[TERMINÉ] Un élève un peu particulier...

Mer 12 Sep 2007 - 8:33

HJ : je viens de lire la description des lieux et j'ai relevé une pitite coquille, il y a "un bureau, un bureau et..." Wink

Clac clac clac...

Le bruit se répercutait sur les murs, le long du couloir menant en salle des professeurs. Si Naja avait trouvé amusant - il y a peu - le regard des quelques élèves timides, impressionnés par ses griffes monstrueuses aux pieds, aujourd'hui, il n'y prêtait plus vraiment attention. En fait, il n'avait pas vraiment le coeur à cela. A dire vrai, peu d'étudiants se retournaient à son passage, blasés, semblait-il, par les évènements de ces derniers jours. Combien en avaient-ils vu, des créatures aux griffes mille fois plus dangereuses que celles de l'Aasimar et prêt à vous porter le coup fatal, celles-ci...? Trop, sans aucun doute.

Clac clac clac clac...

L'écho fit remarquer à Naja que les couloirs n'étaient que trop vides et ses regards partirent à la recherche des élèves qui auraient dû se trouver ici. Il y en avait quelques uns, mais peu d'entre eux discutaient. Bien sûr, Elament relevait la tête comme elle le pouvait. Elle n'allait pas rester en deuil indéfiniment, il lui fallait reprendre espoir, repartir, plus forte. Pourtant, on sentait que chacun avait beaucoup perdu durant cette bataille insensée. Certains avaient vu mourir leurs proches, d'autres – comme Naja – n'avaient retrouvé que ruines à la place de leurs biens, et d'autres encore avaient tout perdu, amis comme maison... Malgré les efforts, il fallait bien l'admettre, beaucoup avaient encore le goût âpre de la défaite dans la bouche.

A quoi bon survivre, si on est seul et démuni ? Parce qu'il le faut. Pour réparer ce qui peut l'être, relever ceux qui sont à genoux et reconstruire la vie. Parce que la vie trouve toujours un chemin, même dans la douleur la plus profonde, à l'image – pensa le gérant fatigué – de ces fleurs sauvages qui surgissent d'entre les pavés froids des ruelles. Ce n'était pas du tout dans les habitudes de Naja de céder à ce type d'état quasi dépressif, mais cette fois, les évènements l'avaient dépassé d'un peu trop de hauteur... A cause de sa faiblesse, de sa naïveté et de tout ce qui fait que Naja est Naja, il s'était laissé capturé et avait mis la Cité en danger en déstabilisant Naciniah... ainsi que le front dont elle était responsable.

Clac clac clac...

De voir l'école debout, quasi intacte, l'avait rassuré. Et comme cela devait rassurer les élèves, à n'en pas douter... Retrouver un point de repère épargné... quel soulagement ! A chacun de ses pas, une petite flaque adoptait la forme très vague d'un pied. Cela faisait des jours entiers qu'il pleuvait sur la Cité, comme si le ciel souhaitait tout nettoyer, tout noyer peut-être ? Les rares façades encore debout étaient lavée des souillures pourpres du combat, l'eau éteignait les feus, les rigoles emportaient les cendres, la pluie noyait les larmes sur les visages fatigués... Cela n'arrangeait pas vraiment les affaires de l'Aasimar, la grande voûte de son Bestiaire ayant été détruite – entre autres choses réduites à néant dans sa boutique. L'eau inondait sans cesse les lieux, ruisselait jusque dans la grande caverne tortueuse réservée aux Dragons... Caverne aujourd'hui habitée d'un unique spécimen délaissé, car trop âgé pour le combat.

Clac clac...

C'était là. Devant lui. « Bureau d'Archael, professeur Aera ». Archael... ce prénom lui rappelait vaguement quelque chose, mais cela sembla si lointain que Naja s'en désintéressa. Ce qu'il voulait, c'était un professeur et peu lui importait son nom. Il prit une grande inspiration, comme un élève intimidé qui cherche à se donner courage.

BAM BAM BAM !

Le bruit le fit presque sursauter. Il avait frappé un peu fort, dans son élan. Ce Archael n'était pas sourd, tout de même...

Lun 24 Sep 2007 - 8:07

Oui, il pleut aujourd'hui ... Il pleut à verse, à seaux, à torrents!

Depuis une semaine et demi que la Bataille est terminée, il n'a fait beau qu'une seule fois, mardi dernier. Ensuite, le temps s'est remis à la pluie. Par terre et sur les toits, elle fait entendre son bruit soyeux et noie toute chose dans son grand manteau. Le ciel est invisible parmi les brumes, et c'est un néant gris-blanc qui plane au-dessus de nos têtes, presque plus vertigineux que le bleu des beaux jours.

Il fait tiède pourtant, et la pluie n'est pas froide. On dirait seulement que le ciel est en deuil ... tombent les gouttes sur le pavé, souffle le vent dans les hautes tours, en une mélopée sans fin. C'est comme si après le tonnerre de la guerre, le monde était encore anésthésié. Il faudrait encore quelque temps pour que les gens sonnés se réveillent de leur torpeur, pour que cette hébétude se dissipe et que le monde recommence à tourner.

Dans la Cité, tout est redevenu calme. La majorité des habitants tentent de ce remettre de ce qu'ils ont traversé. La reconstruction des bâtiments publics n'a pas vraiment commencé. Pour l'instant, chacun compte ce qu'il a perdu. Après la souffrance, c'est le temps del'acceptation. Bien des peines, bien des larmes coulent encore en Elament. Elles coulent dans le grand silence de la pluie, jusqu'à ce que les blessures s'apaisent tout doucement ...

L'école est étrangement muette, privée du bourdonnement des voix et des courses des élèves. Même le couloir des professeurs semble déserté. Et dans ce calme, trois coups énergiques résonnent soudain.

***

" Entrez! "

Une porte qui grince ...

Le bureau d'Archael n'a pas été épargné. La grande pièce qui domine la Cité a servi de guet et de poste de tir pour les archers, à cause de sa vaste ouverture. Il n'y a pas eu mêlée dans la pièce, mais un éclair noir a balayé les lieux et tué les occupants. Les corps ont été enlevés et les lieux nettoyés; pourtant on devine que là aussi, la mort a frappé. Et puis il y a ces traces de projectiles sur le mur, qui n'ont pas encore été réparées. Les catapultes de Vishnu Garland ayant bombardé l'Ecole avec une ardeur assez remarquable.

Heureusement, les meubles sont de toute façon si peu nombreux qu'ils s'en sont sortis sans trop de dégâts. La matière cristalline dans laquelle ils sont taillés semble aussi résistante que légère. Les deux fauteuils, le banc et le bureau sont toujours là, les deux boules de cristal aussi - la grande et la petite. Au milieu de tout ce désordre, au fond, le bureau n'a pas tellement changé ...

Son occupant si, par contre. Celui qui était assis et qui vient de se lever pour vous accueillir, un bras en écharpe.

Après ces longues semaines de guerre, il a toujours sa silhouette grande et frêle, ses ailes scintillantes et ses vêtements tout simples, sans prétention. Mais sa longue chevelure est coupée à l'épaule : disparue, la longue cascade d'argent de jadis. Et à mesure qu'il s'approche, on comprend que le changement est surtout intérieur. Le visage semble creusé par la fatigue ou les soucis. Les yeux sont toujours de ce bleu incomparable, mais ils ont changé leur expression rêveuse contre une gravité sereine. Le regard de ceux qui ont beaucoup souffert en peu de temps.

" Nous nous connaissons déjà, je crois ... " salue l'ange en abandonnant son bureau couvert de papiers. " Naja Notos, si je me souviens bien? "

Même sa voix a changé, devenue un peu plus rauque. Seul son doux sourire est semblable à quelques semaines auparavant, un peu plus grave peut-être. Et le pouvoir de ce sourire est tel qu'on en oublie le bras bandé de blanc et la chevelure massacrée.

Le Trône avance un siège. Il empoigne la liasse de parchemins qui se trouve dessus et la dépose sur le bureau. Listes d'habitants morts et survivants, demandes de moyens ou de personnel pour les réparations, rapports de surveillance d'un éventuel retour des Démons ... tout ce que la fin d'une guerre implique et que les professeurs restants peinent à gérer. Ils sont si peu nombreux, après les morts, les défections, les blessés!

Avec discrétion, il prend soin de placer le fauteuil dos à la vaste fenêtre. Il se souvient du frisson qu'il avait deviné chez Naja lors de leur première rencontre, quand il avait regardé le Condor s'envoler. Le vertige ... la discussion aurait pu être assez pénible dans un bureau pareil, avec un mur inexistant et soixante mètres de vide dessous!

" Prenez place et excusez le désordre. Les responsables de toute la Cité se sont succédés ce matin, et nous avons eu trop de pain sur la planche pour trouver le temps de ranger. "

Mer 26 Sep 2007 - 16:57

[HS] « Le Trône avance un siège », mdrrrrr (j'ai pas pu résister)[HS]

« _ Haji...! »

C’était le seul mot qu’avait pu prononcer Naja, le seul qui lui était venu à l’esprit. Est-ce que cela signifiait quelque chose en langage des Aasimars ? Était-ce un juron, un blasphème ? Les yeux écarquillés et la bouche à demi ouverte dans une expression de grand étonnement, ce mot était sortit de lui-même. Qu’est-ce que cela pouvait bien pouvoir dire ? C’est la question que vous pourriez vous poser longtemps... mais qu’aucun des deux jeunes hommes ne se pose pourtant ici. Naja n’oubliait ni les bêtes qu’il vendait, ni les personnes auxquelles il les cédaient, d’autant plus lorsque l’une d’elles se trouvait être comme Archael.

Haji. Oui, c’était bien son nom. Le gérant revoyait ses grands yeux jaunes fendus d’une grande pupille noire sur fond de robe blanche. Ses ailes aussi, immaculées et implorant qu’on leur rende leur liberté de mouvement. Le Tigre avait immédiatement "adopté" le Trône qui se présentait à lui... un véritable coup de foudre, si l'on pouvait dire.

En quelques secondes, une flopée d’images vinrent assaillir l'Aasimar, des sons aussi, comme cet air au Chantepierre qu’avait superbement joué l'Ange. Que de souvenirs d'un monde qui n'existait plus... L’ambiance lui revenait, les odeurs, les regards, la douceur et la magie du moment... Tout était là, dans les yeux aux profondeurs océaniques du professeur. Bien sûr que le prénom d’Archael lui avait vaguement rappelé quelque chose : c’était à lui qu’il avait vendu ce magnifique Tigre ailé aux couleurs diaphanes. Ces deux là, il ne risquait pas de les oublier !

Passées ces quelques interminables secondes de stupéfaction, les yeux de l’Aasimar semblèrent vaciller, comme si un rideau de rêveries presque invisible s’était tiré, laissant place au réveil et à la conscience, enfin.

« _ Ça alors... vous ne m’aviez pas dit que vous étiez le professeur des Aeras... »

Et pourquoi le lui aurait-il dit, d’ailleurs ? La question était tout aussi stupide que l’air de Naja, mais fort heureusement, elle ne demandait pas vraiment de réponse...

Un siège fut avancé, invitant notre vendeur à s'asseoir, mais soudain, un détail... un gros détail : du vide ! Là ! A quelques mètres à peine... Les yeux de Naja changèrent alors encore une fois d’expression pour arborer une crainte non dissimulée. Bien que l’’ouverture soit à distance respectable, la prudence restait de mise, car Naja n’aurait pas vraiment aimé se faire aspirer par une force qui le dépassait, comme il le redoutait tant. Aussi jugea t-il plus prudent de rester adossé contre la porte, prêt à s’enfuir au cas où le vide s’approcherait de trop près...

Voilà, ici, c’était parfait... Ainsi agriffé aux panneaux de bois - qu’il massacrait proprement - il se sentait bien mieux et son regard pu continuer de voguer dans la pièce, à la recherche de son interlocuteur. Les dernières paroles d'Archael lui arrivèrent à retardement - c'est qu'il devait toujours reconstituer plus ou moins les faits après un duel avec son vertige - et lui firent réaliser qu'il était peut-être de trop, aujourd'hui...

« _ Oh... excusez-moi, je ne voulais pas déranger... » dit-il.

En parlant, il jetait des œillades curieuses sur les meubles, curieux également, et sur les murs brunis par on ne savait quelle magie étrange. Des impacts en tous genres décoraient les murs de manière bien personnelle et brusquement, le coeur serré, Naja devina que la Mort n’avait pas sévit que dans son Bestiaire ou sur les différents fronts... Y avait-il à Elament un seul lieu que la bataille avait épargné ? Peut-être pas... et cela le navra.

Sur le bureau, un monticule de rouleaux de papiers prêts à s’écrouler témoignait de l’emploi du temps bien rempli d’Archael. Et lui, naïf, qui venait s’ajouter à la longue liste de soucis déjà existants... Il s’en voulu tout à coup, ne sachant trouver les mots pour s'excuser de son intrusion.

« _ ...je... je souhaitais vous demander s’il était possible de prendre des cours particuliers... mais... je repasserai plus tard si vous voulez ? »

Jeu 4 Oct 2007 - 17:43

Tranquillement, Archael hoche la tête. Il se souvient, lui aussi. De cet après-midi de soleil.

C'était il y a quelques semaines à peine. Un jour comme les autres, où il faisait un peu chaud, un peu lourd, où on Elament somnolait au soleil. Certains vaquaient dans leur boutique - après s'être rasés en vitesse - d'autres préparaient leurs déplacements ... un après-midi aussi banal que tant d'autres. Nul ne pleurait ses morts, la fumée noire ne s'élevait pas encore au-dessus des toits ... Avaient-ils su, à l'époque, apprécier cet après-midi paisible? Non, mais le souvenir en restait dans leur coeur, et à présent, ils le chériraient comme un trésor. Que c'est bon la paix, quand on a connu la guerre, et son cortège de misères ...

"Haji? Il vole quelque part là-bas, dans les Collines. S'il sent que j'ai besoin de lui, il reviendra ce soir. Ou demain. Ou après-demain ... enfin, je verrai bien quand il sera là."

Le regard du professeur a glissé sur les collines au loin, puis sur un coin ensoleillé de la pièce, où traînent quelques poils de neige. C'est là que le Tigre Ailé se couche de tout son long, pour suivre du regard le professeur qui travaille ... enfin, quand il décide de revenir lui rendre visite. Haji n'est pas un animal domestique, et lui seul décide de répondre à l'appel de l'Ange ou à le laisser attendre durant trois jours. Archael le sait. Et cela leur convient à tous les deux.

Puis les yeux bleus son revenus se fixer sur le visiteur. Lui n'a pas tellement changé. Toujours cette crinière de feu sur les épaules, au-dessus du visage taillé à la serpe. Et la silhouette massive mais étonnamment agile, comme les ours à la fois patauds et gracieux ... ils se ressemblent si peu, tous les deux. Cheveux rouges, cheveux blancs ; l'Aasimar trapu et la frêle silhouette de l'Ange, l'un aux griffes imposantes et l'autre aux ailes lumineuses.

C'est étrange, pourtant, qu'il apprécie sa présence plus que celle de ses pairs. Les autres professeurs possèdent chacun un charisme fascinant, ce qui n'empêche pas le Trône de se sentir parfois mal à l'aise. Parler avec eux est difficile. Métatron lui ressemble trop pour qu'ils trouvent grand chose à se dire. La douce Layna n'est plus, et Naci l'intimide un peu. Quand à Ruby, n'en parlons pas! Mais avec Naja, il y a quelque chose de différent. Pourtant, ils se connaissent à peine - la preuve ...

"C'est vrai. Je n'y ai pas pensé, et puis ... pourquoi faire?"

Un peu perplexe, il se gratte la tête. C'est vrai, il ne l'a pas dit ... il est distrait, mais ce n'est pas vraiment qu'il aie oublié de préciser, ou qu'il ne l'aie pas voulu. C'était plutôt ... eh bien, qu'il n'avait pas franchement vu la nécessité de s'annoncer comme autre chose qu'un client normal. Oh, et puis qu'importe ... Il écoute Naja continuer, puis il a un geste d'indifférence en direction des papiers. Il secoue la tête - et ses cheveux blancs battent l'air.

"Non, restez ... c'est vrai que nous travaillons le matin sur la Cité, mais l'après-midi est réservé pour l'école. D'ailleurs" poursuit l'Ange avec un sourire un peu las, "je suis vraiment content d'avoir enfin une visite qui ne m'apporte pas encore une liste de dégâts ou de blessés. Voyons ... des cours particuliers sur quelque chose de précis?"

Tout en parlant, Archael s'est levé. Il a été fouiller dans un n-ième tas de paperasses, pas loin de la porte, et en a sorti une liasse de feuilles. Plutôt que de revenir s'assoir sur sa chaise, il prend place sur les trois marches de pierre qui descendent de sa porte jusque sur le sol du bureau, juste à côté du pieds de Naja. Puis parcourt le manuscrit du regard.

C'est une liste d'élèves, une liste tout à fait banale - s'il n'y avait pas ces quelques noms barrés d'un trait, un trait à l'encre toute fraîche ...

Mar 9 Oct 2007 - 12:17

Haji vole, c’est tout ce qu’il a retenu. Le magnifique félin aux ailes diaphanes est donc non seulement toujours en vie, mais en plus, il est libre. Une demi liberté, bien sûr, mais une liberté quand-même. C’était autre chose que son immense prison de pierres. Une cage bien étrange, que Naja avait conçue avec l’aide d’un vieil homme Terra, pour le plus grand confort de ses tigres ailés. Ainsi, Haji volait, quelque part dans les cieux apaisés. Peut-être tournoyait-il paresseusement, emporté par les courants d’air ascendants de l’hiver tout proche. Cette pensée le réconforta d’abord, avant de lui donner un fichu vertige... Le gérant secoua la tête pour se dégager, un sourire heureux aux lèvres. Une mèche de cheveux, plus courte que les autres, vint tomber sur son oeil gauche. Un petit souvenir que Raziel lui avait ôté au couteau... et Archael ? Où avait-il caché ses cheveux ?

Naja jugea que la coupe était plus régulière et donc, sans doute souhaitée. Après tout, le Trône avait toujours autant de magnétisme. Il semblait simplement plus jeune, bien que son regard et son sourire – manifestement las – affirment le contraire... Une liste de dégâts ou de blessés ? Naja y figurait-il ? Une seconde, il hésita à poser la question, par curiosité. Mais après tout, quelle importance ? Il n’était pas venu pour ça mais pour quelque chose effectivement plus précis... des cours particuliers ! Le gérant sourit, les yeux à demi clos, se laissant bercer par ses souvenirs, puis il se mit à parler comme s’il n’était plus dans le bureau d’Archael, mais beaucoup plus loin... au Bestiaire, quelques temps plus tôt :

« _ Un jour, j’ai reçu un client très mignon... je me souviens bien de lui, un tout petit Elfe. Je lui ai vendu un magnifique cheval ailé... Un trait, blanc comme l’albâtre... Je vends beaucoup de montures blanches, elles plaisent beaucoup vous savez... Et puis... Ce jour là, je m’étais blessé et ce jeune homme m’a soigné à l’aide de son pouvoir... Il s’appelait... Lèn... ? » interrogea soudain Naja en revenant à la réalité.

Il fixa Archael comme si ce dernier pouvait apporter une réponse à sa question, mais enchaîna, sans attendre :

« _ Je ne suis pas bien sûr, mais... mais il m’a semblé que c’était son élément qui s’occupait de panser ma plaie. » dit-il en posant un doigt sur une large cicatrice au bras.

Et puis soudain, Naja eu l’air sérieux. Pour un peu, on l’aurait pris pour un adulte responsable...

« _ Moi aussi j’aimerais pouvoir aider... Je n’étais pas là pour protéger la Cité, alors... si je pouvais au moins... »

Il s’arrêta, cherchant ses mots. S’il pouvait quoi ? Soigner tout le monde ? C’était un peu utopique, mais il y avait de l’idée. Seulement, Archael accepterait-il de l’aider, après la faiblesse du gérant qui avait failli coûter un front aux défenseurs d’Elament ? Était-il au courant, par ailleurs ? Peut-être... ou peut-être pas. Quoi qu’il en soit, la rumeur ne tarderait pas à circuler. Et si Naja n’avait jamais eu honte de ce qu’il était, cette fois, il avait honte de ce qu’il avait fait... ou plutôt pas fait, justement. Il lança un regard presque désespéré à l’intention du Trône au calme communicatif et se ressaisit. Une grande et profonde inspiration lui rendit presque tous ses moyens.

« _ Vous pourriez m’apprendre ? »

Lun 15 Oct 2007 - 9:10

La main de l'ange glissa le long de la page - et se figea soudain. Son regard se fixa sur Naja, puis se détourna.

Lén?

Oh oui, il se souvenait. Très bien même. Le jeune Solan avait été l'un des êtres qui l'avaient marqué, à Elament. Cette rencontre lui laissait un sentiment étrange. Il revoyait encore les cheveux de blé, si blonds qu'ils avaient des teintes d'or blanc, et les yeux verts si changeants, qui exprimaient tantôt joie et tristesse, comme deux miroirs de l'âme. Lén était aussi clair qu'un vitrail, et il y avait toujours de la lumière qui brillait à travers lui. Il était d'une gentillesse unique - et pourtant ...

Et pourtant ... quoi? C'était bien le problème, justement. Lén était la douceur et l'amour incarnés, mais au fond de lui, il y avait quelque chose que l'Ange ne comprenait pas. Ils s'entendaient relativement bien, se respectaient et même s'appréciaient. Ils avaient beaucoup partagé, à l'époque où ils avaient été mutuellement maître et professeur l'un de l'autre - en Littérature et en Magie de l'Air. Mais au fond ... ils ne s'étaient jamais vraiment compris.

D'ailleurs, il lui semblait qu'il n'était pas le seul à sentir cela. Il avait appris, comme chacun, la rupture entre Lén et Eäl, et le départ des deux. Cela ne l'avait pas étonné. Le petit Elfe était d'un autre monde que le leur. Ses pouvoirs, ses pensées, ses sentiments, tout en lui étaient difficiles à cerner. Combien avait-il dû se sentir seul, au milieu de cette ville étrangère. Il se souvenait de la matinée de son départ. Ils s'étaient croisés dans la rue - et si l'Elfe ne l'avait pas vu, lui avait lu dans ses yeux l'immense soulagement qu'il avait, de quitter cette cité où il se sentait mal à l'aise. Il avait pourtant essayé, sincèrement ... mais là n'était pas son foyer, et il avait du s'en aller. Comme jadis était partie Serinaë, elle qui possédait les mêmes étranges pouvoirs que le Solan. Trop différents, tous deux, isolés au milieu des foules.

Machinalement, il acquiesca à la demi-question de Naja. Oui, d'une certaine façon, Lén avait recours à l'air pour soigner. Enfin, si on pouvait dire! Il n'avait jamais vraiment compris comment fonctionnaient exactement les pouvoirs du petit Elfe ...

"C'est à peu près ça ... du moins, je suppose."

Archael fixait l'extérieur de la tour, pensif. Comprit-il tous les non-dits, tout ce que les mots de l'Aasimar peinaient à exprimer? Peut-être en partie. Ses yeux bleus à demi-fermés, il ne répliqua pas sur le sujet. Que voulez-vous qu'il dise : "mais non ce n'est pas grave" peut-être? Vous imaginez-vous la sottise d'une pareille réplique? La vérité, c'est que l'Ange ne saurait pas quoi dire parce qu'il n'y a rien à répondre. Alors, il ne dit rien, et laisse Naja aller jusqu'au bout de ce qu'il désire exprimer. Ni plus, ni moins : comme d'habitude, l'Ange se tait, aussi peu curieux sur les autres qu'il est discret sur lui-même. Vint enfin la question finale : est-ce que ...?

Sans hâte, l'Ange ferme son livre désormais inutile. Il s'était attendu à une demande de cours théoriques sur l'Air, ou à un entraînement à la praique. Mais à nouveau, quelqu'un vient le voir pour lui demander de lui apprendre un art étrange ... cet art qu'ils ne sont que quelques-uns à posséder, quel seul Lén avait réellement compris : Ishtar, la magie qui soigne et guérit. Archael ne parle pas tout de suite. Une réponse comme celle-ci implique beaucoup de choses et ne se donne pas à la légère.

"Peut-être" dit-il enfin, comme s'il arrivait au bout d'une longue réflexion. "Mais normalement, le soin n'est pas le domaine de ceux du Vent. Lén était fait pour cela - pour guérir. Il ne se rendait pas compte de son génie. Il n'a jamais eu vraiment besoin de moi - à peine lui avais-je appris les bases qu'il était déjà plus loin que vous et moi ne pourrons jamais aller."

Un petit sourire éclaira le visage de l'Ange quand il évoqua le souvenir de cette journée sur la Falaise, celle où il avait été le plus stupéfait de toute sa vie.

"Je peux vous apprendre. Mais j'en sais si peu que j'espère que vous ne serez pas déçu ..."

Mar 16 Oct 2007 - 14:05

Quelques secondes s’écoulèrent ainsi, durant lesquelles Naja détailla de nouveau les lieux, en prenant bien soin d’éviter la fenêtre de vide, de plus en plus grande. Il n’y avait pas grand chose ici, c’était calme, silencieux... presque froid. Les seules odeurs qui lui parvenaient étaient celles de la nature humide, douces et légères. Hormis ces quelques taches sombres trouées au milieu sur les murs, tout était lumineux. Naja osait à peine effleurer les rares objets du regard, de peur de les salir... Et puis ses yeux se heurtèrent à deux éclats de lumière, posées sur le bureau et miraculeusement épargnées par l’éboulement de parchemins. Deux boules translucides trônaient, pures, lumineuses. À quoi pouvaient-elle bien servir ? Naja n’en avait strictement aucune idée... tout ce qu’il avait noté, c’était qu’elles avaient un effet apaisant. Aussi, il laissa ses yeux aux reflets rougeoyants y vagabonder... Tant et si bien qu’il sursauta presque, lorsque l’Ange reprit enfin la parole.

L’Aasimar l’écouta attentivement, avec surprise. Jamais il ne se serait attendu à ce que Archael ai l’air si peu sur de lui... Mais il compris immédiatement, à l’aveu du Trône concernant les limites du pouvoir Aera, que ce qu’il demandait avait des allures d’impossible. Il réfléchit un court instant, évaluant le ton de la voix du Trône. Possible ? Impossible ? Un sourire le rassura soudain. On pouvait reprocher beaucoup de choses à Naja, mais ni sa détermination, ni son optimisme (quoi ce ce dernier fasse parfois figure de naïveté phénoménale). Si une toute petite lueur d’espoir subsistait, alors il s’en saisissait, persuadé qu’avec un peu de volonté, il saurait en tirer profit. Du reste, cet état d’esprit lui avait été d’un grand secours à mainte reprises.

Il sourit, heureux comme un gosse à qui on autorise la friandise interdite.

« _ Je maîtrise si peu ce pouvoir que vous ne pouvez que m’apprendre à mieux le comprendre... Alors... même si je n’arrive pas à atteindre le but recherché, je sais que je ne serais pas déçu. Si ça ne fonctionne pas, j’apprendrais à aider autrement. »

Naja se risqua à lâcher la porte afin de dégager cette mèche, toujours sur l’oeil gauche et d’ainsi mieux distinguer son interlocuteur. Le geste était mal assuré, la main hésitante. L’une de ses griffes était brisée et une autre, arrachée, laissait place à un gros bourgeon cicatriciel rougeâtre et suintant... Puis il alla de nouveau s’agripper aux montants de bois, la mèche revenant se placer devant son visage, indocile. Il ferma les yeux, l’air ravi.

« _ Alors, on commence quand ? »interrogea t-il de toute sa candeur.

Dim 21 Oct 2007 - 20:13

Le professeur eut un petit rire. Son visage parut plus jeune encore, perdant l'expression sans âge qu'avaient la plupart des Anges, pour redonner à ses traits la vingtaine d'année qu'il paraissait. Mais presque immédiatement, le sourire se brisa dans une quinte de toux prolongée, secouant avec violence les épaules frêles. Souvenir douloureux des batailles des semaines précédentes, depuis le défi de Chilk jusqu'à la lame de Lay-Ing, en passant par les heures de tourmente au sommet de la Tour.

La crise déchirante finit par se calmer, laissant seulement une pâleur plus accentuée sur le visage déjà creusé. Mais les yeux bleus n'en brillaient que plus intensément, emplis de ce qui leur avait toujours manqué jusqu'alors : la volonté ... cette force qui ne se fortifie nulle part mieux dans l'épreuve.

Telle est l'épée qui sort des mains du forgeron : brûlante, frappée par le marteau. Et brusquement, c'est encore dans l'eau froide qu'elle est plongée ... alors elle siffle, elle fume et se tord, hurlant ce qui la révolte et qu'elle ne comprend pas. Encore, encore, et encore - le feu et l'eau, l'eau et le froid, les mille aiguilles qui déchirent et qui font mal ... Pourtant, c'est grâce à cela qu'elle devient quelque chose de trempé et de noble, digne d'être porté par un roi. Dans le feu qui la tourmentait, elle est passée de vulgaire masse de métal à précieuse sculpture d'acier. Dans l'eau, elle a perdu son éclat terne pour un reflet brillant et sonore.

C'est ainsi que le destin fait grandir les hommes. Certes, c'est un maître dur, qui ne vous épargne pas ni les coups ni la cuisante morsure de la douleur. Mais c'est cette souffrance qu'il prend et sculpte, pour en former quelque chose de merveilleux.

"Ne vous inquiétez pas." rassure l'Ange après avoir repris letement son souffle. "J'ai encore ce genre de problèmes assez souvent, mais c'et plus impressionnant que dangereux. Nous pouvons débuter tout de suite, si vous voulez. Je n'aurai pas le temps de reprendre mon cours à l'Ecole tout de suite. Si cela ne vous dérange pas, nous pouvons nous installer ici, quitte à nous interrompre de temps en temps si la porte s'ouvre."

Il étend la main, et la plus petite des deux boules de cristal vient docilement s'y poser. Sous le regard de saphir, une pâle lueur se met à palpiter au creux de la sphère. Archael la contemple quelques secondes, avant de reporter son regard sur Naja.

"Tout d'abord" commença-t-il, "j'ai besoin de savoir ce que vous avez déjà vu sur la magie de l'air. Je ne vous ai jamais eu comme élève, n'est-ce pas?"

Remarquez, c'était plus que probable. Il n'enseignait pas à Elament depuis suffisamment longtemps pour prétendre avoir eu grand-monde dans ses cours. La plupart de ses anciens élèves étaient encore à l'Ecole ou venaient tout juste de finir leurs études ...

Mar 30 Oct 2007 - 14:35

Naja fit de grands yeux ronds, impuissant face à la quinte de toux déchirante d’Archael. Décidément, il se trouvait particulièrement inutile ces derniers temps. Mais le ton réconfortant du Trône le rassura... un peu. Tout de même, il aurait aimé faire quelque chose, car quoi qu’en dise Archael, ça n’avait pas l’air franchement agréable. Il ravala sa salive, tentant de se persuader que bientôt – et grâce à ces fameux cours particuliers – il pourrait guérir tout Elament en un tour de main... Cette pensé le fit sourire. Jusqu’à ce que l’Ange prenne la parole, instillant une crainte montante dans le cœur de l’Aasimar.

« _ Euh... » dit-il.

Sa voix s’était brusquement enrouée, comme si sa gorge s’était rétrécie sous l’effet de la peur. Une goutte de sueur perla sur sa tempe et la lueur pourpre, dans ses yeux, vacilla quelques secondes. Usant d’un nouveau courage démesuré, il lâcha la poignée de la porte et pointa le trou dans le mur, s’entêtant à fixer Archael – et rien d’autre – du regard.

« _ Ici ? Avec ça...? J’aurais préféré un plancher plus stable... celui-ci tangue un peu trop pour moi. »

Et son explication finie, il rattrapa la poignée, fuyante derrière lui.

« _ Je ne suis pas très à l’aise en hauteur... Je répondrais volontiers à toutes vos questions... et je suis tout à fait d’accord pour commencer maintenant... mais... pas si haut... »

Il grimaça, moins gêné qu’angoissé à l’idée de devoir lâcher sa porte.

Ven 16 Nov 2007 - 20:16

Archael opina du chef sans faire de commentaires. Aujourd'hui était le jour idéal pourtant, où il pouvait donner des cours à condition de ne pas s'éloigner ... d'un autre côté, se trouver à côté d'un précipice devait être pour Naja le même supplice qu'une pièce trop close pour lui-même. Il se renversa à demi sur le dos en se grattant la tête, plongé dans la contemplation du plafond. Au bout de quelques secondes, il se redressa brusquement et claqua des doigts.

"J'ai trouvé. Elle doit être un peu poussiéreuse, mais je pense que ça fera l'affaire ..."

Un geste des doigts déliés, comme une danse aérienne d'ailes de papillons ... su la table, la plume blanche se souleva, tandis qu'une feuille de papier voletait depuis le tas de paperasses jusque dans la main de l'Ange. Celui-ci y griffonna quelques mots, de son écriture un peu vieillotte, et renvoya le papier se poser sr la table. Puis il ouvrit la porte et s'engagea dans les couloirs en faisant signe à Naja de le suivre.

L'un derrière l'autre, ils enfilèrent quelques couloirs aux contours tordus, descendirent deux escaliers et passèrent devant plusieurs portes découpées sans grande logique dans les mur. Entre celles en forme de triangle et celles qui s'ouvraient à un mètre cinquante de hauteur, c'était à se demander si les architectes qui avaient concu Elament n'oscillaient pas entre le génie et l'alcoolisme. En tous cas, cela expliquait que cette partie de l'école soit très peu utilisée, comme Archael se chargea de l'expliquer.

"Ces salles sont l'ancienne école, avant que les directeurs qui précédèrent Layna décident de reconstruire tout le grand bâtiment d'enseignement. Je cherche une ancienne salle de musique qui nous servirait bien ... elle est ouverte sur le dessus et je pourrais facilement retourner à mon bureau, si j'arrive à retrouver la porte de ce côté. Je crois que c'est celle-c..."

Le reste de la phrase se perdit dans un bruit d'écroulement. Archael venait d'ouvir une porte rectangulaire dans la paroi, censée leur ouvrir une salle plus proche que la classe de cours sur l'Air. Malheureusement, elle s'était surtout ouverte sur une étagère. Une étagère, messieurs, couverte un amas hétéroclite d'objets poussiéreux, qui choisit ce moment précis pour clamer son mépris aux lois de l'équilibre.

Mais le vrai sage sait accepter d'un coeur égal qu'un jour, deux plus deux égale : trois ... qu'une lanterne tienne absolument à passer pour une vessie ... que les horloges indiquent l'heure d'ici, mais pas celle de là-bas ... qu'une armure de mithril au premier choc explose ... qu'en ouvrant une vénérable armoire, vous avez de fortes chances de ramasser son contenu sur la figure ... enfin que toute chose ici-bas s'applique pieusement à canuler les mortels.

C'était apparemment la conviction du Trône, qui s'extirpa du tas de vieilleries et conclut avec philosophique qu'il s'était trompé de porte. Entraînant Naja avec lui, il s'arrêta à la suivante, qu'il ouvrit avec une certaine méfiance. Comme de juste, la seconde fut la bonne, et tous deux pénétrèrent dans une salle curieuse. Elle était en forme d'amphithéâtre de pierre, spacieuse sans être immense. Des dizaines de colonnes fines, visiblement de construction elfique, soutenaient la voûte sans gêner la visibilité.

Une vaste ouverture se découpait dans le plafond au-dessus de la scène, tout en bas. Elle devait sans doute donner sur le ciel, mais de leur angle, on ne voyait qu'un rayon pâle qui descendait dans la salle et l'éclairait d'une clarté un peu grise. La pluie qui tombait sur Elament ruisselait directement dans la pièce de pierre, comme aujourd'hui ... et merveille, toute une colonie de plantes avaient poussé là, dans ce cerlcle de lumière et d'eau. Lierres et plantes grimpantes escaladaient les premiers rangs de pupitres, et le sol disparaissait sous un tapis de mousse. Quand au bureau du professeur, c'était tout simplement un arbre qui avait commencé à y germer, un arbre de quelques années à peine, mais en pleine santé ... tout cela au ceur de l'immense bâtiment, au milieu de la poussière et des ordeurs d'encre ...

Folie, légende pour enfants, dites-vous!? Mais Elament est une ville enchantée, la ville où les contes de fées peuvent encore exister pour faire rêver des enfants trop vite grandis ...

"Installez-vous où vous pouvez" conseilla Archael. "Et dites-moi ce que vous avez déjà appris sur la magie de l'Air."

Lui-même débarassa un banc de sa poussière, tout en haut de l'amphithéâtre. Il s'assit dessus et posa ses pieds sur la table, visiblement ravi de ne pas avoir à s'installer au bureau du professeur ... pur la première fois depuis longtemps ...

Mer 21 Nov 2007 - 22:43

Qu’y avait-il donc de si intéressant sur son plafond que le Trône observait avec autant d’attention, Naja se le demanda longtemps, sans oser lever le nez pour avoir la réponse. Et puis Archael sembla soudain frappé d’une illumination. À quoi avait-il réfléchit, au juste ? Mystère. Sans doute cherchait-il dans son esprit à trouver un moment plus propice à un cours avec Naja. C’est ce que ce dernier pensa, tentant de se remémorer son emploi du temps afin de pouvoir répondre avec certitude aux propositions que lui ferait le professeur... mais il n’en fit rien et l’Aasimar eut à peine le temps de se remettre de ses interrogations qu’il fut emmené aux travers des couloirs de l’école. Un instant, il repensa à cette soirée un peu folle où Naciniah et lui avaient parcouru les rues de la Cité comme deux voleurs en fuite... Cette virée dans l’école lui rappelait ce moment, car Archael et lui avaient des allures de gosses à la poursuite d’une bêtise plus grosse qu’eux.

Au contraire du Trône, l’Aasimar ne vit pas les nombreuses portes trop au dessus du sol pour lui, mais il tournait la tête, interloqué, chaque fois qu’il croisait une ouverture de la taille d’un lutin ou de forme aussi improbable qu’un arbre aux branches noueuses... Pourquoi faire simple lorsque l’on peut faire compliqué ? En tous les cas, l’ébéniste chargé de la découpe de certaines porte avait du s’amuser longtemps... Naja entendit avec amusement les explications d’Archael quant à l’architecture du bâtiment. « Excusez-moi pour la bizarrerie des lieux... » semblait-il s’excuser. Le contenu de l’une des pièces, un genre de placard à fatras, dégringola sur le nez du Trône. Mais à peine Naja eut-il le temps de se proposer à l’aider que ce dernier l’entraînait déjà ailleurs. Aussi lâcha t-il le grageoir qu’il avait ramassé pour se lancer à la poursuite de l’Ange aux ailes cristallines.

Qui les aurait croisé à cet instant les aurait pris pour deux fous !

Et puis enfin, ce fut la bonne pièce... et quelle pièce ! Pas de trou dans le mur, pas de gouffre au sol, juste de la pierre magnifiquement taillée et cette très agréable odeur de verdure humide. Un tapis de mousse, des rideaux de lierre, c’était parfait ! Insolite, mais parfait. Naja sourit, satisfait et heureux, comme à chaque fois qu’il se retrouve devant des choses aussi simple que la beauté de la nature.

Resté en bas, il observa Archael grimper l’escalier de l’Amphithéâtre et fut surpris de ne pas éprouver de vertige à le voir monter si haut... La disposition des gradins, peut-être ? Le fait qu’il n’y ai pas d’espace « creux » dans lequel il aurait été susceptible de se faire aspirer, y était probablement pour quelque chose à cette sensation de confort qu’il ressentait. Il admira encore les reflets des Liserons pourpres enlaçant les colonnes, de minuscules gouttes de pluies multicolores étincelant comme autant de petite perles. Les mots d’Archael lui parvinrent de loin en loin et le firent soudain sursauter. C’est qu’il n’était pas là pour regarder les fleurs pousser !

« _ Oh... je ne sais pas faire grand chose, je ne m’étais jamais vraiment penché sur la question. Je n’ai appris qu’une chose que j’arrive plus ou moins à nuancer, je vais vous montrer... »

D’un coup d’œil circulaire, il chercha un objet susceptible d’être déplacé sans trop d’effort et son regard s’arrêta sur un pupitre au bois vermoulu. Il fit face au meuble, signifiant à Archael que son action se déroulerait ici et d’un geste du bras, mima un mouvement de dégagement vers l’extérieur. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était qu’à Elament, les pouvoirs étaient sensiblement plus puissants qu’en dehors. Aussi, en voulant faire montre d’une certaine force, il envoya le pauvre pupitre déjà victime du temps et de l’humidité à plusieurs mètres de hauteur. Surpris lui-même, il interrompit son mouvement et – les yeux ronds écarquillés – porta sa main à sa bouche, comme un l’aurait fait un enfant en réalisant une gaffe. Le meuble, moisit aux trois quarts, retomba dans un fracas inhabituellement spongieux et s’effondra, brisé, épuisé par les épreuves que le sort lui faisait subir...

« _ Oups... uh... Excusez-moi ! » balbutia Naja avec sincérité.

Il n’avait plus utilisé ce pouvoir depuis qu’il était à Elament, aussi bizarre que cela puisse paraître. Aussi n’avait-il pas conscience de la manière dont la magie était décuplée ici.

« _ Euh... D’habitude, je me sers de ça pour pousser ce qui se trouve sur mon passage... En fait, j’en faisais surtout usage au début, lors de mon voyage pour arriver à Elament. Je m’amusais à repousser les arbres ou les hautes herbes devant moi ! » rit-il de bon cœur.

Un gamin, je vous dit...

« _ Je n’en ai jamais eu vraiment l’utilité... c’était surtout pour m’amuser... J’ai appris à lui donner une forme un peu plus compacte... »

Il hésita quelques secondes. La seconde forme avait des allures de magie offensive et aux vues de ce qu’il venait de faire subir au pupitre malgré lui, il se demanda s’il n’allait pas couper Elament en deux par maladresse. Il regarda le meuble plié sur trois de ses pieds, avec un air quasi désolé pour l’objet et se décida finalement. Levant le bras d’un geste agacé et rapide, la même lame de vent parcouru la distance qui le séparait du petit bureau vermoulu, à une vitesse toutefois bien supérieure et sous une forme bien plus compacte et acérée... Le pupitre sembla prit d’un frisson avant de s’écrouler tout à fait, coupé en deux de façon nette et définitive. L’Aasimar sourit, satisfait. Il avait réussi à montrer ce qu’il savait faire à Archael et ce, de la manière la plus simple qui soit.

« _ Voilà, c’est tout ce que j’ai appris... Mais comme vous le voyez, ça ne m’est pas d’une grande utilité... »

Il regarda le Trône, les yeux pétillants de joie, persuadé qu’il quitterait ce cours particulier en sachant ressusciter les morts...

Sur le front du Trône, le joyau céleste avait jeté ce reflet bleu inhabituel, celui qu'il ne prenait que quand le Trône faisait appel à lui. Semblant alors scintiller de sa propre lumière, il se comportait comme une véritable antenne, qui amplifiait les sens et principalement la perception de la Magie. Comme un troisième oeil, il permit au professeur de suivre précisément les mouvements et la magie de son élève.

Car aujourd'hui, ce n'était pas un adversaire à observer, un sortilège à examiner, mais un ensemble de techniques, d'habitudes, de dons et inhibitions naturels qu'il devait appréhender. Il ne connaissait pas assez Naja pour lui proposer de partir dans telle ou telle direction. Mais observer quelqu'un jouer avec l'Air était une excellente façon d'en apprendre un maximum sur ses pouvoirs. Aussi, concentré sur ce qu'il percevit, il n'émit aucun commentaire sur le sort réservé au bureau - vu l'état de ce dernier, c'aurait sans doute été superflu.

De fait, les mouvements de Naja restaient relativement basiques. Lévitation par l'Air, concentration et relâchement d'une lame de vent ... c'était suffisant pour bien des choses dans la vie réelle. Il maîtrisait relativement bien le seconde, d'ailleurs - car le bureau avait été coupé aussi précisément que par un rasoir. Même Clad aurait eu du mal à créer une lame plus acérée. Mais pour lui inculquer quelque chose d'aussi subtil que l'art de la guérison, autant dire que c'était une autre paire de manches.

Acquiescant à la remarque de Naja d'un signe de tête, l'Ange se mit à réfléchir rapidement. La guérison par le Petit Vent, comme Lén jadis? Impossible. Outre qu'il ne comprenait toujours pas comment le petit Elfe s'y prenait, l'élève qu'il avait aujourd'hui n'avait pas ce vent "personnel" qui faisait des merveilles. Pas plus que lui-même. Soin par la Lumière? Non plus, car à se lancer là-dedans, ils en avaient pour des mois d'étude. Quand au Son, il servait uniquement à soigner l'esprit ... alors, il n'en restait qu'une.

"La majorité des techniques de Guérison sont très difficiles à manier pour nous, les Aeras" commenta sobrement Archael. "Toutefois, il y en a une que je puis vous enseigner rapidement et qui ne nécessite pas une maîtrise exceptionelle pour pouvoir être utilisée."

Archael ramena l'un de ses genoux et appuya son menton dessus, l'air pensif. Une mèche de cheveux descendit sur son visage et lui chatouilla la joue. D'un souffle, il la remit en place.

"Contrairement aux autres, elle ne répare pas vraiment le corps de la personne que vous voulez aider. Elle permet juste d'accélérer le processus de guérison que possède tout être vivant. Comme quand vous vous coupez et que la peau se ressoude toute seule. Il est possible de faire en sorte que la cicatrisation se produise en quelques secondes seulement. Que ce soit sur une plante, un animal ou un homme."

Une main pâle se tendit et cueillit une feuille d'une des plantes grimpantes. C'était une feuille d'un vert éblouissant, un vert royal. Même les plus belles teintures des Eléastriens, loin au sud, ne pouvaient reproduire ce vert tendre et lumineux à la fois. Pas malgré les sommes hallucinantes que les payaient les riches héritières. Seules peut-être, les émeraudes des Ondins ou les perles vertes des Elfes pourraient se rapprocher quelque peu de cette nuance divine que Terra décerna jadis aux plus petits arbustes .. Belle leçon d'humilité : les plus précieuses oeuvres d'art de l'homme ne peuvent égaler cette humble feuille qui se balace au creux de la main.

"Toutefois, ce savoir pose des difficultés" continua Archael. "Premièrement, elle ne peut pas guérir de blessures mortelles - celles qui ont dépassé les limites de résistance du corps. Deuxièmement, accélérer à ce point les choses de la nature consomme une énergie fantastique que vous ne pouvez pas prendre à la personne blessée. C'est la vôtre, c'est votre vie même que vous transmettez à travers la magie. Vous récupérez ensuite cette force en vous reposant - mais si un jour vous donnez plus que vous ne le pouvez, alors il se passera ceci ... "

Archael ramena sa main devant son visage, et ses yeux scintillèrent soudain d'une étrange lueur bleue. Dès qu'on croisait ce regard, on n'avait qu'une envie : se détourner. Car il semblaient vous saisir, ces deux saphirs, et lentement attirer quelque chose hors de vous, invinciblement. La feuille était toujours là, au creux de sa paume. Un instant, elle sembla frémir sous le regard intense, puis soudain, elle se désagrégea en fine poussière. Sans prévenir.

Car il y a des lois dans la nature. Même les magiciens ne peuvent pas y échapper éternellement. Un transfert d'énergie pouvait soigner efficacement de graves blessures - mais c'était une méthode risquée. Car vous ne transmettez pas que de la force - mais de la vie. Et une même vie ne peut alimenter deux corps différents.

Tant qu'on en prête une partie limitée, tout va bien, car elle revient entièrement avec le repos, et la guérison n'occasionne qu'une grande fatigue. Le jour où vous essayez de soigner trop de personnes à la suite - ou celui où vous tentez de ranimer un blessé à mort, vous risquiez de brûler rapidement votre réserve. A partir de cet instant, vous puisez dans votre propre réserve vitale - dans les années qui vous restent à vivre. Lentement d'abord. Puis de plus en plus vite.

Enfin, il existait un seuil, immuable, implacable. Il pouvait varier selon les personnes, avec leur force d'âme, avec leurs sentiments, bref avec l'intensité de la flamme qui les faisait vivre. Ce seuil était la quantité de vie qu'un corps pouvait fournir. Dépassé, la flamme s'éteignait. L'enveloppe corporelle n'avait plus assez de force pour continuer à exister et à servir de support à l'âme. Alors, elle disparaissait. Tout simplement.

Pas de tombe - pas de corps. Telle cette petite vie que vous suivez des yeux - tout à l'heure feuille, et désormais poussière légère dans le soleil ...

"Regardez-moi, Naja Notos" fait la voix de l'Ange à côté de vous, avec une fermeté étrange. "Accepterez-vous de mettre votre propre vie en danger chaque fois que vous en sauverez une autre?"

Un long silence avait suivit le fracas du meuble brisé. Archael, pensif, regardait Naja avec cette expression qu’ont ceux qui cherchent une réponse au plus profond d’eux même. Serait-il convaincu par la démonstration ? Quel serait le verdict ? Naja serait-il à la hauteur ? Il restait suspendu aux lèvres du Trône, silencieux, attendant, le cœur battant, la réponse à tout ces doutes. Bien entendu il était optimiste et enthousiaste, pourtant, une part de lui-même craignait de ne pas être capable de telles prouesses.

Dans son esprit aussi simple que celui d’un enfant, il avait encore du mal à comprendre certaines choses assez complexes... Comme par exemple la possibilité de guérir grâce à un élément sortit tout droit de lui-même. Cela lui semblait tellement lointain et imagé parfois, qu’il se mettait à douter... sa magie, il ne l’utilisait jamais. Pour quoi faire ?

Tout d’abord, dans ses tâches quotidiennes, elle ne lui était d’aucune utilité. Ensuite, Naja considérait ce pouvoir comme un don de la nature et, respectueux, se refusait à l’exploiter. Autrement dit, il effectuait chaque chose de ses propres mains. Il fallait déplacer un objet lourd ? Il utilisait sa force physique. Il n’était pas assez costaud ? Il faisait appel à son ingéniosité et tractait, attelait son cheval comme l’aurait fait n’importe quel autre Aasimar sans le moindre pouvoir élémentaire. Autrement dit, Naja reléguait sa magie au rang de « dernier recours » en quelque sorte... Ainsi, il n’en faisait jamais usage, l’estimant trop précieuse pour en abuser.

Les paroles d’Archael lui vinrent comme un réconfort. Il y avait donc un moyen et un moyen suffisamment simple pour que notre vendeur candide puisse le comprendre... C’était parfait ! Si ce n’était la voix de l’Ange, passant soudain d’un ton qui se voulait rassurant à un ton d’avertissement amical. La petite démonstration sur une jeune pousse avait fait son effet. C’était possible, mais ce n’était pas sans risque. Naja resta un instant songeur. En était-il capable ? Il douta quelques secondes, mais de nouveau, sa générosité refit surface. Pourquoi pas, si l’excellent professeur prétendait que c’était possible à son niveau ? Et puis même, s’il n’y parvenait pas, il trouverait bien un autre moyen d’aider.

C’était ce qui le motivait, honteux de s’être laissé faire prisonnier, honteux de s’être laissé manipulé, honteux enfin, d’avoir, par sa seule faute, permis à l’ennemi une percée dans le front des Portes de la Cité. Les dégâts avaient été limités, mais malgré le silence de Naciniah, il s’était bien rendu compte que ça aurait pu être bien pire. Les Portes n’avaient-elles pas été ouvertes, après tout, offrant aux troupes ennemies les flancs fragiles d’Elament ? Certes, il n’y avait pas qu’un seul front et sa culpabilité semblait un peu égoïste, mais il ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir. Par sa faute, Naciniah avait quitté son poste de commandement. Il n’avait été qu’une diversion, mais une diversion rudement efficace puisqu’elle avait failli coûter la survie d’Elament. Que serait-il devenu si sa belle – car il s’agissait bien d’elle – avait péri en venant le récupérer au camp des otages ? Que serait devenue son existence s’ils s’étaient retrouvés face à une Cité à feu et à sang, par sa faute ? Non ! Il ne pouvait décemment pas se montrer si faible ! Il devait tout faire pour rattraper ses erreurs et surtout... surtout, il devait ramener Naciniah à la vie...

À cette seule pensée, ses poings se serrèrent et ses yeux pourpres s’allumèrent d’une flamme déterminée. Quelques heures plus tôt à peine, il avait été à la Goutte de Vie, impuissant face au sommeil sans fin de l’Elfe Sylvain. Le médecin elle-même, Lorelaï s’il se souvenait de son prénom, semblait désemparée face à ce coma inexpliqué. Naja donnerait tout pour qu’elle rouvre les yeux. Tout, jusqu’à sa propre vie que Naciniah avait arrachée des griffes de Succubes lubriques. Car s’il ne supportait pas l’idée de devoir vivre sans elle, il n’hésiterait pas une seule seconde à lui offrir sa propre vie, si cela pouvait l’aider. Pour elle et pour elle seule, Naja apprendrait à retourner le Ciel d’un revers de main.

La voix de l’Ange avait perdu sa douceur, le mettant en garde d’un prix lourd à payer. La poussière – feu jeune plante verdoyante – flottait paresseusement dans un rai de lumière.

« _ Oui je l’accepte ! » dit-il, toutes ses pensées allant vers son Elfe aux cheveux d’Onyx.

Et puis ses muscles se relâchèrent. Il ne s’agissait pas seulement de Naciniah, il s’agissait de tous ceux à qui il viendrait en aide. Sans doute était-ce cela que l’on appelait le « don de soi ». Il sourit.

« _ Cela dit, je ne suis pas suicidaire... » conclu t-il comme pour se rassurer lui-même.

En retour, le Trône a souri lui aussi, de son sourire grave et doux.

« Fermez les yeux et ne craignez rien. »

Archael tendit la main et se tut pendant une seconde. La première chose à faire était de permettre à Naja d'appréhender la chose et le moyen qu'il allait utiliser. Seulement, faire comprendre intellectuellement ce qu'est la vie ou la magie à quelqu'un, rien de plus facile. Lui en faire ressentir la réalité et le rendre prêt à agir sur elles était plus difficile. Et quand il s'agissait de quelqu'un qui avait peu de communion instinctive avec son élément, cela devenait un véritable défi. Une chance, encore, que Naja semble considérer son Don comme quelque chose à ne pas utiliser n'importe comment. Les pires étaient les élémentalistes qui utilisaient la magie brutalement, comme un outil qu'ils saisissaient puis rejetaient. Ceux-là avaient de très grandes chances de rester définitivement des brutes épaisses en matière de magie, même si extérieurement, ils étaient parfois les gens les plus raffinés.

Dans leur cas, les choses ne seraient pourtant pas facile. Archael finit par opter pour une solution assez directe, mais qui avait donné d'excellents résultats avec une élève, autrefois. Il lui fallait directement aider l'Aasimar à étendre sa conscience à la magie qui l'entourait. Sa peur du vertige serait peut-être son principal obstacle, mais il disposait de moyens de l'atténuer.

Entre les murs de pierre, la voix de l'Ange s'éleva sans hâte, pesant chaque mot, écoulant chaque phrase comme s'il s'adressait à une assemblée importante et non à une seule personne.

« La magie, Naja, n'est pas seulement une chose qu'on prend et qu'on oublie jusqu'à la prochaine fois. Elle est plus que cela. Nos yeux ne peuvent la voir, mais elle englobe tout. Vous et moi ... cette pièce ... le corps de celui que vous devrez soigner ... et pour cela, vous devez d'abord l'apprendre à la connaître. A l'écouter. A l'aimer. »

Les doigts de l'Ange effleurent doucement les tempes aux cheveux rouges. Elles sont légères comme la brise de l'océan, comme l'aile des papillons de l'été, comme le flocon tombé du paradis. Un souffle léger, descendu du plafond, souffle doucement dans la vieille salle de pierre. Sous sa caresse, la peau frissonne, les feuilles ondulent et les fleurs de l'arbre tourbillonnent doucement. Archael a fermé les yeux à son tour, et comme le jour où ses chants avaient bercé les Tigres blancs en quête de liberté, une sorte d'inconcevable légèreté passe dans l'air. Même les rayons du soleil qui tombent sur la pièce semblent plus purs, plus blancs, brillants comme un matin en plein ciel, loin au-dessus des brumes.

« Rassemblez votre don. N'essayez pas de l'utiliser. Appelez-le simplement en vous, et laissez-le rester là. Sentez-le vous emplir comme ... une vague, comme ... un océan. Ecoutez ... »

Le saphir sur le front du Trône palpite de ses reflets profonds. Dans l'esprit de Naja, c'est comme si un vent se mettait aussi à souffler. Sans brusquerie, il passe et disperse toute pensée formulée. Il n'endort pas, pourtant, mais vous conduit par la main dans cet endroit étrange qu'on visite souvent alors qu'on est sur le point de s'endormir. Les choses et les sens ne sont plus immobiles et enchaînées par la raison. Elles flottent librement, sans nécessiter d'explication ou de raison d'être. La pièce de l'école s'efface comme un dessin gommé. A peine comprend-on encore les mots qui viennent jusqu'à vous, lents, berçants ...

« Ecoutez ... Naja Notos ... ce vent et la magie ... ce lieu est la magie ... je suis la magie ... et vous êtes la magie, toute la magie du monde ... écoutez ... »

Et la voix continue d'égrener sa ronde paisibles, sans grand sens en soi, mais dont la simple sonorité a quelque chose d'apaisant. Les mots répétés encore et encore forment une mélopée qu'on entend vaguement, en arrière-plan de la pensée. Quand le noir couvre les paupières et que l'attention ne se concentre plus sur le monde visible, bien des choses semblent prendre un nouveau relief. Dans ce bain de sensations étranges, l'esprit se sent dériver, perdant lentement conscience lentement de la matière. Ce n'est pas exactement une sensation de vertige, mais celle d'être allongé au fond d'une barque qui dérive au creux du courant, sans savoir si une chute d'eau ne s'ouvre pas sous vous.

Les minutes passent avec la lenteur d'un nuage poussé par le vent. Dans ce monde de sensations brutes, « voir » et « entendre » sont deux mots si grossiers. Mais toujours la voix ondoyante est là, compagne caressante, éteignant doucement toute peur avant qu'elle ne devienne panique, balayant les pensées comme feuilles au vent. Elle est la mère qui chante à son enfant, sur le bateau. Elle ne compte pas le temps, elle ne se hâte pas. Elle attend que qu'il cesse de trembler, qu'il ose desserrer timidement les paupières, et que ses yeux s'ouvrent tout grands sur la mer et le ciel.

[HS] Post un peu nul, désolée, j'ai eu du mal à enchaîner... [HS]

Naja s’exécuta, confiant. Comment, par ailleurs, ne pas faire confiance à Archael ? Son sourire chaleureux, sa voix aux tons apaisants... et puis, c’était un Ange ! Fermons les yeux, puisque c’était si gentiment demandé, et ne craignons rien, puisqu’il n’y avait rien à craindre... La voix du Trône était douce et berçait curieusement l’Aasimar. Envolés les doutes, la frustration de ne pouvoir aider Naciniah, la culpabilité, la honte. Envolé le poids de sa douleur qu’il masquait derrière des sourires poli. Juste cette voix et seulement elle, envoûtante, égrainant des mots d’une importance toute particulière. Naja se concentra – oui oui, il savait faire – cherchant à comprendre du mieux qu’il pouvait.

Les doigts de l’Ange avaient à peine effleuré son visage, il n’avait rien sentit, noyé dans les flots réconfortants de la magie. Il était si bien, ici, loin de tout et si proche en même temps. Les mots, à nouveau, lui parvinrent comme un souffle. Rassembler son don ? Comment ? S’il savait l’utiliser, c’était surtout de manière instinctive, sans réellement prendre conscience qu’il était en lui. Un peu comme s’il détournait un élément à l’extérieur de lui-même. La leçon s’annonçait difficile. C’était un peu compliqué, mais l’Aasimar s’appliquait. Rassembler son don... Rassembler son don... Les phrases continuèrent ainsi de le bercer et les minutes s’échappèrent silencieusement, profitant de ce que les deux êtres étaient hors du temps pour filer comme des voleuses.

Et puis tout à coup, le cœur du gérant s’arrêta, figé dans une soudaine panique. Une image du passé s’imposait à son esprit, retour en arrière aussi violent qu’il était inattendu. La voix d’Archael avait changé, adoptant les intonations curieuses du frère aîné de Naja.

« J’ai fait un rêve... Je volais. J’étais libre. J’étais léger. Je flottais sur le souffle du vent et je touchais le ciel du bout des doigts. Je n’avais plus peur. Je n’avais plus de doute. Je n’avais plus froid. Je ne ressentais plus la douleur... je ne ressentais plus la crainte...
_ Ce n’était qu’un rêve, Krait... » résonnaient les voix dans sa tête.

Était-ce Archael qui s’amusait à le torturer ? Naja rouvrit brusquement les yeux, brisant le « charme » du moment, se soustrayant – surtout – à ce souvenir inopportun. Comme un reflet fugitif, une lueur douloureuse passa sur les Grenats profonds. Il interrogea le Trône d’un regard muet, incapable de déterminer ce qu’il s’était réellement passé.

« Eh ?! »

Sa voix avait pris une teinte désapprobatrice. Si c’était un jeu, il n’était pas amusé.

Sans se préoccuper de l'expression dubitative de son élève, Archael laissa ses mains quitter les tempes de Naja.

"Ce que votre esprit a effleuré, c'était ce qui deviendra votre outil de guérisseur. Pour un instant, vous avez perçu ma vie, la vôtre et celle de tout ce qui nous entoure. La force, l'étincelle qui permet à chacune de vos cellules de vivre, de guérir et de se reproduire. Votre cerveau a tenté de traduire par des sens comme l'équilibre et le toucher quelque chose qui est là, mais qui dépasse le champ de la matière."

Le Trône s'interrompit un instant, éclaircissant sa pensée. La MAgie de l'Air était l'une des plus difficile à enseigner. Essentiellement parce que dans la plupart des cas, les élèves s'attendaient à devoir marmonner des formules en agitant les bras, environnées de zéphyrs tourbillonnants. Chaque semaine, où il abordait un nouveau thème, il devait batailler pour les débarasser de ce réflexe. Tout devenait plus simple quand ils comprenaient qu'il suffisait, au début, d'écouter patiemment le vent vous parler ...

Les gestes venaient ensuite. Il y en aurait que Naja devrait accomplir, pour guider et réchauffer la petite flamme qui palpiterait dans le corps des blessés qu'il serait peut-être amené à soigner.

"Il n'y a pas de mot pour décrire ce qu'elle est, aussi il était nécessaire que vous la 'sentiez' vous-même. Il vous faut à présent apprendre à la connaître, vous familiariser avec elle. Nous verrons ensuite comment l'influencer selon vos désirs."

Les yeux bleus, où dérivaient les pailettes d'or, revinrent capter le regard de l'Aasimar. L'étape suivante était l'un des premiers pas, peut-être les plus difficiles. Une minute plus tôt, il avait en effet atteint avec Naja la perception du courant invisible qui parcourait leurs corps à tout les deux et les innombrables organismes qui habitaient la pièce. Grands comme l'arbre ou plus petit qu'une poussière, tous possédaient ce doux murmure qui différencie la Vie de la matière inerte. Mais c'était lui qui les avait guidés, emportant avec le sien l'esprit passif de son élève. A présent, il fallait l'exercer longtemps, afin que peu à peu, il soit capable d'ouvrir lui-même ce sens particulier. C'était la condition première et absolue pour les guérisseurs. Tout comme le sculpteur sent au bout de ses doigts l'argil qu'il pétrit, et qu'il peut modeler à sa guise sans même ouvrir les yeux, Naja devait s'habituer progressivement à cette dimension nouvelle qui serait son lieu de travail et son instrument.

C'était quelque chose d'à la fois très simple et terriblement difficile. Ces nouveaux "yeux" n'étaient pas si nouveaux que cela. Ils étaient présents en lui depuis longtemps, simplement fermés par d'invisibles paupières. Tout magicien possédait la capacité de ressentir les forces entremêlées de la magie et de la vie. Instinctivement, tous le faisaient quand il rassemblaient leurs forces pour lancer un sortilège, quoique de manière très grossière. Ces yeux de l'esprit étaient infiniment faciles à ouvrir, d'un geste aussi aisé que d'ouvrir vos paupières. Mais supposons que jamais l'idée ne vous soit venues d'ouvrir vos yeux? Depuis votre naissance, vous auriez vécu en aveugle. Imaginez qu'on vous dise soudain que vous pouvez voir les choses à distance, qu'il suffit d'ouvrir les paupières ... vous ignorez même où sont vos yeux, et quels muscles vous devez tendre pour cela. Ce serait un geste si facile, sans fatigue, mais peut-être vous épuiserez-vous des heures à écarter les doigts devant vous, convaincu que votre nouveau jouet s'ouvrira au creux de votre paume.

"J'aimerais que vous refermiez les yeux et que vous réessayiez. Rapellez-vous cette sensation et tentez de la retrouver. Si vous n'y arrivez pas, respirez profondément et recommencez, patiemment. Si vous y arrivez, ne faites rien de plus : recommencez. Puis une fois encore, et encore, dix fois, cent fois si vous voulez. Autant qu'il vous en faudra pour vous familiariser avec cette façon de sentir les choses. Si quelque chose vous perturbe, parlez-m'en sans vous interrompre."

Au-dessus d'eux, un pas passa dans le couloir de l'étage supérieur. Rien dans la pièce ne bougea, à part une infime ondulation sur la flaque d'eau ... tout demeurait silencieux et immobiles. Ils avaient le temps. Toute la journée, la nuit si nécessaire pour apprendre. Heureusement, Naja avait un avantage très important, songea l'Ange en fermant les yeux à son tour. Tout à l'heure, il lui avait entrouvert un cil, pour poursuivre la métaphore. A peine entrouvert pour laisser filtrer un rayon de lumière. Mais cela guiderait l'Aasimar, lui indiquerait au moins dans quelle direction il devait tendre ses efforts pour essayer de retrouver cette clairvoyance.

Aucune agressivité de la part d’Archael. Juste sa voix, calme, posée, ignorant de ce qui venait de se produire. Alors pourquoi ? Était-il possible que l’inconscient de Naja ai tenté de lui faire comprendre quelque chose d’important ? Il se redressa et respira à fond, cherchant à retrouver un semblant de calme. Son objectif, en venant voir Archael, avait été de trouver un moyen de venir en aide à tout ceux qui l’entourait. Pourtant, tout à coup, un doute affreux s’était immiscé en lui, comme une crainte dissimulée dans un coin de son esprit et prête à refaire surface à la moindre sollicitation. Allons, ce n’était pourtant pas le moment d’échouer. Il devait bien être capable de quelque chose, non ? Doucement, il se laissa bercer par les propos du professeur et tenta de se concentrer à nouveau. Chercher à comprendre ce que Archael lui suggérait l’aidait à revenir dans l’instant présent. Une phrase pourtant le mit sur la défensive.

« Ce n’est rien. Avec un peu d’entraînement, je devrais pouvoir y arriver... »

Et brusquement, l’enthousiaste affirmative s’était changée en conditionnel hésitant. En parler ? Certainement pas. Naja n’était pourtant pas du genre à faire des cachotteries, mais lorsqu’il s’agissait de son frère – ou plus exactement de ce frère là en particulier – il se refusait soudain à tout commentaire. Il secoua la tête afin de chasser ses idées négatives de son esprit et ferma de nouveau les yeux, cherchant à atteindre cet état à la fois doux et vaporeux vers lequel le Trône l’avait emmené quelques secondes plus tôt. Le temps sembla affreusement long avant qu’il ne parvienne à un semblant de calme et encore plus long avant que le goût du silence apaisant de son élément ne se fasse à nouveau sentir. De nouveau, il y était – ou à peu près – dans les flots caressants du vent.

Cette fois là pourtant, Archael ne prononça pas un seul mot. Sa voix ne serait donc pas confondue avec celle de Krait et Naja avait bon espoir de parvenir à quelque chose de concluant. Cependant, au fond de lui, il sentait monter une crainte lancinante, une peur sournoise et irraisonnée qu’il tenta vainement de réprimer... trop tard.

De nouveau, ce fut le flash aveuglant et les images furent bien moins plaisantes que précédemment... beaucoup plus violentes également. Il revoyait toujours son frère, user de cette même magie dont Naja était porteur... sauf que Krait en usait de manière terriblement offensive, détruisant toute vie sur son passage, brûlant les plaines et les corps sous les impacts mortels de la foudre. Son regard froid s’imposa soudain, deux Émeraudes luisantes dans l’obscurité... « J’ai tué qui...? » demandait Naja à voix basse, comme pour lui-même. « Syngathe. » répondait la voix dans son esprit. Une voix froide. Un ton dur. Des yeux qui le figèrent d’effroi. Comment pouvait-on devenir aussi indifférent à tout, comme une coquille vide de toute émotion. « J’ai tué qui...? » répétait Naja une nouvelle fois. Mais avant que la réponse ne tombe comme un couperet prêt à lui ôter la vie, une terreur indicible se propagea dans tous ses muscles et le gérant rouvrit les yeux, brusquement tiré de son introspection.

Il jeta un coup d’œil en direction du professeur Aera mais, devinant que tout cela n’avait aucun rapport avec lui, il se contenta de serrer les poings, enfonçant ses griffes puissantes dans ses paumes jusqu’à s’en faire saigner. Était-ce donc ce message que son inconscient tentait de lui faire entendre ? Que son pouvoir allait le dévorer jusqu’à ne plus faire de lui qu’une marionnette sans âme...? Jamais !

« En fin de compte... je crois que je n’y arriverait pas... » murmura t-il avec une désolation évidente.

Il sourit, un sourire forcé, certes, mais il était tant habitué à sourire que celui-ci paraissait naturel. Non, il n'y arriverait pas. Au fond de lui, la petite voix le lui interdisait. Mais ce n'était pas grave, il aiderait autrement, à sa manière et sans faire usage de sa magie élémentaire.

[TERMINÉ] Un élève un peu particulier...

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