Rencontre inopinée

Si l’on demandait à Thyrim ce qu’il avait de plus cher à ses yeux, on obtenait toujours la même réponse : l’alcool, la nourriture et ses cheveux –il omettait toujours de préciser qu’il adorait se railler de tout ce qui l’entourait… Puis, si l’on voulait savoir quel paysage serait le plus romantique, le plus beau, ou que sais-je encore, il répétait inlassablement la même chose : une Auberge. Et une où il pourrait rencontrer de charmantes personnes, de préférence.
Vous l’aurez sans doute compris, le jeune Démon n’était pas vraiment quelqu’un que l’on pourrait qualifier de « galant » ou même de « sympathique ». On ne pouvait même pas dire de lui qu’il était gentil…
Non, « alcoolique », « bon vivant » -quel euphémisme !- ou « antipathique » conviendrait certes mieux. Du moins était-ce son propre point de vue –il était toujours étonné que certaines personnes le trouvent supportable.
Mais revenons donc –ou, plus exactement, allons-y- à l’histoire qui nous intéresse.
L’adolescent, quittant à l’instant une Succube –du moins le prétendait-elle- encore plus laide que souche d’arbre rongée par les mites, avait décidé, à l’instar de son intention première qui était de se trouver de l’alcool en quantité suffisante pour faire sombrer son esprit tordu dans un état suffisamment éthylique pour qu’il n’est plus conscience de rien, de se promener un peu dans cette forêt dont il avait oublié le nom. De toute façon se dernier détail n’avait pas grand intérêt à ses yeux rouges.
Mais, finalement, après quelques dizaines de minutes de promenade, évitant branches et racines, zigzagant entre les troncs d’arbre, il se dit qu’il aurait peut-être était plus intéressant de rester chez lui –sauf qu’il n’en avait pas…- à se tourner les pouces qu’à errer à l’aveugle dans ce bois ridicule et sans intérêt réel.
Il envisageait sérieusement de rebrousser chemin lorsqu’il tomba sur une clairière. Elle n’avait elle-même pas grand intérêt en soit, mais, ce qui par contre était véritablement curieux, c’était le grand bâtiment qui se dressait en son milieu –et qui occupait pratiquement tout l’espace.
Et plus encore l’enseigne qui se balançait dans un concert de grincement. Elle indiquait « Auberge ».
Auberge… Auberge. Auberge !
Oh mon Di… Hum. C’était magnifique ! Un véritable mirac… Euh, pardon, une heureuse coïncidence !
Un sourire se dessina lentement sur les lèvres fines de Thyrim.
Une auberge, ça veut dire de l’alcool, de la nourriture, de la chaleur –bien qu’étant au printemps, les températures restaient assez basses et le temps pluvieux-, et, avec un peu de chance, des jolies filles.
Il n’y avait plus qu’à espérer qu’ils servent les mineurs.
Cette bien sombre pensée le glaça. Non, ils n’oseraient jamais ! Ça serait vraiment injuste !
Toujours planté quelques pas devant la porte, les yeux fixaient sur elle, il se frotta le menton –c’était, chez lui, un signe de réflexion intense.
Il ne voyait pas d’autre solution, il allait devoir tricher un peu… Il n’utilisait que rarement ses pouvoirs –la migraine qui s’ensuivait était suffisamment redoutable pour l’en dissuader la plupart du temps-, mais, là, il s’agissait d’un cas de force majeur. Son don d’hypnose « suggérerait » à tous les occupants de la salle qu’il était un –séduisant- Soquior d’âge mûr.
Tiens, oui, en parlant –pardon, en pensant- de ça, il devait sûrement il y avoir des gens à l’intérieur de cette taverne, alors comment cela se faisait-il qu’il ne ressentait aucune émotion. Pas le moindre petit sentiment –à par les siens- à l’horizon. Rien. Bon, si, il y avait un animal effrayé dans les parages, peut-être même à cause de lui. Etrange, vraiment… Il ne contrôlait pas son don d’empathie, il était sans cesse obligé de ressentir la même chose que les personnes qui l’entouraient. C’était très pénible, mais cela pouvait parfois se révéler utile –pour prévoir les attaques desdites personnes, par exemple…
Néanmoins, sept années passées à supporter ce pouvoir, ça laisse des marques : dès qu’il n’éprouvait plus que ses propres sentiments, il se sentait mal à l’aise.
Mais, passons.
Bien que l’étrangeté de la chose le laissât un moment perplexe, il décida de ne pas en tenir compte, trop heureux de cette opportunité d’appliquer une nouvelle fois ses capacités naturelles pour la débauche.
Il ferma les yeux, se concentra et, bientôt, son image se troubla, changea, pour se transformer en un homme d’une trentaine d’année, séduisant, aux superbes yeux bleus –Thyrim haïssait ses yeux et, à chaque fois qu’une occasion se présentait, il n’hésitait pas à changer leur couleur.
Son crâne, déjà douloureux à cause de l’utilisation de ce même pouvoir quelques minutes plus tôt, sembla sur le point d’exploser. Mais, il se dit que le jeu en valait la chandelle, et, maintenant son sort avec une obstination qui tenait plus du masochisme qu’autre chose, il pénétra dans l’Auberge.
La salle était bondée. Il y avait des Elamentiens –il identifia assez aisément des Elfes-, mais aussi des Démons –qu’on reconnaissait facilement eux aussi. Il y avait quelque chose d’étrange dans cette salle. Etait-ce la présence de ces deux groupes qui, bien que pourtant ennemis depuis la Créa… la naissance de ce monde, paraissaient vivre en paix dans ce lieu ? Oui, mais il n’y avait pas que cela…
Tout à coup, l’adolescent réalisa qu’il ne ressentait rien. Pas une seule émotion –à part sa propre peur. Puis, il s’aperçut que, si la migraine persistait, son sort n’avait pas tenu. Pour tous, il avait l’apparence d’un jeune Soquior, un peu plus grand que la moyenne, aux beaux cheveux blancs et aux yeux rouges. Bref, sa véritable apparence.
Alors, il comprit. Quelque chose bloquait la magie, ici.
Etait-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle, il ne savait que décider. Néanmoins, tentant le tout pour le tout, il se dirigea vers le comptoir d’un pas rapide et, s’y accoudant, commanda d’une voix assurée une bonne bouteille de liqueur de Succube.

-->Ombre... au repos à la Tour de Tyïos -->

Décidemment, les pouvoirs de ce garnement laissaient à désirer. Alors que, dans sa grande sagesse ( ou sa grande débilité ), Tyrol s'était littéralement envolé, Thyrim n'avait bien sûr pas voulu rester une seconde de plus, et avait tenté de lancer un sort à Alouqua. En l'occurence une sorte de charme hypnotique censé la faire croire que le Soquior était invisible... Alors certes, pendant quelques secondes, elle ne vit plus le jeune démon arrogant, mais dès qu'elle prit conscience du sort, elle opéra une dissipation de l'effet hypnotique le plus rapidement possible. Quand elle avait anéanti le sortilège, Thyrim se trouvait déjà loin... pour un démon saoûl du moins. En vérité, il se trouvait à une vingtaine de mètres. Alouqua se demanda si elle devait le suivre et en apprendre plus sur cette recrue potentielle, ou bien attendre leur prochaine rencontre. Finalement, elle avait décidé de le suivre discrétement.

En fait, elle se rendit compte qu'il était inutile d'être discrète : il était dans un état assez pitoyable, état qu'elle n'avait certes pas cerné imméditemment quand il était apparu et qui maintenant était évident. Sa demarche n'avait rien de normal, et il lui sembla l'avoir vu vaciller plus d'une fois, sans qu'elle-même ne fasse un geste pour l'empêcher de tomber. Enfin, elle leva les yeux au ciel en priant n'importe quel démon supérieur de préserver la jeunesse démoniaque pour qu'ils ne ressemblent jamais à cette... énergumène. Finalement, elle décida de suivre tranquillement Thyrim, gardant une distance de vingt mètres par prudence. Quand Thyrim aperçut l'Auberge, il s'arrêta et sembla... heureux. Rien de plus normal se disait Alouqua, Auberge était égale à alcool pour lui. Enfin, il allait être surpris.

La succube conaissait cet endroit, les démons mineurs en parlaient suffisament comme ça. Une auberge dans la forêt Darke ! Quelle aubaine ! De la boisson, des succubes et... des élamentiens ? Oui, cette Auberge était ouverte à tous, démons et habitants d'Elament, sans distinctions... Cependant, aucun pouvoir n'était permit à l'intérieur et de toute manière, l'endroit était protégé par un puissant sortilège qui empêchait l'utilisation de la magie, démoniaque ou des élèments. Aussi, Thyrim ne pourrait-il pas user du même stratagème qu'avec elle et faire croire aux clients et à l'aubergiste qu'il pouvait consommer de l'alcool. Alouqua soupira. Elle pourrait peut-être ( je dis bien "peut-être" ) l'aider.

Aussi, la démone s'aventura dans l'auberge. Assez vaste, bien bâtie et asse agréable, démons et élamentiens partageaient tables, boissons et ragots. Il y avait assez peu de femmes ( d'Elament ), en revanche, il y avait une population non négligeable de succube, qui en la voyant entrer la saluèrent respectueusement de la tête ( c'était la moindre des choses, mais il valait mieux ne pas s'attendre à une extrême politesse de leur part... ). D'autres démons la saluèrent disctrétement. Alouqua ne rendit aucune de ces marques de politesse. Elle en avait le droit. Elle prit cependant un air hautain et meprisant envers tout les élamentiens, ainsi que les démons. Certains habitants lui jetèrent des coups d'oeil en biais. Ses formes voluptueuses attiraient assez de regards comme cela.

Elle s'était arrêtée et cherchait Thyrim dans la salle bondée. Elle le trouva rapidement. Il paraissait peu sûr de lui lorsqu'il demanda une liqueur de succube, et l'aubergiste, l'ayant jaugé de haut en bas lui répondit.

" On sert pas les mioches comme toi ici ! Retourne voir ta mère ! "

Alouqua eut un sourire narquois et s'approcha de Thyrim et de l'aubergiste. Elle s'accouda à sa tour au comptoir et dit.

" - Je m'occupe de lui. Amenez-lui sa liqueur...
- Ouais... vous ne prenez rien ?
- Un alcool sanguin, doux. "

Elle termina sa commande par un sourire vampirique, ses crocs blancs scintillants et pointus valaient mille paroles. Les alcools sanguins étaient génaralement fait avec un alcool ( fort ou non ) dilué dans le sang d'un animal quelconque. Beaucoup de vampire préférait se nourrir de cela, car ce nectar apaisait la soif de sang sans avoir besoin d'en boire de grande quantité. Alouqua préférait tout de même le sang pur. Enfin, les goûts et les couleurs, ça ne se discutent pas, comme on dit ! Alouqua jeta un regard mi-amusé mi-narquois sur Thyrim. Si sûr de lui, il était maintenant obligé de rester avec elle.

" Alors ? Tu as besoin de ta mère pour te desaltérer ? Peuvre petit bébé Thyrim... La nuit, ce n'est pas sûr pour un gamin comme toi ! Tu devrais peut-être resté caché dans une crypte abandonnée ? Pauvre petit... A peine capable de marcher droit... "

Sur ce, l'aubergiste leur amena leur commande, et Alouqua amena immédiatement le nectar à ses lèvres. Plus doux que ce sang alcoolisé se deversant dans son organisme, se défouler sur Thyrim était extrémement agréable !

Il y avait certaines choses que Thyrim ne supportaient pas, des choses qui avaient le don de le rendre furieux ou triste -parfois même les deux. L'une d'elles était les allusions à sa mère.
Passe encore pour le Tavernier -les taverniers sont toujours lents, stupides et grossiers, c'est bien connu-, mais pour cette stupide Succube...
Il laissa passer quelques secondes, pour réprimer sa colère, la dissimulant de façon fort honorable à Alouqua, et se tourna vers elle, une lueur assassine dans le regard -seule marque de son accès de fureur passée.

- Ma mère? répéta-t-il songeusement en la jaugeant du regard. J'ignorait que les Soquiors pouvaient naître de poisson... Quoi que... Il n'est pas tout à fait sûr que tu sois une morue, tu n'as pas d'écailles. Une vache alors? Non, il te manque les tâches... Enfin bon, voici une nouvelle espèce de thon non identifié capable de se déplacer à l'air libre...

A ce moment-là, l'Aubergiste revint et déposa les commandes devant eux. A la vue des deux bouteilles ouvertes à quelques centimètres de son nez aiguisé -il pouvait sentir de douces volutes s'élever de leurs goulots-, une idée lui vint. Oh, trois fois, rien... Juste une petite blague pour faire payer -littéralement- à l'espèce-de-thon-non-identifé-capable-de-se-déplacer-à-l'air-libre son allusion à propos de sa mère.

- Ah! Puisque ma... ma mère (Il prononça ces mots avec une voix dégoûtée) est là, pourquoi ne pas prendre un bon repas. Mm... Disons, Rôti de porc, et du vin pour accompagner. Et, quelques cuisses de poulet si possible. En dessert... Hm... Ce que vous avez, n'importe quoi, ça fera l'affaire. Et toi, la vieille, qu'est-ce que tu prends?

Décidant dans la demi-seconde qui suivit qu'elle était trop longue à répondre -elle était tellement vieille que son temps de réaction avait triplé, au moins-, l'adolescent le fit à sa place:

- Même chose pour elle!

Le Tavernier lui lança un regard entre l'amusement et la défiance, mais s'éxécuta néanmoins, au grand plaisir du jeune Démon, qui salivait à la perspective du repas -l'"orgie" serait peut-être un terme plus exact- qui les attendait. Il en oubliait presque sa vengeance. Presque.

- Mes parents, répéta Thyrim en poussant un profond soupir.

Il n'avait pas spécialement envie d'en parler.
A côté de lui, Alouqua mâchonnait d'une façon tout ce qu'il y avait de plus ridicule le cou d'une pauvre petite volaille déplumée qui, bien que morte, semblait se débattre et refuser de donner à cette vampire dégénérée le sang qu'elle lui prenait de force. C'était grotesque.

- Tu sais que tu as l'air parfaitement stupide comme ça? Ah, et, tu as du sang sur le nez... Pour répondre à ta question, mes parents se trouvent ) un endroit où, fort heureusement, ils ne te verront jamais -quoi que je pense que la vision les auraient de toute façon tués...

Il s'étonna un moment de ne pas sentir l'irritation de la Succube que n'aurait pas manqué de provoquer sa réplique, mais il se rappela que la magie ne fonctionnait pas en ce lieu -ce qui comprenait même son don d'empathie, pourtant incontrôlé.
En parlant de don, sa migraine persistait... Avec un nouveau soupir, il porta une main à sa tête. Pourquoi avait-il utilisé ce pouvoir déjà? Ah, oui, c'est vrai, pour tenter d'échapper au thon assis à côté de lui... Ce qui avait d'ailleurs été un échec relatif, puisqu'elle l'avait retrouvé.
Peut-être serait-il judicieux qu'il commence à s'entraîner... Oui, il débuterait le lendemain. Ou pas.
Se souvenant alors de la présence d'un repas appétissant sous son nez, il se jeta sur les plats, avec une avidité à faire frémir le rôti de porc le plus aguerri -imaginez alors ce qu'a pu ressentir celui qui faisait les frais de cette voracité.

- Si tu as fini avec ce poulet, tu peux le donner au Tavernier pour qu'il aille le faire cuir? Et me le donner, après... demanda l'adolescent en désignant l'oiseau exsangue.

Puis, sans attendre la réponse, il arracha la pauvre bête des mains d'Alouqua, et la jeta -littéralement- à l'Aubergiste, qui, ayant entendu la demande, se dirigea vers les cuisines, ladite bête sous le bras.

- Aaaahhh... J'adore les Auberges..., ronronna le jeune Démon, en agitant ses ailes de contentement.

La personne assise derrière lui, une jeune Hybride aux oreilles de chat, poussa un feulement irrité.

- Veuillez m'excuser, belle damoiselle! lança-t-il avec une emphase un rien éthylique.

Puis, il retourna à son assiette. Manger ou courtiser, il faut choisir. Le choix est vite fait, non?

Sur les parents, Alouqua n'avait guère d'avis. En effet, toute jeune, elle fut confiée à Seth, qui s'occupa intégralement de son éducation, sa mère étant trop occupée à batifoler avec Baal... Plus tard, elle était alors en âge de le comprendre, Seth partit et ne revint jamais, c'est alors que tout avait brusquement changé : Baal et Lilith ne s'aimaient plus, etrangement, ils se haïssaient, comme du temps de la guerre des Elèments et n'avaient plus aucun souvenir de leur amour, encore moins de leur fille, Alouqua. Mais ils étaient à la tête d'un groupe de démon, et la pouvoir lui ayant monté à la tête, Baal tua Lilith en traitre, et devint l'unique chef. Plus tard, ignorant toujours son lien avec Alouqua, il tomba éperdument amoureux de sa propre fille, cette dernière profitant de sa passion pour le ridiculiser et venger sa defunte mère. La vengeance arriva à son apogée quand, dans un eclat de lucidité, Baal recouvrit la mémoire et se suicida. Ainsi la fille avait tué la père. Patricide indirecte, elle en était tout de même la principale actrice, et on la proclama reine, titre qu'elle refusa, décidant de partir à la recherche de son ancien mentor, Seth. But qu'elle oublia un certain temps après sa transformation en vampire, et qui désormais l'obsédait.

Aussi, quand Thyrim lui suggèra qu'elle ne pourrait jamais rencontrer ces parents, elle en déduisit ( simple hypothèse ) qu'ils étaient morts. Et, son expérience aidant, elle imagina qu'il les avait tués. Pourquoi ? C'était sa seule expérience parentale : l'enfant tue les parents, ou du moins, les mène à leur fin.

" Pff, dis tout de suite qu'ils sont morts, au lie ude tourner autour du pot ! Personnellement, j'ai tué mon père, parce qu'il avait tué ma mère... Mais je doute que cela t'intéresse, en bon egoïste que tu dois être. Alors, c'est toi qui les as tués ? Ou ils n'ont pas eu besoin de ton aide pour crever ? "

Oui bon d'accord, elle était très crue dans ses paroles, mais dans une auberge, avec un alcool sous le nez, on avait le droit d'être direct ! Alors qu'Alouqua se demandait si le Soquior insolent se moquait d'elle en lui affirmant qu'elle avait du sang sur le nez, sa proie lui échappa des mains et fut conduite immédiatement en cuisine. Privé des dernières gouttes de son repas, Alouqua se contenta de boire une gorgée de son verre et de s'accouder mollement au comptoir solide. Non non, elle n'était pas ivre, du moins pas autant que Thyrim... Enfin un tout petit peu. La petite exclamation du jeune démon la fit sourire : au pire, il pourrait servir de bouffon ? Alouqua pensa que, maintenant dans un état d'ébriété avancé, elle pouvait parler du passé sans vergogne.

" As-tu entendu parler de la Bataille d'Elament d'il y a quelques mois ? "

A ces mots, plusieurs personnes proches, des élamentiens, se tournèrent vers elle brusquement, et se detournèrent aussi vite. Parler aussi librement d'une bataille qui avait emporté la moitié des habitants d'Elament dans l'Auberge ! Seul un démon pouvait le faire... Alouqua n'était pas peu fière d'avoir massacré nombre d'élamentiens, le sang des guerriers coulait dans ses veines, cette bataille l'avait revigorée... Enfin, jusqu'à la mort d'Apharez, leur ancienne Reine. Après cela, blessée, elle s'était enfuie lâchement... Enfin, normal pour un démon quoi... et elle avait rencontré Iblîs, futur Seigneur de la Caverne, qui lui avait demandé de devenir sa Conseillère, et qui avait libéré ses pouvoirs et ceux de Kïo, la sacrant Démon Majeur. Bref, vous vous en fichez royalement, alors on passera sous silence le reste de cette histoire passionnante...

En effet, ses parents n'avaient pas eu besoin de lui pour mourir, même si cela le chagrinait. Soit-dit en passant, la vieille Succube ne semblait pas concevoir une très belle image des parents...
Sur un point de sa petite tirade un peu grossière -sur la forme-, Thyrim n'était absolument pas d'accord. Non, il n'était pas égoïste. Il ne faisait que s'intéressait principalement à une personne extraordinaire, autour de laquelle tournait sa propre vie, une personne qu'il aimait -lui...

- As-tu entendu parler de la Bataille d'Elament d'il y a quelques mois ? demanda soudainement Alouqua.

Sa question provoqua une gène et une pression palpable dans la salle. Comment gâcher l'ambiance chaleureuse d'une auberge en une seule phrase? Il devait manquer une sacré case à cette Démone pour qu'elle se mette à parler de guerre, en plein milieu d'une beuverie.

- Tu parles de celle qu'on a perdu? répliqua l'adolescent, entre deux bouchées. Evidemment... Je suppose que tu y étais... Oh! Tout s'explique! Tu as dû miner le moral de nos troupes -enfin, des armées démoniaques-, rien que par ta seule présence. Je les comprends, les pauvres... Voilà la raison de votre défaite...

Avait-elle seulement conscience qu'il ne s'y intéressait pas vraiment et qu'il ne soutenait apparemment pas son propre camp, celui des Démons -ce qui peut-être compréhensible, puisqu'ils ont perdu... Peut-être, peut-être pas...
Elle était vieille, laide -mais ça n'avait pas grand rapport-, et commençait à être saoul. Avec seulement quelques gorgées de cet alcool immonde, si peu alcoolisé par ailleurs qu'on était en droit de se demander si cette infâme boisson méritait bien le titre d'"alcool", c'était véritablement une honte. Purement et simplement.

" - Pff "

Légèrement dédaigneuse. Et dire qu'à l'origine, elle n'avait aucune envie de combattre cette Cité d'âmes dites "purs" ! Voilà qu'un jeunot sans cervelle, saoûl et qui vient d'arriver l'accusait d'avoir miner le moral des combattants. Elle n'avait même pas envie de répondre à cette remarque. Personnellement, elle pensait qu'à l'époque, leur Reine n'était pas assez puissante. Certes, Apharez était une puissante succube, une Reine approuvée et reconnue par les siens... Cependant, elle était trop émotive pour un démon, et trop dédaigneuse... Iblîs en revanche, était l'hom... le démon idéal pour diriger la Caverne et reformer les troupes démoniaques. Son objectivité et son absence total de sentiments lui permettaient d'établir des plans infaillibles et des stratégies machiavéliques. C'était sans doute le démon qu'Alouqua respectait, et respecterait, le plus. Ceux qui les connaissaient pensaient surement qu'elle le détestait et qu'elle se moquait de lui, en vérité, elle poursuivait le travail de sa mère et agissait comme toute succube qui se respectait... Mais Iblîs savait qu'elle lui était ... Bon, peut-être pas dévouée, mais au moins qu'elle prête à accèder à ses requêtes... Une bien jolie formule pour dire qu'elle lui obéirait.

Il fallait savoir qu'à l'origine, leur nouveau Seigneur des Ombres avait besoin de son appui à elle, reconnue comme fille de Lilith et de Baal, deux guerriers renommés. En effet, depuis l'exil forcé et la malédiction ( si l'on peut l'appeler ainsi ) d'Iblîs, lui-même était assez peu reconnu. En outre, elle lui était redevable d'avoir libéré Kïo. Après tout, désormais, elle était bien plus puissante... En parlant de Kïo, elle ne l'entendait plus depuis qu'ils étaient entrés dans l'Auberge. Le bouclier qui opérait était-il si puissant que même Kïo ne pouvait s'adresser à elle alors qu'ils étaient pratiquement en symbiose ? Apparemment oui. Alouqua balaya la salle du regard furtivement. Il y avait peu de monde qui pouvait les écouter. Et ceux qui étaient à portée étaient pour la plupart saoûls. Elle apercevait deux ou trois démons mineurs, quelque Nakash lui sembla-t-il, mais ils étaient trop loin pour les entendre. Alors elle braqua son regard perçant sur Thyrim.

" Exactement, nous avons perdus " Ses paroles étaient hachées, comme si chaque mot lui brûlait la gorge, le dernier avait presque été craché. " ... Cependant, nous avons un nouveau chef. Et lui, il ne perdra pas. Jamais. Même un jeunot dans ton genre devrait connaitre son nom, ou au moins son surnom. " Alouqua se pencha et murmura à l'oreille du Soquior. " Il s'agit d'Iblîs Nemrodus, l'ex Faucheur Rouge. " Elle se redressa, un sourire triomphant aux lèvres et continua. " Lui, il les tuera tous, jusqu'au dernier. Et si tu ne veux pas finir comme eux, tu aurais plus intêret à nous rejoindre... Enfin, ton esprit embrouillé ne doit pas encore être capable d'assimiler ce que je viens de te dire alors retiens bien ça : soit tu mourras à la prochaine bataille, soit tu rejoins les rangs des démons de la Caverne. Ne me répond pas immédiatement, mais dis-moi au moins, tu t'en souviendras ?"

Elle le regarda intésemment. Après tout, un jeune démon qui ne se soucie que de sa survie ne pourrait pas refuser une offre aussi tentante. Quoique... Avec ce Thyrim saoûl, on ne savait jamais !

Thyrim, bien que fort occupé à massacrer de la façon la plus cruelle possible cette malheureuse cuisse de poulet qui l'avait regardé d'une façon fort suspecte, écouta avec ce qui ressemblait à de l'attention la diatribe passionnée d'Alouqua, à propos d'un Démon -sûrement aussi dégénéré que la Succube, si elle en parlait comme ça-, nommé Iblîs Nemrodus, l'ex Faucheur Rouge. Y avait-il un rapport avec l'agriculture? Il l'ignorait -quoique cela l'amusa fortement d'imaginer que les forces démoniaques puissent être actuellement dirigées par paysan.
Dire que la proposition de la vieille le surprit est un euphémisme -il manqua de s'étouffer avec une bouchée de ce poulet récalcitrant et vindicatif. Bon... Réfléchissons posémment. Il l'avait insultée, poussée à bout, et clairement fait comprendre qu'elle lui était plus qu'insupportable... Alors pourquoi Diable -mais, peut-être fallait-il remplacer ce nom par celui d'Iblîs?- lui offrait-elle de sauver sa vie pour rejoindre la Caverne? Sans doute des avances... A son âge, vraiment...

- Si continuer d'exister m'intérèsse? ça dépend... Tu compte vivre encore longtemps? répliqua l'adolescent, en jetant l'os qu'il s'apprêtait à ronger -Die... Euh, non, Paix est son âme...- par dessus son épaule.

Il s'arrêta un instant, pour savourer la vague d'irritation qui ne manquerait pas d'émaner de la Succube, mais, rien ne vint. Il se souvint alors que l'Auberge l'empêchait d'utiliser la Magie, et donc que son Don d'empathie n'agissait pas en ce Lieu.

- M'en souvenir? répéta-t-il, finalement, déçu de n'avoir pu ressentir l'effet de son insulte précédente. Etant donné que cela me raménerait à penser à toi, je ne suis pas sûr que j'y mettrais beaucoup de volonté...

Il examina un moment les vestiges épars de son assiette qui, il y avait de cela à peine dix minutes, méritaient encore le nom de "aliments", avant de pousser un soupir déconfis.

- Aubergiste! Remettez moi la même chose!

Puis, tandis qu'on transmettait sa commande en cuisines, il but une longue gorgée de Liqueur, tout en jetant un coup d'oeil désintéressé à Alouqua.

- Bon, d'accord, tu me fais pitié -si seulement ça n'était que ça. Je m'en souviendrais, ne t'iqnuiète pas... Je doute de toutes façons de réussir à oublier une soirée aussi désagréable. Ce n'est pas que l'endroit ou la nourriture soient pourris, mais... on va dire que la compagnie est un rien déplaisante. Seulement, il y a un problème qui t'a sans doute échappé -ah! L'âge! Tu as fini par perdre tous tes neurones?-, je ne compte pas rester avec toi indéfiniment, et je ne vois pas du tout comment je pourrais te retrouver... Et, je n'ai absolument aucune envie de crapahuter pendant des jours pour me retrouver face à face avec ta sale tête de rat en décomposition. Sans animosité aucune, bien évidemment...

Thyrim était un être prétentieux, orgueilleux, narcissique et égocentrique. Il était souvent fier de lui, et répugnait à admettre ses erreurs... Où est-ce que je veux en venir?
Oh... Je tenais juste à préciser qu'il n'était pas peu fier de sa tirade légèrement alambiquée, mais assez bien tournée, avouez-le.

Les sarcasmes du démon n'avaient d'égals que son appetit ! Mais, malgré ses envies de meurtres de plus en plus grandissantes, Alouqua garda bien en vue qu'un jour, elle lui ferait payer ces blagues. Rira bien qui rira le dernier, comme on dit. Aussi, pour éviter d'égorger sur-le-champs Thyrim, le fixa-t-elle de son regard perçant, et implacable, pour lui daire bien comprendre qu'elle aura sa revanche.

Alouqua ne savait pas si son sourire était dû à la nouvelle commande du jeune démon - comment faisait-il pour continuer à manger ? - ou bien à la question du Soquior. Non, en définitive, le sourire était dû à l'appetit de Thyrim, le leger rictus mauvais, à sa question sur la fraicheur de ses neurones. Elle ferma ses yeux, et songea un instant à partir et à laisser là ce jeune insolent ! Mais son devoir - qui aurait qu'elle penserait cela un jour ? - l'obligeait à rester, à écouter ces sarcasmes, et à confier un objet précieux à ce cher Soquior... Elle soupira.

Lentement, elle se releva, et se plaça derrière Thyrim assis, ainsi, elle le surplombait de toute sa hauteur... Ou bien était-il simplement très petit ? Elle enfouit sa main dans une sacoche accroché à sa taille, et ressortit son poing droit fermé, son bracelet emit un leger cliquetis. Elle ouvrit sa main devant elle. Il s'agissait d'un barrette. Sans aucun doute, elle était jolie. Même cet idiot devrait l'admettre ! Un diamant étincelant, placé avantageusement en son bout dans un petit orifice, brillait de mille feux, et refletait en arc-en-ciel la lumière des torches. La barrette était taillée dans un os de pie, très fin et creux, et finement ornementée de minuscule gravure dans l'os. Ce bijou avait dû demandé des semaines de travail ! Il était aussi ouvragé qu'un collier des plus riches marchands d'Elament !

" Voici un présent. Si jamais tu es d'accord, utilise le diamant sur ce bijou pour me contacter... "

... Alouqua ramena quelques mèches de cheveux de Thyrim qui lui tombaient sur le front, sur le côté droit de sa tête, et les accrocha avec la barrette. Bien sûr, le démon ne l'aurait pas laissée faire, aussi, sa main gauche appuyait fermement sur l'épaule gauche du Soquior, de sorte que tout mouvement lui soit difficile.

" J'espère que cette soirée aura été la pire de ta jeune vie, car il en va de même pour moi, Thyrim. Aussi, je ne te souhaiterais pas "bonne soirée", et de toute façon, le ... coeur ( mot presque craché ) n'y est pas. Au revoir, Thyrim, le Soquior. "

Alouqua tourna les talons, et sortit de l'auberge sans se préoccuper de quelque démon insignifiant qui inclinait vaguement la tête, maintenant trop ivre pour ça. Une fois à une dizaine de mètre de l'Auberge, elle sentit ses pouvoirs revenir.

*- T'es sure d'avoir bien fait ? Après tout, c'est qu'un jeunot !
- Ne t'inquiète pas, s'il a assez de force pour utiliser le diamant sur le bijou, alors il pourrait rejoindre la Caverne, non ?
- Ouais... Si tu le dis ! Tu vas le dire à Iblîs quand même !?
- Mais oui, mais oui... *

Maintenant à l'orée de la forêt, un incube apparut soudain, surgissant de derrière un arbre. Ses cheveux blonds comme les blés tombaient en cascade dans son dos, son visage fin et ses manières lui donnaient l'air d'une succube ! Mais c'était le cas pour de nombreux incubes. Celui-là se nommait Nerdä, et il était l'un des préférés de la succube, aussi s'approcha-t-elle de lui, et souffla.

"- Que veux-tu, Nerdä ?
- Ô Conseillère Démoniaque, Alouqua des Démons, fille de Lilith, on vous demande à la Caverne, pour une affaire urgente concernant un regroupement de quelques Lamias non loin d'ici...
- Ordonne aux eclaireurs d'observer leurs faits et gestes, et je veux un rapport détaillé au prochain crépuscule !
- Oui, Conseillère.
- Et previens un émissaire lamia, il pourrait intervenir.
- Oui, Conseillère.
- Deux derniers points : premièrement, tu iras prévenir Iblîs qu'un nouveau démon est arrivé, qu'il se nomme Thyrim et que c'est un Soquior, tu iras à l'aube... "

Il était encore très tôt, la lune était encore assez haute dans le ciel. Alouqua s'approcha encore de Nerdä, passa dans son dos, et ouvrit une porte des Ténébres derrière eux.

" -... Suis-moi, j'ai besoin de me détendre. "

Cette fois il ne répondit pas, Alouqua recula et pénétra dans la porte noir, qui l'emmenait dans ses quartiers. Sans hésiter, Nerdä la suivit.