L'après-midi ...

Il fait chaud cet après-midi, même dans les rares clairières de la Forêt Darke. Ces temps-ci, les jours de beau temps étaient rares, et le plus souvent, des nuages menaçants planaient sur la région. Mais aujourd'hui, le soleil dardait ses rayons d'or sur la nature toute entière. Cela, au grand plaisir de la plupart des gens qui se trouvaient dehors ... à quelques exceptions près.

L'un de ces exceptions était celui qui marchait sous les feuillages de la forêt. Grand et squelettique, il était vêtu d'un manteau sombre qui descendait jusqu'à terre. Il avançait régulièrement, ses longs cheveux d'ébène ondulant à peine. En plein jour, il n'émettait pas d'aura particulière, juste une étrange sensation de froid.
Cependant, avertis par un instinct sûr, les animaux le fuyaient comme un danger mortel. Les branches elles-mêmes semblaient vouloir, si elles l'avaient pu, se recourber pour s'éloigner de lui.

L'homme continua sa route, son visage livide n'exprimant rien de ses pensées. Il ne regardait ni à droite ni à gauche : le monde pendant le jour ne l'intéressait pas. Et puis, partout, il y avait cette intense clarté, ce soleil maudit qui brûlait et aveuglait. Non qu'il risquât d'être réduit en cendres comme les vampires, mais cela ne l'empêchait pas de détester la lumière du jour...

Un renard fauve surgit soudain non loin devant lui. A la poursuite d'une proie, il n'avait sans doute pas décelé la présence d'un autre prédateur dans les parages. L'animal s'arrêta net. Pendant une seconde, il resta immobile, dévisageant l'être noir.

Vue.
C'est un Être-à-deux-jambes ... comme un de ceux qui vivent dans les grands rochers carrés, au bord du Lac Yùta.

Les yeux d'ambre du petit fauve s'étrécirent.

Ouïe.
Il ne gronde pas, ne pousse pas de cris de chasse. Est-il inoffensif?

Les pattes agiles entamèrent une petite danse sur place, hésitant entre s'en aller et rester.

Toucher.
Il y a le froid autour de lui...

Les poils roux se hérissèrent.

Odorat.
Il sent ... il sent la Mort!

L'animal poussa un gémissement de panique pure. De toute la vitesse de ses quatre pattes, il détala et traversa la pelouse comme une flèche. Fou de terreur, il ne devait pas réaliser où il allait, car il alla tout droit se cogner contre un homme qui somnolait allongé là, et resta immobile, tout étourdi.

L'être habillé de noir l'avait suivi des yeux, haussant les épaules ...

Heureux les simples d'esprit.

Ou cet humain était complètement idiot, ou il était assez original - et courageux - pour décider de ne pas se déranger pendant sa sieste, même si un démon surgissait. Bon, encore qu'il fallait reconnaître une chose : il n'était pas censé savoir que le nouvel arrivant était un démon. Ceci dit, vu la terreur que les petits êtres de la forêt montrent à son approche, il devait être assez difficile de le confondre avec un innocent angelot. Après tout, libre à lui.

"Merci" répliqua Iblîs avec un haussement d'épaules. "Mais je ne me perds pas aussi facilement."

Au fait, qu'est-ce qu'il faisait encore ici? Non seulement, il avait interrompu son chemin à cause d'un banal renard, mais il se trouvait à présent en train de tailler la bavette avec un mortel!Certes, il n'était pas capable de ressentir la colère ou la frustration, mais la situation commençait à devenir vaguement agaçante sur les bords. Il aurait mieux fait de revenir à la Caverne, de s'occuper de fignoler les plans de la Bataille ou d'entraîner les derniers sorciers...

Mais il y avait des jours où il ne supportait plus la présence des autres. Alors, il se réfugiait dans son repaire au fond des abîmes, ou partait hanter les chemins et les routes sans s'arrêter, pendant plusieurs jours. A ces occasions, il avait envie de fuir tous les êtres animés. Voire, parfois de tuer froidement ceux qui croisaient sa route. Peu lui importait qu'ils soient vivants ou morts, habitants ou démons. Tous, ils étaient bruyants, et Iblîs ne supportait pas le bruit. Ils ne l'énervaient pas vraiment, mais ils étaient une gêne. Et en tant que tels, ils n'avaient qu'à disparaître de la surface du monde.

Mais cet homme aux cheveux bruns, là-bas, avait parlé d'une voix calme et posée. Ah. C'était au moins quelque chose d'agréable en cette fichue journée.

"Vous n'avez pas l'air de vous inquiéter beaucoup. La Forêt Darke n'est pourtant pas le meilleur endroit où s'endormir, même en plein jour ..."

Tout en parlant, Iblîs s'était appuyé dos à un arbre. Au contact de l'aura du démon, l'écorce se noircit, comme rongée par un feu invisible.