire avait disparu, mais son regard exprimait quelque chose de différent. Il résidait alors dans sa voix une sorte de mélancolie, ou un sentiment qu'il ne pouvait être décrit.

" Je vous plains.... Autrefois, j'aurais désiré être comme vous. Puissante, ne pouvant être attendrie par quoique se soit, ne pas connaître une once de sentiments, ne jamais pouvoir être submergé par de telle chose..... à présent, je vous plains. L'indifférence même qui vous anime est l'essence des ténèbres, ce qui fait de vous, le démon que vous êtes. Quelque part je vous perçois comme un damné. Aussi longue que doit être votre vie, je suppose qu'il y a bien de chose auquel vous n'aurez jamais droit de goûter..."

Il ne fallait absoumement pas voir de la pitié dans ses dires, mais plus une sorte de constatation. Il lui avait fallu bien des années pour comprendre la chance qu'elle avait, d'être si humaine, du moins de ressentir ce qui la faisait souffrir et ce qui la faisait sourire.

Au bout de quelques minutes, Iblîs s'arrêta, et Breïna fit de même dans le plus profond silence. La vue se dégageait légèrement, laissant place à un lieu de mort. On pouvait humer avec facilité une odeur empoissonée, et les croassements des oiseaux de mauvais augures donnaient le frissons. La fée vit alors un point d'eau se dessiner devant ses yeux, encerclés par des arbres morts et des roches aux aspects effrayants.

La jeune femme suivit le fantôme, grimpant la pente qui se dressait devant eux, sans poser de questions. Néanmoins, elle prit le temps de lui répondre pendant leur montée.

" A Elament? Personne ne vient ici, personne ne sait donner la peine de lui donner un véritable nom. Sans doute que ce lieu fait partie de leur tabou. Mais.... j'ai entendu dire, le plus souvent en tout cas, qu'il appelait cet endroit la colline des âmes perdues.... parce que seuls les fous viennent s'y aventurer et parce que personne n'en revient.... les mots âmes perdues prennent alors un double sens...."

Breïna prononça ses paroles avec calme, alors qu'une brise étrange et surnaturelle vint lui souffler dans ses longs cheveux de jais. Ceci la fit frissonner alors. L'atmosphère se faisait lourde mais elle n'était toujours pas effrayée...

* quel triste endroit...*

Alignés sur la branche, ils dorment. Ils sont les messagers funèbres, l'aile noire qui plane au-dessus des batailles, l'oiseau au plumage de deuil ... partout chassés, partout haïs, cela leur a appris à ne pas se soucier de là où ils dormiront. Le lieu n'est pas important quand on sait que demain il faudra partir. Alors, que ce soit sous les vertes feuilles des forêts elfiques, ou sur les branches morts de ce sombre étang, les corbeaux sommeillent avec indifférence, la tête sous l'aile.

Rire!

Dans un bruissement d'ailes paniquées, toute la bande s'égaille soudain, tirée du sommeil pour s'éveiller dans la nuit du cauchemar. Sous la Lune Rouge, ils s'envolent, et tandis que leurs cris rauques retentissent dans le silence, ils se fondent dans le ciel de cette nuit où les étoiles semblent éteintes. Ils fuient, eux que même les armes n'effraient pas! Même la tempête qui secoue les cieux est poux un terrain de jeu, même les aigles et les autres prédateurs du ciel redoutent de s'attaquer aux Ailes Noires quand elles sont en groupe ... alors, d'où vient cette peur qui les emporte?

Le sombre rit!

Ah, vraiment. La réponse n'était pourtant pas si drôle. Encore moins les mots qui avaient précédé. Je te plains, avaient-ils dit : sans mépris, mais aussi cinglants que des mèches de fouet, pour un démon. Autrefois, j'aurais désiré te ressembler, mais je sais que tu es damné ... non, en effet, il n'y avait là rien de comique. Et Iblîs n'avait pas ri à cela. Il n'avait rien dit de plus se contentant d'avancer sans rien ajouter, n'avait ni approuvé ni infirmé ce qui avait été dit. Jamais il ne s'était plaint, et il n'allait pas commencer aujourd'hui. L'auto-apitoiement était pour les faibles, et si vous voulez la force, apprenez à porter vos maux sans en parler sans cesse. Et puis, jouer le rôle du héros tourmenté par son destin lui allait très mal ... si l'honorable assistance s'attendait à ce qu'il s'effondre en pleurant, puis reçoive l'illumination qu'on peut redevenir humain en se comportant comme les "bons" ... eh bien, que l'honorable assistance apprenne que Bisounours Land, c'est la porte en face.

Mais Breïna était diférente. Il n'y avait pas d'apitoiement dans ces mots : si le mépris importait peu aux démons, ils étaient allergiques à la pitié. Alors tous deux avaient délaissé le sujet, car tout était dit, et tout était à dire. Peut-être y avaient-ils pensé, chacun de son côté. Peut-être Iblîs se répétait-il le mot "ambition" proposé par la fée comme seule chose capable de l'intéresser, et encore. Au fait, Iblîs avait-il des ambitions? Tout dépend. Si vous entendez le mot comme un désir de pouvoir et de haute positions, la réponse était non. C'était quelque chose dont il se moquait totalement. Mais si vous entendez l'ambition comme un objectif, un désir, alors qui sait? Si le démon se trouvait là, il était forcément à la poursuite de quelque chose...

En attendant, la course s'était arrêtée. Le rire grinçant du démon laissa à nouveau place au silence, tandis qu'ils touchaient en haut du talus. Il laissa la discussion s'éteindre, car parler lui-même n'était pas quelque chose sur lequel il aimait s'étendre.

"Les mortels ont beau être généralement stupides, ils ont eu un trait de génie en trouvant ce nom."

Le sommet de la colline était une sorte de petit cratère entouré de rocs. La mare était à présent à quelques mètres, noire et silencieuse, ceinte de sa sinistre couronne d'arbres morts. Pas un clapotement sur la surface de jais. L'eau était aussi lisse qu'une dalle de verre coulée à même le sol. Tout le silence de cette nuit semblait s'être concentré autour de cet étang. Le vent de la nuit et les chuchotements de l'ombre, eux-mêmes, s'étaient tus. Les Sombrals n'avaient pas gravi les rochers. Le brouillard noir était resté en bas, ondoyant silencieusement. Là où ils étaient, ils n'y avait plus de brume. Le ciel était immense désert, hormis le disque lunaire, gigantesque phare sanglant planté au milieu du ciel. Son éclat effaçait les étoiles et projetait même leurs ombres sur le sol. La Lune Rouge...

Le démon avança au bord de l'eau. Courbant sa haute silhouette, il agita l'onde de la main. Les reflets se cassèrent, déformant le reflet de la lune. Alors, Iblîs s'assit sur un rocher et ouvrit lentement les yeux. Depuis leur rencontre, il les avait gardés clos. En se relevant, les longs cils découvrirent quelque chose d'étrange. Les yeux de l'homme noir n'étaient pas féroces et durs, flamboyants ou fominateurs comme ceux des démons habituels. Ils étaient calmes et sombres, comme deux lacs de mercure. Gouffres sans fond ouvrant sur l'abîme, ils se fixèrent sur la voûte nocturne, pendant qu'il parlait d'une voix lente.

"La colline des âmes perdues, mademoiselle Breïna? Ils ne le savent pas, mais ils ont parfaitement raison. Cet étang renferme un secret qui ne s'éveille que les nuits comme celles-ci. Voyez-vous, il appelle, il fascine. Il attire à lui ceux qui marchent quand le jour est parti, en ouvrant des routes au coeur de la forêt. Ceux qui parviennent ici sont ceux qui aiment la nuit cherchent la vérité sur elle. Mais en la trouvant, ils se perdent souvent eux-mêmes. Ne vous l'ai-je pas dit, tout à l'heure? Elle se cache au fond du coeur des hommes."

Sans bouger la tête, il observa une seconde la fée mystérieuse du coin de l'oeil. Sous ses gestes langoureux, il y avait quelque chose de dur et de ferme. Comme la proue d'un navire fendant l'eau sombre de l'océan, elle avait tracé son chemin jusqu'ici. Pas une seconde elle n'avait hésité à suivre son guide, l'étoile noire qui le menait là où nul n'aime à se rendre. Elle avait décidé de savoir, elle saurait. Oui ... il y avait de la force en elle.

Mais serait-ce suffisant? Iblîs reporta ses prunelles sur la Lune Rouge, qui s'y refléta en perles de sang.

"Cet étang n'est qu'un miroir qui montre cette vérité. Mais prenez garde. Si vous vous y penchez, vous y verrez tout ce qu'il y a de sombre en vous. Si vous pouvez le supporter, vous aurez fait un pas en avant pour le connaître et le dompter. Un jour, vous pourrez alors le contrôler. Pour le détruire, ou au contraire l'accepter. et le faire grandir. Mais si vous n'êtes pas assez forte ... alors la Breïna qui vous sourira vous emportera, et votre corps disparaîtra au fond de l'étang. Comme les autres ... "

Le menton au creux de la main, il se tut. Au bout de la route, il y a un dernier choix à faire. Une porte qui ouvre sur ce que tu cherches, mais aussi sur ce que tu regretteras peut-être. Alors? Ouvrir la Boîte de Pandore ou la laisser fermée? Prends garde! Le Serpent noir te couve de ses yeux d'obsidienne...

Il est intéressé, malgré tout ... juste pour un instant, avide d'une distraction qui lui permettra d'échapper à son ennui. Lui ne sait pas ce que les mortels peuvent ressentir quand ils ontemplent le sombre miroir. Lorsqu'il s'y penche, il n'y voit rien, même pas son reflet. Car comment la Nuit pourrait-elle refléter la Nuit?

Et puis, il se demande ... depuis qu'il a ouvert les yeux, il a vu, dans ton bras, tournoyer la malédiction qui dort. Un maléfice qui n'est pas de ceux qu'il connaît bien. Sa lumière n'est pas noire, mais rouge et furieuse ... ce ne sont pas les Ténèbres mais autre chose que tu portes sur ton bras, en toi. Comment cette marque réagira-t-elle au miroir qui révèle les ombres de l'âme? Hurleras-tu, les mains plaquées sur ton visage, devant le sourire de ton reflet? Fascinée, glisseras-tu jusque dans l'eau noire qui ne rend pas sa proie? Ou bien...?

Cela, même le prince de la nuit ne peut le prédire, et c'est pour cela qu'il attend, muet.

Breïna ressentait une opression dont elle ne saurait expliquer l'origine, et cela ne venait pas du démon cette fois-ci. Ceci al rendit perplexe. Finalement, cela avait-il été vraiment une bonne idée de le suivire? Lui, l'homme qui se confondait avec la nuit... Mais étais-ce vraiment lui après qui elle courrait?

Ses yeux dorés se mirent à scruter ce qui l'entourait. Tout n'était qu'un désert sombre, où la mort planait. La seule présence vivante à part les deux visiteurs était ses bons vieux corbeaux. Grand nombre de gens supersticieux voyait en eux les messagers d'un prémice funeste. Il était vrai que leur réputation leur faisait grandement défaut, seulement, Breïna ne voyait en eux que des oiseaux, de simples oiseaux aux sombres plumages. Même pour les animaux, elle en s'arrêtait pas sur une apparence ou une réputation.
Elle aurait été incapable de compter le nombre de fois où le chemin de ces bêtes de mauvaises augures et le sien s'étaient croisés, sur des champs de batailles, lorsqu'elle flanait sur les monts décharnés....

Soudain, Iblîs se mit à rire. La fée ne put retenir une petit sursaut. Qu'avait-elle dit de si amusant? Son ricanement était tellement sinistre que même les corbeaux prirent leur envol. Mais ce qui la surprit le plus était qu'il savait rire. Son visage semblait si inexpressif, si cireux, qu'elle était difficile de l'imaginer avec une telle expression sur le visage.

Les yeux de la jeune femme s'étaient à présent détournés des oiseaux pour se poser sur la silhouette du démon. Elle l'observait de haut en bas jusqu'à ce que ce rire étrange ne s'estompe.
Un sourcil levé, elle répondit néanmoins au démon.

" Un trait de génie? Vraiment? Mmmm.... peut-être.... en tout cas, ils sont débordants d'imagination. "

Breïna se mit alors à regarder la lune, se perdant dans son halo rouge. Alors que Iblîs, quant à lui, avançait vers le point d'eau. L'attention de la fée était totalement ailleurs, elle ne fit même pas attention à son petit manège avec les ondes aquatiques.
Quand enfin ses esprits revinrent dans le monde réel, elle s'aperçut qu'il s'était assis sur un rocher et que pour la première fois, elle pouvait contempler ses yeux. Cette vision là le rendait terriblement normal.... vraiment une impression étrange.

" Je me souviens parfaitement de vos mots.... Voilà donc ce qu'est cette endroit? Le miroir qui reflète la terrible vérité sur les ténèbres du coeur.... Mmmm... intéressant. Je me suis un grand nombre de fois confrontée à moi même. C'est le combat le plus difficile qui peut s'offrir à nous au long de nos vies... "

Lutter contre soi même, contre ses envies, était une épreuve terrible. Breïna ne le savait que trop bien. Seulement, la fée jouait avec sa vie depuis toujours.
Elle regarda de nouveau le démon et sourit étrangement.

" Bien. Allons donc voir comment je me fais face. Je me suis tant de fois remémorée ses souvenirs que je redoutais depuis lors. Les voir ici serait peut-être une façon de tirer un trait définitif sur cela. Enfin, d'une certaine manière.... "

Sans le faire attendre, elle s'approcha lentement avant d'hésiter quelques secondes. Ses yeux se fichèrent sur son bars puis sur la suface du lac. Finalement, décidée, elle s'approcha calmement.
Restant debout, les pieds au bord de l'eau sombre, elle se pencha alors et....

Elle vit son reflet, son simple reflet. Mais soudainement, il se mit à changer. Le regard de son image s'assombrit, son expression, expression haineuse qu'elle connaissait, se dessina sur les traits fins de son visage. L'arrière plan de son reflet devint flamme.... le feu..... un élément qu'elle avait tant cotoyé.... et voilà que de terribles souvenirs se dessinèrent, vestiges de son passé, de sa part d'ombre....

Une briève apparition de l'élément déclencheur, de l'apparition des ténèbres, de la nuit...

Une fillette.... un village où tout n'était que cendres, feu et fumée... une fillette au regard perdu et empli de larmes dans sa petite robe blanche noircie de charbon.... elle court, elle cherche.... des corps de fées autour d'elle qui ne sont que chairs brûlées.... sa maison.... empalé sur arbre, le corps d'une jeune femme aux vêtement déchirés, au regard effaré de terreur.... sa soeur..... un corps rué de coup, recroquevillé au sol, avec une expression de douleur que la chaleur des flammes commençait à rongé.... son petit frère..... plus loin, son père..... mais l'image changea rapidement....

La colère montait en Breïna, la rage refaisait doucement surface, et la marque noire s'éveillait.....

Un champ de bataille, une jeune femme, épée brandie, courait vers l'ennemi.... elle était aisément reconnaissable avec sa longue chevelure de jais.... une fée, lourdement armée, fauchant ses adversaires.... du sang, une lune au halo rouge, des morts....encore....

La marque noire apparut alros physiquement sur son bras....

Une femme marquée par la douleur, un visage crispé, un homme baillonée en train de se faire torturer.... lentenament, l'agonie se faisait sentir... douloureuse.... pénible.... pesante.... il appelait la faucheuse de toute ces forces.... bursquement, les yeux dorés de la fée devinrent rouges de colère.... ce n'était pas une veuve, une femme bafouée qui se tenait devant sa proie... mais une autre entité qui venait d'apparaître.... une épée.... et un châtiment funeste.... les yeux redevinrent dorés, mais des flammes s'étaient emparées du lieu.... le coeur s'assombrissait.... l'espoir s'échappait....

La marque étendait ses tentacules.....

Breïna se tenait figée devant le lac, les yeux perdus dans la noirceur des eaux. Seulement son visage pâle criait la douleur, sans un soupir.... une lutte, un appel.....

La marque sur son bras s'étendait de plus en plus, mais la fée bougea enfin. Son deuxième bras se saisit de celui qui possédait sa malédiction et le serra de toute ses forces.

Seulement, l'esprit de la jeune femme au cheveux de jais était encore en train de faire face à la noirceur de son coeur... il y avait encore des choses à affronter....

Une mélodie.

C'était cela qui occupait l'esprit d'Iblîs, tandis qu'il contemplait une fée mystérieuse livrer ce terrible combat contre elle-même. Sous ses cils, ses yeux d'obsidienne semblaient s'être allumés d'un feu inhabituel. Il ne pouvait pas voir ce que voyait Breïna. Mais il lui était possible de percevoir quelque chose de ce maëlstorm qui secouait la jeune fée. Ce lac était fait de la même chose que lui, tissé d'obscurité et de maléfices. En tendant son esprit, des sons et des images lui parvenaient, un peu assourdies, à la manière d'une antenne. Et à la manière d'un artiste décadent, qui regarderait brûler une ville en jouant de la lyre, il trouvait une certaine beauté dans le spectacle de la souffrance.

Comme deux araignées livides, ses mains aux longs doigts dansaient silencieusement sur un clavier invisible. "La" mineur, accord, double croche ... Assis sur son rocher, il regrettait de ne pas avoir à côté de lui le Grand Orgue qui dormait dans son repaire au fond de la Caverne. Il aurait été plaisant d'accompagner tout cela de notes bourdonnantes comme une cloche de cathédrale, de faire danser les sombres accords dans la nuit rouge. Les harmonies se seraient envolées sous la lune, donnant à la scène la puissance et la perfection des souvenirs qui ne s'effaçent pas.

Oui ... une symphonie de la nuit. Ou même une marche funèbre, dont la pureté n'avait d'égal que la solennité. Un Requiem ...

Recquiescat in pacem ...
Repose en paix.

Les lèvres d'Iblîs s'étirèrent en un rictus. Repose en paix? Non : ces mots n'étaient pas encore pour ce soir, ni pour lui, ni sans doute pour la fée. Depuis longtemps, il avait perdu la notion du temps. Mais un simple coup d'oeil à la lune suffisait à dire que le temps s'était écoulé, et Breïna faisait face. Tous ceux qu'il avait eu l'occasion de voir se mesurer au sortilège de l'étang, n'avaient pas tenu une heure. Cela en faisait presque deux que la fée affrontait la part sombre d'elle-même. Et elle ne cédait pas. La douleur habitait son visage, ses yeux et son aura, mais elle était toujours là, Pour la première fois, une âme pourrait bien revenir de ces lieux ...

Cela pourrait être intéressant. Lui-même ne savait pas trop quels effets cela produirait sur elle, de regarder et de vaincre les coins les plus sombres de son âme. Après tout, il n'avait jamais eu l'occasion d'expérimenter cela. Peut-être ses pouvoirs s'en sortirait-ils augmentés. Ou bien serait-elle plus résistante à la magie démoniaque. De nouvelles capacités pourraient se manifester chez elle. Ou peut-être rien de tout cela, juste la satisfaction de s'être vaincu soi-même.

De toute manière, la victoire ne serait pas définitive. Tôt au tard, dans sa vie, elle devrait affronter de nouveau ce terrible adversaire qui a pour nom "soi-même". Si la nuit se cachait au coeur des hommes, ils en étaient les seuls responsables. En elle-même, l'ombre n'était pas mauvaise - pas plus que le feu, ou tout autre chose. C'étaient leurs haines, leurs envies, leurs colères et leurs vices qui la rendaient froide et morbide comme Iblîs lui-même.

Et puis il y avait cette chose rouge et brûlante qui semblait habiter en elle, avec ce curieux tatouage à son bras ... il en émanait quelque chose qui n'était pas noirceur et poison, mais plutôt violence, flamme, folie ... Furie, même! On y sentait clairement une force différente de la douce magie des eléments, mais ... cela n'avait rien à voir avec les Tenèbres. Il aurait bien voulu en savoir plus dessus, mais le moment n'était pas particulièrement bien choisi pour aller poser la question.

Le démon se leva, et sa haute sihouette se dressa à côté de la fée. De ses yeux redevenus inexpressifs, il scruta la jeune femme.

"Vous avez assez de force pour résister à votre reflet. Il ne peut pas vous entraîner. Mais il vous reste à choisir, entre juste vous libérer de lui, ou l'attaquer pour le faire plier à son tour. Si vous voulez vous arrêter là, relevez-vous. Si vous voulez terminer ce que vous avez commencé, vous devrez plonger pour le poursuivre au foud de l'eau. Il n'y a que là que vous pourrez le dompter."

Puis Iblîs se tut et releva la tête. La Lune Rouge, suspendue comme un gigantesque ballon, descendait doucement vers l'horizon. Le temps s'écoulait, les heures avaient passé depuis qu'ils s'éaient rencontrés à l'orée de la forêt. La femme au prunelles d'ambre et l'homme vêtu d'ombre étaient toujours côte à côte. La lumière sanglante de la lune jetait un éclat surréaliste sur eux et sur le petit lac.

Il désira à nouveau avoir sous les doigts le clavier de son orgue ... oui, décidément, cette nuit était belle ...

Breïna était toujours sous l'emprise de la noirceur de son coeur. Le lieu dans lequel elle se trouvait avait la malchance de s'avoir comme l'attiser à la perfection. Mais après tout, la fée elle-même l'avait provoqué, elle savait pertiamemment que ce combat là serait rude. Finalement, n'avait-elle acceptée que par pure envie du défi? Parce qu'elle souhaitait réellement se débarasser du mal qui la ronge? Ou simplement par pure folie et inconsicence? Oh! Voilà une bien grand question... finalement c'était un peu des trois, du moins, c'est ce que l'on pourrait imaginer...

La jeune femme au cheveux de jais était immobile, ses yeux enflammées rivées sur l'eau noire. Approchez donc et prêter attention à ce qui se passe exactement... Son bras... Breïna avait toujours sa main empoignée sur la marque, cette marque si sombre qui voulait s'étendre comme du poison... mais les doigts de la jeune fée s'enfonçait dans sa propre chair, elle se serrait jusqu'au sang... la douleur... le feu... l'obscur... étais-ce si insoutenable que cela? Peut-être... tout dépendant de sa façon de le vivre, de le recevoir...

Ses ongles griffaient la peau noircie par la teinte du symbole des furies, bien que cela jusque là n'était qu'une hypothèse. On pouvait présent voir des filets de sang, léger mais tout de même présent.... Le corps de l'ancienne criminelle supportait bien des mutilations, mais où en était son esprit?

Il y avait là une femme encapuchonnée.... seule, silencieuse... une ruelle bien vide.... un homme tremblant.... une bourse à la main.... il transpire, il panique.... il hésite, puis laisse sa bourse avant de fuir.... sous une capuche, on dicerne des purnelles dorés.... la jeune femme ramasse la bourse et la cache sous son manteau... elle repart silencieuse, telle une louve...

Voilà un autre chapitre... une sombre silhouette observe... il y a une grande maison, un feu de cheminée... une famille noble en train de dîner... la silhouette se retire.... là voilà de nouveau cette silhouette, mais dans les hauteurs.... un balcon, la maîtresse de maison prend un peu d'air... elle semble triste, l'esprit obscurci... puis le noir.... on retrouve le balcon, la silhouette sombre qui tient un poignard ensanglanté, le corps de la jeune femme à ses pieds, rougie par son propre sang, une marre de sang... mais tout est silencieux, la lune brille....la silhouette essuie son arme sur le tissu de la robe de la femme noble.... un bruit, serrière la fenêtre, le regard d'une fillette terrifiée, incapable de crier.... la silhouette regarde rapidement... c'était la petite fille de la maîtresse de maison.... la silhouette s'enfuit..... Breïna venait d'accomplir un contrat d'assassinat...

Un autre épisode à présent... la fée... on la reconnaît à présent, distinctement et dans ses plus beaux apparats... elle est dans une chambre... elle ne porte qu'un voile sur ses épaules, la nudité l'habille alors... il y a un homme d'une fort belle beauté qui sourit malicieusement sur des draps de soie.... puis le noir revient..... il n'y a plus de sourire sur le visage masculin, mais un regard effroyable et livide.... la soie n'est plus que sang.... le regard de la fée sans expression, désintéressée.... un nouveau contrat d'établi.... elle se rhabille en prenant son temps.... la revolà dans une ruelle, une jeune femme aux cheveux d'or l'attend, la colère brille dans ses yeux.... Breïna lui tend un paquet, il y a un organe du beau jeune homme au sein de coli..... un sourir machiavélique et malfaisant se dessine sur le visage de la jeune femme.... à son tour elle lui tend de l'argent.... Breïna repart....

Cela en était trop. Combien de chapitres de sa vie allait-elle revoir? Devrait-elle faire face à chacun de ses péchés? Elle mourait si elle continuait, ils étaient bien trop nombreux pour être encore supporté, et son corps ne pourrait les soutenir également...

Breîna se mouvoit. Ses yeux s'éclaircicent... elle a la rage de vivre, de combattre, c'était évident. La marque.... elle recule, elel revient en arrière.... Puis une voix.... elle entend la voix du démon qui est auprès d'elle, mais la fée ne peut se retourner pour le regarder.... Ses yeux sont encore prisonnier du lac noir... mais à présent elle est de nouveau consciente... elle écoute, elle répond.

" L'attaquer maintenant serait prendre le risque de m'emputer d'une partie de moi-même... et une personne de mon espèce privée d'elle-même, même si c'est la sombre partie de son âme, c'est ne plus être qu'un pantin... le risque est bien trop grand.... je pourrais toujours revenir... mais avant cela, lorsque je serais définitivement prête, je me serais enldever un poid, un poid qui a failli me coûter la vie en cette soirée... "

La marque disparaît totalement, ne laissant qu'un bras pâle, déchiré par les marques d'ongles qu'elle s'était faite elle-même. Breïna recule alors, mais son regard reste rivé... puis elle crie, comme un déchirement... puis elel se détourne violemment du lac noir.

Epuisée, elle s'échoue à genoux sur la terre. Ses genoux prennnent soudain la teinte ocre de celle-ci, le visage de la jeune femme se ait plus blafard. L'épreuve fut bien plus difficile que prévue.... la jeune femme l'avait peut-être mal jugé... qu'importe alors. Elle reprend péniblement sa respiration avant de lever la tête vers le ciel étoilé.

La lune était toujours entourée du halo rouge annonciateur d'un mauvais présage. Lasse, et avec étrangeté, Breïna sourit.... Une brise d'air sortit de nul part vint lui rafraîchir le visage, balayant ses cheveux d'ébène.

Toujours agenouillée, son regard doré se posa sur le démon Iblïs, avec une certaine malice.

" Je pense que c'était encore un peu tôt finalement... Et bien.... c'était bien plus éprouvant qe ce que je m'étais imaginée mais... une expérience intéressante.... va falloir remettre ça une prochaine fois je pense.... et la grande faucheuse attendra aussi.... depuis le temps elle doit être habituée... "

Un sourire las et malicieux se dessina sur son visage, des mèches sombre vinrent lui voiler légèrement, son bras saignait encore un peu, ses doigs étaient rougies, mais cela ne la préoccupait pas visiblement.... incorrigible Breïna....

L'occasion est idéale.

Ce serait le bon moment pour sortir une belle histoire pleine de sagesse. Un récit moralisateur très classique. Un désert, des fauves, trois voyageurs Parmi eux, des prudents et des imprudents. Les uns, sûrs de leur force, fonceraient tête baissées dans le danger : paix à leurs âmes. Les autres, plus sages, auraient attendu de se sentir assez armés pour s'y aventurer ... victoire, happy end, générique de fin. Morale de l'histoire, ne vous sur-estimez pas. Conclusion, "bravo Dame Elatha, vous avez fait le bon choix."

Soit.
Sauf qu'on est pas dans les Fables de la Fontaine.
Sauf que cette histoire est d'un kitch à donner envie de vomir.
Sauf que la Dame Elatha en question n'a pas besoin qu'on lui donne de leçons.
Sauf qu'en racontant trop de belles légendes, vous n'êtes plus un sage mais un raseur.
Sauf que la personne qui est censée raconter cette histoire n'en a purement et simplement rien à cirer.
Donc, tout bien considéré, on se passera de la fable.

Reprenons! Breïna vient de se redresser. Ce fut un mouvement lent, mais sûr. Un élan qui est l'expression de sa volonté. Car c'est à force de volonté qu'elle quitte le rêve, ou plutôt qu'elle échappe au cauchemar. Un centimètre ... encore un ... un cri ... et la jeune fée bascule en arrière, libérée. La force invisible qui hypnotisait le regard fixé sur le lac, vient de se briser. Pour la première fois de son histoire, cet étang à maléfices est tombé sur une proie plus forte que lui. Peut-être n'est-ce qu'une impression, mais il semble qu'un frémissement de colère fait onduler la surface de l'eau.

La jeune fée ne l'a pas vu, épuisée comme elle l'est. Mais peut-être Iblîs l'a-t-il surpris, entre ses longs cils presque féminins. Cela expliquerait le léger sourire qui flotte à nouveau sur ses lèvres. Mais allez donc deviner ses pensées ... d'ailleurs, il s'est déjà détourné de l'étang. Il écoute les mots de Breïna.

"Il est vrai que la Dame à la Faux n'est pas pressée ... elle a le temps. Tout son temps. En fait, elle a l'éternité. Peu importe les chemins que vous prenez, vous vous fatiguerez avant elle. Tous le savent, les choses, les animaux, les démons et même les dieux ... "

Avec une douceur que l'on attend guère chez un être aussi sombre, le démon referme sa main autour du poignet de la jeune femme et l'adosse aux rochers. Malgré la courtoisie du geste, le contact froid de l'obsidienne incrustée dans le creux de sa main laisse une impression déplaisante. Pourtant, si la jeune aveugle nommée Sélène avait été là, elle aurait été surprise. Toute chose effleurée par la peau d'Iblîs a tendance à se colorer en noir, contaminée par une sorte de malédiction. La jeune femme en savait quelque chose, elle qui avait été empoisonnée rien qu'en buvant l'eau d'une cruche tendue par le démon.

Mais sur le bras de Breïna, pas une trace. Certes, elle n'avait pas vaincu la part sombre d'elle-même, d'ailleurs, nul ne le pourrait totalement. Mais elle avait appris à l'empêcher de la submerger, à lui résister de toute la force de son corps et de son âme. Les Ténèbres qui formaient le corps souillé d'Iblîs ne pouvaient plus la brûler. Celui-ci le savait probablement, tandis qu'il contemple le reflet sanglant du ciel dans l'eau.

"Les mortels le savent aussi" reprit-il en fixant le lac, "et c'est justement parce qu'ils le savent, qu'ils aiment danser avec elle sur le fil de sa faux. Vous aussi, quand le moment sera venu, vous saurez retrouver ce lieu. D'ailleurs, je ne pense pas que vous auriez eu besoin de moi pour le découvrir ... vous êtes bien de ceux qui n'ont pas à craindre les ombres, une libre citoyenne de la Nuit."

C'était ainsi. Désormais, les Sombrals respecteraient Breïna. Elle les avait défiés au coeur même de leur repaire, un lac noir et maudit sous le ciel sans étoiles. Ils ne la craignaient sans doute pas encore, mais savaient qu'ils n'avaient pu la vaincre. A partir de cette nuit, elle était une Dame du royaume de la Lune Sombre. Que celle-ci soit rouge ou noire, elle pouvait marcher au milieu des ombres, et les ombres s'écarteraient sur son passage.

Une courte pause ... et soudain ...

"Au revoir, Dame Breïna."

Pardon? ... Oh, ce n'est même pas la peine de tourner la tête. Vous commencez à le connaître, n'est-ce pas? Au sommet de la butte, il y a toujours l'étang obscur et les arbres morts, le silence de tombeau. Il y a toujours, par une étrange illusion d'optique, ce disque lunaire qui paraît emplir tout le ciel. Mais il manque désormais une chose. Sans un bruit, sans un froissement d'air, comme évaporée ... à un mètre de vous, la grande silhouette mince a disparu.

Iblîs n'est plus là. Mais si vous avez besoin de lui, chuchotez son nom dans le noir. Il y est souvent.

une rencontre insolite (PV Iblîs)

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