Aidez-moi...

Lorsqu'il rouvrit les yeux, Krait se sentait las, la mort dans l'âme et son corps était si douloureux qu'il souhaita être mort afin de ne plus ressentir cette souffrance. L'esprit encore très confus, il se remémora brièvement ce qu'il avait vécu ses dernières heures, avant de s'apercevoir qu'il était à l'arrêt, sur son cheval. Inquiet, il observa les alentours, le cœur battant, sans croire ce qu'il voyait. Était-il resté si longtemps inconscient ? Devant lui, à une cinquantaine de mètres à peine, s'élevait fièrement une grande porte de bois sans poignée, tout juste ornée de quatre pierres dont les couleurs miroitaient doucement aux rayons changeants du soleil. Il devait être aux alentours de midi et les oiseaux commençaient tout juste à chanter timidement dans le silence printanier. Où diable Unukalhai l'avait-il amené ? Il avait trouvé seul un chemin que lui même n'aurait su suivre... le conduisant tout droit à Elament !

Combien de temps avait bien pu durer cette chevauchée démente ? Krait l’ignorait. À dire vrai, il ignorait même jusqu’au lieu où il se trouvait actuellement.

D'horribles lancements lui brûlèrent l'épaule et le rein, le rappelant à la réalité : il devait aller se faire soigner au plus vite. Mollement, il exhorta son cheval à avancer d'une pression des jambes et tout aussi mollement, Unukalhai se mit en marche, chancelant. Tous deux avaient la tête basse et les crins enchevêtrés de cheveux collés, gluants, dégageant une forte odeur de mort. Arrivé près de la porte, Krait entrepris de la pousser, lorsque la flèche plantée dans son épaule le rappela à l'ordre, lui interdisant tout mouvement. De nouveau électrisé par la douleur, il bascula en avant, se rattrapant de justesse à l'encolure de son cheval. C'est alors seulement qu'il constata, non sans horreur, qu'un carreau d'arbalète s'était profondément fiché dans le poitrail de son étalon. Réfléchissant à toute allure, il se remémora l'instant où Unukalhai avait percuté un soldat... n'avait-il pas entendu le sifflement d'un projectile, quelques secondes avant l'impact ? L'étalon avait donc galopé tout ce chemin avec cette chose plantée là...

Alors, d'un geste résolu, les dents serrées et faisant fi de la douleur, il se pencha afin d'appuyer la paume de sa main sur la porte. Le hasard voulu que ses doigts trouvent, d’instinct, la pierre aux reflets de nacre correspondant à son élément... tout au moins aurait-il fallu qu’il sache qu’il en contôlait un ! Étrangement, comme si la Cité comprenait l'urgence de la situation, le loquet céda dans un claquement et la porte s'ouvrit toute grande, pivotant avec une extrême légèreté. Surpris par la soudaine dérobade de son appui, Krait perdit l'équilibre et s'effondra brutalement, face contre terre. Lorqu'il essaya de se relever, il vit les sabot de son cheval maculés de sang et leva les yeux afin d'en découvrir la cause. Outre la plaie causée par le carreau d'arbalète, Unukalhai avait les jambes et les genoux lacérés, sans doute par les nombreux buissons de ronces que sa fuite éperdue l'avait poussé à traverser. Et pourtant, l'animal ne bronchait pas, la tête basse, le regard triste, il se contentait de souffrir dans un mutisme absolu, comme souffrent les proies mortellement blessées, silencieuses par crainte d'attirer leurs prédateurs. L'Aasimar serra les poings, sans parvenir à se relever tant la douleur le clouait au sol. Dans un dernier effort, il chercha de l'aide du regard...

Devant lui, il distingua à peine les mouvements de la foule. Tout ce qu’il apercevait depuis sa position étaient les pavés et ces pieds qui les foulaient, chaussés de bottes, de sandales ou simplement pieds nus. Sa vision devenait floue, vague et se mit à tourbillonner dangereusement, toute force le quittant.

« AAAAAAAAH HUM!!! » une bouchée... « AAAAAAAAH HUM!!! » puis une autre... suivit d'un petit « Hihihi » Et oui Lipulo Kyou était là, assise sur le rebord des remparts à manger ce qui ressemblait à un pain brioché dont l'intérieur était rempli d'une sorte de substance marron qui lui dégoulinait sur le visage, matière qu'elle s'empressait de lécher goulûment à l'aide de sa petite langue, une nouvelle fois suivit de petits rires comme pour faire partager le bonheur qu'elle éprouvait à dévorer cet aliment.

Ses jambes de naines pendaient dans le vide et elle s'amusait à les faire se balancer l'une après l'autre, tout en zieutant les alentours et en ingérant son casse-croûte. La bouche pleine et les yeux écarquillé elle se tenait ainsi à l’affût de toute chose qui pourrait se produire, bien que la première chose qu’elle ferait dans ce cas là, ne serait pas d’aller chercher du secours, mais d’aller au devant des ennuis pour y trouver quelque chose d’intéressant. Miss Lipo amener son pain vers sa bouche et croqua à pleine dent dedans, et ne put s’empêcher de s’extasier sur la délicatesse et l’arrière goût de celui-ci... une nouvelle fois...

« Hahahaaaa! Ché boooooon!!! » mais quelque chose attira alors son attention... « Uh?! »

La porte de la Cité s’ouvrit lentement, signe qu’un habitant revenait ou que quelqu’un venait de faire la découverte d’Elament. Alors aussi étonnant que cela puisse paraître, Lipulo se tue et regarda la scène... Un homme se tenait là, visiblement bien amoché par un voyage ou bien un combat, mais ce qui fascinait en premier lieux la jeune naine ce fut l’étalon qu’il avait avec lui. Elle le trouvait beau et... grand! Mais il ne semblait pas être en meilleur état que son maître.

Tous deux étaient d’une beauté sans égal, mystérieux... même le cheval. En tout cas pour Lipulo. Elle ne disait plus rien, pas un mot et retenait son souffle. Mais c’était sans compter la détermination de notre naine à ne pas rester calme bien longtemps. Elle enfonça la brioche dans sa bouche, se leva sur le rempart et sauté à pieds joints sur le sol, courant vers ce voyageur qu’elle n’avait jamais vu. Une petite lueur violette s’approchait d’eux, la naine était habillée d’une robe mauve brillante, de petites chaussures en toiles bordeaux et un chapeau marron couvrant ses cheveux...

Il se tenait si mal qu’elle se doutait qu’il devait avoir mal quelques part, alors dans un élan de générosité...

« Tiens! T’en veux? »... elle lui tendit sa brioche!

Et comme à son habitude reprit ses bonnes vieilles habitudes!

« Dis tu viens d’où? Pourquoi t’as mal? Ton cheval il a quoi? Je peux grimper sur son dos dis je peux?! Mais euh pourquoi tu réponds pas!!!! »

Toujours allongé et à demi conscient, Krait attendait qu’on veuille bien lui venir en aide. De sa vie, il n’avait encore jamais rencontré ce cas de figure où on laissait un homme mourir à sa porte ! Les gens allaient, venaient et aucun ne prêtait la moindre attention à son cas. Fallait-il qu’il soit tombé sur un village d’aveugles ? Krait ferma les yeux, luttant contre le rideau noir qui menaçait de tomber... Quelque chose approchait. Une petite lueur d’espoir, toute mauve, aux pas rapides et légers. Aucune précipitation dans ses mouvements et pourtant, le jeune capitaine savait que la petite chose se dirigeait droit vers lui. Il arracha son visage du sol et la regarda. Cinq mètres... trois... et puis tout à coup, une brioche se présenta à lui et lui posa vingt questions au moins... Bon sang !

Le flot de paroles de Lipulo s’abattit sur Krait sans qu’il les comprenne immédiatement. En fait, un décalage prodigieux s’effectuait entre le moment où il entendait les mots et celui où il les traduisait dans son esprit. Manifestement, son cas était plus grave que ce qu’il pensait. Incapable de réflexion rapide, il fallait bien se rendre à l’évidence : il était en très, très mauvaise posture. Mais la petite fille en mauve l’aiderait, il le sentait.

Serrant les dents et les poings, l’Aasimar entrepris de se redresser un minimum, prenant appui sur son bras gauche, le droit étant inutilisable. L’effort était atrocement douloureux et chaque mouvement lui rappelait cruellement les projectiles plantées dans sa chair. Basculant sur le côté, Krait parvînt à s’agenouiller vaguement, les jambes écartées dans un équilibre approximatif. La sueur ruisselait sur son visage douloureux et ses cheveux lui collaient aux joues. Bref, il n’était pas beau à voir... mais ses yeux d’un vert profond – les deux seules choses encore agréables à regarder chez lui à cet instant – allèrent rencontrer ceux de Lipulo, dont le visage était recouvert d’une substance aux effluves sucrées :

« _ Je m’appelle Krait... »

L’information pouvait sembler inutile mais le jeune homme estimait nécessaire de la donner à la petite. Sa voix était brisée par la douleur et pourtant, il semblait juste malade, comme victime d’une grosse fièvre.

« _ Tu pourras grimper sur mon cheval si... »

Sa voix s’interrompit soudain, coupée par un sifflement dans sa poitrine. Il toussa brièvement, crachant un peu de sang. L’effort fournit par la toux le vida du peu de forces qu’il lui restait et sa tête se mit à tourner de nouveau. Dans son acharnement à rester conscient coûte que coûte, il planta ses doigts dans le sol meuble, tentant vainement de se raccrocher à ce qu’il pouvait. Il devait rester. Il devait expliquer à la petite qu’il avait besoin d’aide. La mort ne faisait certainement pas partie de ses projets !

« _ ... si tu l’emmène pour le soigner... Tu saurais où on peut faire ça...? Et... j’ai besoin d’aide aussi... » parvint-il à articuler.

Sa gorge se serra. De nouveau, il était victime d’une vive douleur. Ses veines pulsaient à tout rompre et il lui sembla ressentir chaque goutte de sang qui s’échappait de lui, comme un compte à rebours avant qu’il ne fasse plus partie de ce monde.

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