La Forêt Darke

L'instinct.
Dans les sous bois, dans les ombres des arbres, se mouvait une créature faite de glace et de sang, faite de chasse et de vent. L'instinct, toujours, était son guide, toujours, un allié, une soeur, toujours, la meute qu'elle n'avait pas. Dans la forêt, parmi les flocons que l'hiver déversaient et les feuilles mortes, elle courrait, chassait... Une chasse, une course, mais toujours plus de bonheur qu'Un humain dans Une vie. Unité. Elle était unité, seule et unique, seule et elle-même, plus vivante que jamais. Et, dans les dernières heures du moment noir, quand cela n'est pour un humain plus la peine de se coucher ou de se lever, elle se mit en marche, rien que pour le plaisir de fendre de sa personne la tourmente nocturne dans un froid à fendre l'écorse. Toujours, pendant la nuit, l'hiver atteind son apex, et elle était le signe de cette vérité.

Son esprit de chasses, de feuilles, de fourrures, de pistes, de gibiers, son esprit lui disait de ne pas obéir à l'appel du flair. Feu, sang. L'appel du flair. Cris, étouffement. L'appel des oreilles. La vieille forêt n'écoutait pas, se moquant de cela. Qu'était la vie éphémère d'un quelconque animal ? Le bois se moque de cela. Le bois pousse et regarde, mais se moque de tout. La jeune forêt, elle, grondait sous le feu et le sang. Mais les oreilles des démons n'entendaient pas sa colère. Il n'y avait qu'elle, ici, qui le pouvait. Son esprit le faisait. Ecoutait, chantait pour le calmer, et promettait l'apaisement après. Son esprit, dirigé vers la chasse. Vers la vie. Pourquoi aller vers cela alors ? Pourquoi y aller alors que la piste d'un cerf était là ?

C'était il y a 5 heures. Depuis, la louve avait oublié.

Et elle était revenue à elle, l'estomac plein, le sommeil prit. Elle avait attendu, avec la patience des prédateurs. Et le réveil l'avait prise, et elle s'était remise en marche, oubliant la carcasse, oubliant la première chasse, prête pour une danse, attendant pour une autre chasse. Elle avançait vers l'Est, vers le levé du soleil.

Sur sa route, elle observa et aima tout. La glace formait des stalactites sur les branches des arbres, cruels pieux qui avait tout son amour. Droits, lisses. Comme un croc. Comme un os. Et la neige, la neige partout, non salie par les bottes des humains ou les roues des charettes. Elle était euphorique, marchant dedans, tendant les bras de chaques côtés de son corps et tournant sur elle-même, formant une fleur de lait à la corolle de neige. Et ses pieds ne laissaient pas de traces : la neige la reconnaissait, elle, Aqua, et ne gardait pas son pas. C'aurait était une injure à son don. Et le vent. Le vent agitait les branches, tourbillonnait dans le vide, formant des minis-tornades de flocon. Et se cheveux venaient s'y mêler, montant vers le ciel comme des rayons de lune avec lesquels les araignés tissaient leurs toiles. Il y avait le ciel aussi. Lorsque les flocons s'arrêtèrent, il devint noir. D'un noir tellement profond qu'elle eut l'impression de s'y noyer et d'y respirer. Pas de nuages, pas un seul. C'était tellement beau... Les étoiles, ses soeurs de chasse, piquaient ce grand manteau de soie. Puis la lune... croissant parfait.

Elle n'était pas gibbeuse mais Ruby hurla quand même pour elle, sa voix dans les grâves. De sa gorge nacquit le chant, déchirant le ciel, faisant fuir quelques oiseaux nocturnes. Il retentit un long moment, plusieurs minutes. La voute sembla se tendre vers elle pour l'écouter, l'enrouler dans ses bras, mais elle se tut.

Et le silence fut là, profond, plus résonnant que le cristal. Trop pur. Elle s'y perdit une seconde, une heure de plus, perdue seulement dans l'écoute de ce silence et dans l'obervation de la lune. Totalement immobile.

Puis, sa volonté brisa son esprit. Shinreï. Le village. Le massacre. Silence. Etait-il fini ? Le temps s'était-il écoulé ? Non. La marche de la grande lumineuse le disait. Le jour était encore loin. Mais il fallait reprendre la marche, pour le simple plaisir d'avancer. La Louve se leva d'un bloc. La pellicule de glace qui s'était formée sur elle craque, se brisa, et tomba en paillette. Elle sourit. Demi tour, la marche reprit.

Pourquoi le voulait-elle ? Oui... pourquoi désirer tuer quelqu'un à ce point ? Quelle pu donc être la faute faite pour mériter punition à ce point ? Il est des choses que l'on ne peut se permettre de faire sans avoir après l'équivalent en douleur. La faute ? Une personne de mauvaise foi aurait pu dire 'le simple fait d'exister' mais tout méritait une vie. Oui, tout. Tout et tous. Avoir commi l'opprobe. Jamais l'Oracle n'est remit en question. Jamais la volonté d'une louve ne doit l'être de même. Et c'était peut-être là enfantillage d'une race et d'un peuple entier, ou très grande sagesse. Qui somme nous pour remettre des millénaire de vie en question ? Rien. De la poussière sur les pattes d'un lapin.

Quand la faim la reprit, elle fit un crochet, chassa et se nourrit. De la viande chaude, et un corps que la neige recouvrira tôt. De l'énergie sous forme de chair, et le froid qui ne se faisait que plus mordant. L'ivresse de la traque. Et les flocons, encore, présent à en rendre fou ou joyeux, les flocons, marques de l'eau, tous uniques. Unique. Mais, malgré la vitesse de sa marche, jamais elle ne parviendrait là où elle devait aller en temps et en heure.

Argent. Ainsi devant la surface de son corps. Elle prit plaisir à décomposer la transformation. Glace. Son corps devint solide. Puis friable. Elle tomba lentement, dispercée par le vent. L'énergie ? Quel aqua de ce nom peut dire en utiliser pendant la saison de l'hiver ? Partout, sur le sol, sur les arbres... partout elle pouvait en prendre sous forme de neige. C'était peu mais c'en était quand même.

Voyage. Blanc. Du blanc partout, l'aveuglant, la noyant, la rendant plus heureuse qu'elle n'aurait jamais pu l'être. Froid, froid. Enivrant. Division. Elle passa partout, là où elle le pouvait, voyait les choses et les oubliait. Puis redevint elle, une.
Son corps s'incarna sur une place déserte, devenant statue d'argent sur laquelle la lumière se déformait. Puis elle bougea le visage, brisa cette feuille de mercure poli qui s'effrita et tomba. Le vent passa dans ses cheveux. Ses yeux se baissèrent sur les pavés de cette ville. La neige était mélangée au sang. Ses traits se figèrent, plus minéraux que l'onix ou l'opale. C'avait bel et bien était un massacre. Mais il était d'ores et déjà trop tard.

Des regrets ? Aurait-elle seulement pu leur venir en aide ? Elle aurai pu tuer une partie des démons, déplacant la neige dans leurs corps, mais cela aurait-il réellement été suffisant ? Non. Rien ne peut endiguer la folie, elle le savait bien, elle qui l'avait été. Les regrets ne servaient à rien, elle les effaça d'un revers de sa manche. Mais la plante de ses pieds déjà baignait dans de la glace rouge.

Pendant une heure, peut-être plus, elle déambula dans cette ville. Le sang ne l'écoeurait pas, les corps ne lui donnaient pas la nausée. C'était de la viande, rien de plus, même si ca avait été humain. Elle, elle ne voyait que de la chair qui ne nourrissait pas encore les charognards. Il faisait trop froid pour les insectes, et cela sentat encore trop l'humain pour les animaux. Ainsi marcha Ruby. Ecore un peu, encore plus loin, jusqu'à la périphérie de ce trou d'humain. Comment espérer seulement pouvoir fuir d'une tanière aussi grande ? Une meute n'est utile que si elle ne s'handicape pas elle-même... Mais c'était des humains, et ils étaient stupides. Ils n'avaient pas mérités leur sort, mais ils étaient stupides.

Ses pas la remenèrent sur la place centrale, le bas de sa robe - déchirée à l'avant de façon à ce qu'elle lui laisse les genoux libres, intacte à l'arrière et lui caressant les mollets - déjà imbibé de sang . La fontaine était fendue. Combattre ? Ici... Mouis, pourquoi pas. Mais le terrain était trop accidenté. Ruby s'avança vers l'édifice âbimé et toucha la croute de neige qui s'était formé sur la glace. Une partie de l'eau avait fuit la fontaine, se répendant sur les pavés. Elle avait probablement couté la vie à pas mal d'humain qui, courrant, avait chuté, pour la plus grande joie de leurs poursuivants... La Professeure de l'Eau posa sa main sur le reste d'eau gelée de la fontaine et l'absorba.

Une onde nacquit de sa personne, balayant les pierres, soulevant les pavés, déplacant même les gros éboulits et les cadavres. L'avantage de l'eau ? Elle s'insinuait partout et, grâce aux pouvoirs de l'Aqua, tout virer avait était d'une simplicité infantile. Il ne restait maintenant qu'une place circulaire déserte. D'ici deux heures la neige l'aurait retcouverte et rendrait l'endroit parfait.

Lourdeur de l'air.
Tout sentait la fumée. Le froid nettoyait tout, certes, mais l'odeur collait et, pour l'odorat sensible de la Louve, cela était bien présent. Des gens étaient-ils réellement venu ici ? Si c'était des humains, pourquoi n'avaient-ils pas enlevé les carcasses de leurs frères de race ? Par dégoût ? Ce n'était que de la viande... Elle ne les mordrait plus, le savaient-ils ? Par pudeur ? Etait-ce la même que lorsque le prédateur attend la mort de sa proie ? C'était si stupide...

Elle regarda encore le ciel. Que pouvait-elle faire de toute façon ? Les prédateurs ont la patience, et elle en faisait usage. Mais quand elle ne chassait pas, elle regardait le ciel. Etait-ce les restes du lien qui s'était formé entre elle et Archael ? Qui le sait... Ou peut-être la fascination de la grande marcheuse. C'était elle qui éclairait la sente pendant la chasse. Elle était la soeur de la meute. Mais les nuages la recouvrirent. La neige revint, couvrant doucement la terre gelée nue de la place.

Et la Chasseresse fut prise de nouveau dans ce fatal mélange de silence et de neige, et, reprenant sa danse, oublia le temps. Hypnotique fée de givre, ses pieds ne soulevaient pas la neige du sol, mais les flocons du ciel venaient décorer comme autant de perles et de bijoux ses cheveux, son visage, sa gorge. Elle tournant sur elle-même, formant du ciel une fleur, immitant le gibbeux de sa soeur de chasse. Ses doigts se tordaient, comme ses membres. Son dos s'arquant et ses mains venaient toucher le sol pour lui permettre de faire une roue. Et elle reprenait le tout, dans le rythme déconcertant d'une chasse à l'affût. Ses cheveux et son corps formèrent des arabesques en mouvement. Le vent et les flocons, parfois, par pudeur peut-être, ou par volonté de garder ce secret, la masquait aux yeux de tous, folle prise dans sa transe. Et, dans la trame du monde, elle était en cet instant la personne la plus innocente qui existait.

Mais elle s'arrêta, sentant des yeux sur les courbes de son corps...

Quelques heures avant. Fin du massacre des Tojistes.

Ce fut la fin.

La fin d'une attaque, d'un massacre, d'un déluge, d'un carnage, de la destruction de toutes un village pourtant paisible mais possédant avec trop d'abondance une ressource qu'on appelle "Vie", de tout un culte voué à un seigneur Aéra du nom de Toji. Le sang de mille victime avait coulé autant que les flocons de neige perlant sur ces contrées en cette journée ensanglanté. Le meurtre sans compter fut tout frais et la région puait l'hémoglobine à profusion, hurlait de mille âmes déchirés, portait la marque funèbre, Ô combien mythique, de la Tanière.

Ce fut le début.

Fou que tu es, tu viens de survoler une zone dangereuse. Silencieux comme personne, à dos de dragon de grande envergure à la peau et aux ailes écaillés de teinture sombre, planant sur des distances infinis, frôlant les nuages parfois blanc crème, parfois aussi noir que ta peau, tu surveilles. Tes sens en éveil te disent qu'il y a toujours de la présence, parsemant la région, parsemant le petit bourg, ce nid où viennent de se nourrir diablotins et autres démons mineurs, bétail du Clan du Loup. Il y a aussi cette forte aura qui part au loin, fier de son péché, satisfait d'avoir bu dans les entrailles d'une innocente, heureux d'avoir extrait de son acte, l'énergie de ses victimes. Nul doute que celle qui semble dormir, arbre dans une amazone, dans la forêt Darke, en est aussi une, un personne à la fois modeste et exceptionnelle. Toi qui t'y connais dans ce domaine, tu en reconnais les facultés, mais par manque de perception, tu ne crois pas que c'est elle, cette Aqua, cette "amie".

Aussi fou que tu es, tu es aussi rempli d'audace et de techniques élèmentalistes, de puissance et de maîtrise. Tu as oublié la Peur et ne ressent plus la Douleur, toi qui le temps de quatre saisons est allé en Enfer, et qui en est ressorti avec seulement quelques cicatrices et un esprit glacial. Les yeux fermés, et l’âme concentré sur ses congénères au sol, tu penses à tout et à rien, tu penses au passé, au futur, à tes capacités et à celle de tes prochain ennemis, toi qui est chasseur de primes, tu projettes un plan, tu te réjouit du butin pour toutes ces mises à prix, tous ses démons plus ou moins facile à abattre. Toi qui dans le métier est devenu une légende en seulement quelques mois, toi qui n'a reçu de blessures que par la lame d'Erkios, l'un des Trois Commandant de la Caverne, tu te rappelles de ces quelques informations sur l’événement antérieur à ton arrivée...

***

Il y a à peine une demi-journée de cela, te baladant au milieu des Ruelles à la recherche de vivres et de mise à prix, tu reçois sur ton épaule, un aigle dont la patte gauche est entouré d'un parchemin en tissu de lin, où de l'encre bleuté vint à signaler à ton regard une mission à la mesure de ta démesure, comme toutes les fois où tu reçois des parchemins de cette façon tu en lis que les grandes lignes à la recherche de la proie, de la prime, du lieu de chasse, des moyens fournis, des autorisation et des restrictions. Et là aujourd'hui, tes pupilles s'agrandissent à la mention de trois termes qui te surprend dont l'un est familier à ton passé, le deuxième t’allèche, le troisième te promet une belle quête à l'horizon : "Membre de la Tanière"-"10000 Elementias pour démon mineur, et 20000 pour démon majeur"-"Mort ou Vif par n'importe quel moyen".

Rapidement, tu coures au domaine des Traqueurs Infernaux, cet guilde dont tu es l'un des principale commanditaire et qui possède comme domaine de prédilections, la chasse aux démons. Rapidement Tu prends, ton arsenal d’assassin et tout de noir tu t'habilles comme d'habitude d'un pantalon serré et dont la texture évite de prodiguer des bruits parasites à ta mission, d'une longue cape qui te recouvre des pieds jusqu'au cou puis est prolongé d'une capuche qui t'obscurcit le visage plus qu'il ne l'est, de bottes serrés par un enchevêtrement conséquent de lacets, et de gants blancs contrastant avec le reste de l'équipement sur lequel fut apposé la vipère ondulant, la gueule béante, symbole de ta corporation. Rapidement, tu te dresses au-dessus de ta monture et tu t'envoles vers les profondeurs de la région enneigés

***

Durant le voyage, ses bras furent de part et d’autres de son corps et ses mains, grandes ouvertes. Du bout de ses doigts de fin fils constitués à la base de cristal glacial recouverts d’une fine couche d’eau liquide étaient sortis et voltigeaient dans le vent. Ses fils s’entremêlaient avec une précision tel, que cela finit par former une toile, légère et souple, d’un blanc opaque. Il murmura à l'oreille de sa monture dans un langage elfique, ancien et révolu, une phrase que que seul les érudits peuvent en user avec perfection: "Elament in Gest yu bicas oh Mire!", phrase simpliste mais efficace pour le dressage de Dragon.

Et il sauta. Tombant en flèche en direction du village, il finit par déployer sa toile, et plana sur une centaine de mètres avant d’atterrir avec grâce sur le sol marécageux des marais de l’oubli, dans lequel il s’y enfonça. Il se propulsa en direction du village, transformant la terre en boue en y ajoutant de la masse liquide. Au bout d’une trentaine de seconde, il finit par sortir le bout de son nez et fit face à un saule pleureur d’une splendide hauteur.

Quel étrange décoration qu’on fit à cet arbre ! Des corps pendus par le cou au bout des branches, des cadavres par cinquantaine se balançant au bout de leur « corde », des innocents sanguinolent dont le seul regard définit toute une Terreur, pauvres êtres dont la Vie vient de leur être enlevé de toutes les manières les plus sordides, typiques des démons, méthode que le chasseur connaissait bien pour les avoir expérimenté il y a longtemps de cela. N’empêche que l’artiste en question, pour ne pas dire qu’il furent plusieurs, fut gourmand de tout, mâles, femelles et enfants, modeste gobelin à l’elfe riche auquel il ne reste plus rien à part des habits finement brodés et à moitié déchirés, l’appétit de l’artiste se montrait aussi explicite que ses envies morbides, certaines victimes n’avaient plus que la tête et on les avait fait pendre par les cheveux, en majeur parti des femmes, d’autres possédant encore de large vêtements ce qui n’avait pas empêché de les massacrer, néanmoins la plupart furent dépouillés. La chaleur de leur corps se dissipait au fur et à mesure du temps, cependant il en restait encore, signe que l’amateur de cet œuvre venait à peine de la terminer, signe qu’il n’était pas loin, signe que le prédateur allait pouvoir retirer d’une fiole rempli de son sang, une assez conséquente somme. Heureusement certaines marques sur les corps décharnés prouvaient bien qu’il ne s’agissait pas d’une certaine personne, c’était le travail d’un professionnel, pas d’une légende.

Se délivrant de son chemin souterrain, il avança d’un pas lent mais assuré en direction de cet arbre faisant office d’entrée à l’ancienne ville, passa à côté en n’y prêtant plus attention. D’ailleurs ses paupières furent fermés, et il n’y avait plus qu’une pensée, résultante de toutes ses observations.

*Que le spectacle commence*

Il arriva alors à la clairière de ce vaste amas de maisons,… à l’intérieur en action, multiples présences plus ou moins hostiles, plus ou moins dangereuses, néanmoins le danger ne fut que dans la quantité, au centre juste une seule avait les pouvoirs de l’inquiéter, un démon supérieur de la Tanière, pas un membre du Haut Conseil, mais quelqu’un de puissant, un manipulateur des Ténèbres.

La capuche lui masquant le visage, sa cape voltigeant en arrière sous l’effet du vent, le chasseur avança d’un pas assuré au milieu d’une grande rue, dans laquelle il y avait plein de petits démons assoiffés de sang, de bonnes femmes et de jolies petits enfants. L’un d’eux, les yeux plongés dans le dos nu d’une fille, passa juste devant le traqueur en l’ignorant. Autant dire que l’être tout de noir vêtu l’attrapa par le cou, utilisa la moindre molécule d’eau dans ce corps de corrompu et les expulsèrent en une seul salve en dehors de son corps. Toutes présences, au bruit que venait de faire l’attaquer, sursautèrent. Tout les regards se pointèrent vers l’étranger. Un démon l’attaqua de front et le transperça au niveau du bassin. Mais ce fut vain, ce ne fut que de l’eau. Le prédateur ne fut qu’une forme opaque, mélange d’Eau, de Glace et de Vapeur, une entité aqueuse se mouvant avec la précision d’un rapace, la puissance d’un Tigre et l’agilité d’un loup. Mais cet silhouette reprit sa couleur obscurcit sa consistance elfique suite à l’attaque du démon qui gisait désormais au sol.

Avec une grâce insolente, il desserra sa ceinture et enleva sa cape et s’en servit pour se dissimuler, le temps d’une demi seconde, le temps pour que la bille au creux de sa main, deviennent une sphère de la taille d’une boule de cristal, un déluge d’eau tournoya sur lui-même, un cyclone au creux de sa main gauche. L’air ambiant autours de ce sortilège semblait se réchauffer, se brouiller jusqu’à entourer l’Aqua d’une masse brumeuse. Quand la cape finit par tomber au sol et que la brume se dissipa, il n’y avait plus d’elfe noir. Avec une rapidité conséquente, l’être que certains parmi les troupes identifiait comme étant un ancien démon de leur Clan se faufila avec souplesse au milieu de la foule lente et faucha leur jugulaire, l’un des six points de la Mort récurent chez les êtres démoniaques de rang mineur, en les effleurant avec sa sphère. En quelques secondes, un flot de sang inonda le pavé froid. L’une de ses victimes reconnut son visage, se rappela de son nom et tandis que l’assassin de démon arrivait à sa hauteur, il accumula une ultime quantité d’air et s’écria avec stupeur.

« SHINR… »

Shinreï Suiton, effectivement ce fut le nom de cette puissante présence maléfique qui venait de lui écraser l’abdomen. Le dernier héritier du clan Suiton dont les capacités pouvait le définir comme étant le troisième plus puissant élèmentaliste de sa lignée ancestrale après Las des sorts de l’Eau (qui a d’ailleurs donné son nom au clan) et Neferu du poing de Feu, préleva des petits trous qu’il venait de percer de quoi remplir une demi-douzaine de fioles, de sang.

Avant de passer à une nouvelle valse, Shinreï ressentit l’aura d’une prisonnière aux pouvoirs Terra non loin de sa position, à l’intérieur d’une maison délabré. Il vint la secourir. Ouvrant la porte silencieusement, il pénétra dans le foyer où émanait une forte odeur de poulet cuit dans un chaudron ainsi qu’une forte chaleur provenant d’un léger brasier qui réchauffait le repas. Elle se trouvait dans la cuisine dans un coin, blottit autours d’elle, entièrement nue, les larmes perlant le long de son corps. Au milieu de cette pièce se trouvait une table destiné au repas, autours de celle-ci et sur celle-ci, il y avait de la vaisselle cassée, des morceaux de pain en miettes, des traces de sang sur les fourchettes et des morceaux de verres brisés, autant dire qu’on n’eut point besoin de plus de preuves pour comprendre ce que la petite elfe venait d’endurer. Quand la jeune fille perçu l’arrivé du jeune homme, cet avec crainte qu’elle le dévisagea. Le drow quant à lui, avait ramassé sa cape suite à son premier coup, et ce fut par indulgence qu’il la lui lança. La jeune elfe s’empressa de se recouvrir de ce large habit qui vu sa taille lui fut semblable à une couette. Puis il ajouta.

« Es-tu capable de te défendre maintenant que tu as compris qui fut tes agresseurs »

La jeune fille encore lucide, mais fébrile et apeuré après la scène qu’elle venait de subir, ne put que répondre par la négation d’un signe de tête. Instantanément, Shinreï claqua des doigts et la glace s’empara des murs de la salle. Avant de se retirer, l’elfe à la peau noircit s’exclama d’un ton des plus rassurant.

« Elle ne se brisera que quand il n’y aura plus de démons dans le coin ! Soit rassuré ! »

Puis il sortit, aperçu entre-temps le sourire chaleureux que venait de lui adresser la jeune fille et sortit de la bâtisse avant que les portes ne soit plus que des blocs de glaces. A peine sorti qu’il eut à affaire à un petit groupe de diablotins que l’elfe noir eut plaisir à déchiqueter et à ne point y prélever de leur sang. Les petites frappes ne l’intéressait pas. Puis il se mit à courir à une vitesse progressivement prodigieuse. Enfin il arriva au temple, surveillés par une bonne centaine de démons en tout genre, aux apparences louches et excentriques. Sans freiner, deux griffes faites de givre sortirent autours de son majeur gauche. De nouveau il se faufila avec une férocité exemplaire entre ses ennemis, et avec une précision froide leur lacéra la nuque, leur broya le crâne, leur déchiqueta les abdomens et les expulsa contres les murs du temple, il bougeait dans un rythme effréné et imprévisible aux yeux de ses proies. Si bien qu’au bout d’une trentaine de secondes, il se les était tous fait. Il s’occupa alors de la récupération de leur hémoglobine quand une vibration venant de l’intérieur du dôme dédié à Tôji le Vent, fit trembler la cloison jusqu’à l’exploser.

Un éclair de Magie ténébreuse en sortit et frappa le sol à quelques centimètres de Shinreï. Celui-ci, non pas surpris mais méfiant, bondit en l’air tel une sauterelle et défonça le bâtiment au niveau du sommet. L’intérieur fut éclairé par une série de bougies au sol, formant de par leur positionnement un pentacle servant à l’amplification des énergies provenant du Néant. Et au milieu du cercle se trouvait une fontaine d’eau qui sous la pression des pouvoirs démoniaques s’était figé. Et au sommet de cette fontaine, il fut là, le démon supérieur, le paroxysme de sa chasse, sa principale proie de la journée, ou du moins celle qu’il croyait être. Celui-ci pointa le doigt en direction de l’elfe noir et un rayon d’Obscur fonça dans sa direction. Il se protégea alors avec un bouclier de Glace qu’il venait de matérialiser de façon instinctive, puis émis une sphère d’eau gelé servant de feinte à sa prochaine attaque. Il atterrit au sol et plongea en direction du majeur du nom de Feinstan, s’empara de lui au niveau du torse et l’envoya s’écraser contre le mur. Une fois qu’aucune partie du corps n’est plus en contact avec le centre du pentacle, il est impossible d’amplifier ces invocations de sorts démoniaques. Néanmoins, enragé par cette échec, Feinstan hurla comme un fou et pointa de nouveau index gauche en direction de Shinreï.[/i]

« Dessein de l’Enfer »

Shinreï sentant le danger venir, forma autours de lui une carapace solide faite de glace. De l’énergie en masse conséquente se réunit à quelques centimètres de l’index du démon majeur en une infime bille, les bougies s’éteignirent, et un bruit infernal se fit entendre, son semblable aux hurlement des milles diables. Et la bille se fragmenta. L’explosion détruisit le temple ravageant la moindre particule de bois, de métal et de terre, constitua la chaire de l’édifice, et son souffle fut dirigé principalement vers la protection magique de Shinreï. Celui-ci malgré le sort de haut niveau qu’il avait déployé autours de lui, fut projeter sur une centaine de mètres et son corps chuta contre le pavé froid recouvert de la. Inerte il resta quelques secondes au sol, voire quelques minutes on ne savait plus les compter.

Sa Perception lui permettait de voir que plus aucune source démoniaques ne fut à craindre, que le sortilège qu’il avait prodiguer pour protéger la jeune fille venait de céder, qu’il ne restait du temple que des ruines, que la neige finissait par le recouvrir, recouvrait ses blessures, se mêlait à sa peau, retirait la chaire décharnés, retirant de la surface corporel de Shinreï la moindre blessure. Ses vêtements furent déchirés, mais peu lui importait puisque le froid fut son allié. Il se laissa aller à l’observation de la neige et plus particulièrement de sa complexité. Un flocon de neige, du Cristal hexagonal de neige avec de larges branches, un chef d’œuvre de la nature tellement petite mais pourtant si parfaite.

Chaque Aqua est un flocon de neige, compliqué, éphémère mais si élémentaires. Si Shinreï fut l’un d’eux, il serait un flocon hexagonal présentant des extensions dendritiques, se dit-il, une solide base prolongé par six branches, se séparant chacune en trois, symbole d’une personnalité aux multiples aux facettes, magicien de la Glace, expert dans cet art, symbole de ses nombreuses techniques, mais si l’on regarde bien, ce type de flocon fut ce qui se rapproche le plus d’une arme de lancer, pointu et tranchante. Et c’est en cela que Shinreï se compare à lui.

Soudain une nouvelle présence le réveilla. Combien de temps s’était-il endormi ? Peu lui importa, néanmoins il semblait en parfaite forme physique et mentale, ce qui le rassura. La naige semblait avoir cessait de s’écouler. Il se releva et fit face à la présence en face de lui. Il s’agissait de la jeune fille qu’il avait sauvé, un peu plus tôt, lui souriant joyeusement. Depuis son départ, elle s’était habillé d’une tunique vert claire. Cependant avant qu’il puisse faire quoi que ce soit, il se figea. Son regard pointa dans le prolongement du cou de la jeune fille, au milieu de la place, se trouvait une silhouette qu’il reconnut immédiatement. Une Cristaléenne dansant avec la grâce d’un canidés de type Canis Lupus, autrement dit un loup. En harmonie avec la température environnante, il s’agissait de Ruby, une bien bel et puissante Aqua.

Comment se faisait-il qu’elle fut au milieu de ce lieu qui fut un carnage, il y a peu de temps ? Kaho Long. Ruby cherchait Shinreï. Kaho Long avait trouvé Ruby et non l’inverse. Kaho Long dans sa généralissime fourberie avait indiqué le chemin à Ruby. Et désormais il allait se trouver face à face. C’était clair, c’était certain, il n’y avait presque aucune autre certitude, la providence n’existant pas dans l’esprit éclairé de Shinreï.

Son regard, deux rubis lumineux comme un soleil naissant, se décala légèrement vers celui de la jeune fille qui venait de lui rendre sa cape.

« Fuis ! » dans un murmure à peine perceptible. Son ton tel une aiguille appuyé contre la gorge de son interlocutrice, indiquait qu’il ne s’agissait pas d’un conseil, mais d’un ordre à appliquer immédiatement. La jeune fille, inquiète, s’écarta de son chemin et courut au loin, elle comprit qu’un déluge de Magie hautement maîtrisé allait déferler sur la ville.

Il s’était relevé. Les yeux fermés, sa Perception ne prit en compte qu’une seule personne. Ruby. Le moindre de ses mouvements, de sentiments apparents dans le battements énergétiques. Son instinct lui disait qu’il fallait se méfier d’elle. Qu’il n’était point ami ou ennemi, mais au-delà. Une soif de vengeance pour un simple affront.

Son corps se décontracta, ses sens pleinement en éveil, surveillait tout ce qui émanait du corps de la jeune fille, tout ce qu’elle manipulait, ses mouvements, son aura et ses techniques. Une étoile de glace se forma au creux de sa main, de cette pointe de givre se propagea une couche de glace qui aux extrémités des phalanges formait des aiguilles, qui entre ses doigts formait des lames aiguisés comme jamais, qui forma une armure opaque, souple mais résistante, qui le recouvrit entièrement sauf la tête. Il s’agenouilla, plia les bras sur eux-mêmes, fit des tours de poignet et de cheville. Il retira ses gants et serra ses bottes, dégaina son sabre.

Toute cette activité fut silencieuse. Il se releva de nouveau, et ouvrit les paupières, ses yeux fixèrent le corps ondulant au milieu de la place centrale. Il n’y avait point de perversité dans son regard bien au contraire, on pouvait y lire l’impassibilité, la concentration, et en même temps une forte assurance. Son index gauche se mit à battre la mesure, puis tout ses doigts, puis ses deux mains. Ses bras finalement dansèrent dans le même rythme que la valse de Ruby. Il devait être à la hauteur.

Le déluge allait commençait entre mythe et légende de la magie de l’Eau.

Rien.
Rien n’émanait de cette petite créature de glace au milieu d’une place recouverte de légers flocon. Pas la moindre parcelle d’énergie si ce n’est celle que son corps dégageait dans sa danse. Elle aurait pu aussi être une pierre, mais, plus belle que clla, c’était la glace qui l’habitait, et son poli rayonnant. Habillée de blanc, et de blanc en dedans, elle s’était arrêtée, avait stoppé d’un seul mouvement les mouvements de ses hanches, de ses cheveux, de ses membres.

Elle ne posa pas encore ses yeux sur Shinreï, ne lui accorda pas l’importance qu’il devait probablement mériter. A la place, son visage se dirigea vers le ciel, ferma les yeux, laissant les rayons de la lune l’éclairer, et le pâlir d’autant plus. Combien de temps cela faisait-il que la Chasseresse valsait avec les étoiles ? Pas même un chemin de la Grande Marcheuse… 2 heures, 3 tout au plus. Un flocon se posa sur sa joue, juste sous son œil droit et, d’un geste vif, elle ouvrit ses paupières et fixa ses prunelles sur l’elfe Noir.

Il était venu, Kaho Long avait donc bien eu raison, mais ce n’était pas une raison de lui faire confiance. Renier sa nature ? Oui, Ruby l’avait bel et bien fait plusieurs fois, alors, une fois de plus ou de moins, cela avait-il une réelle importance ? N’était-elle pas une Parjure à sa race à cause de l’elfe qui se trouvait devant elle ? Et, donc, pourquoi lui en voulait-elle tant ?

Ami, ami… Assis-toi bien, installe toi confortablement.
Il y a des vérités qu’il vaut mieux parfois ne pas savoir. Quels genres de vérités ? Celles qui ouvrent trop grand les yeux et aveuglent, celles qui relèvent d’une réalité trop importante pour être acceptable, ou, plus simplement, celles qui font honte. Mais, dans un domaine profond, sous la surface de la terre, dans les boyaux sombres de la pierre, le prix de la honte n’avait-il pas été payé plusieurs fois ? Ne l’était pas encore en ce moment ? Le simple fait de continuer à vivre avec cette dette était un acte de honte, non ? Alors, pourquoi donc…

Eh bien, il y a des choses difficilement explicables.
Peut-être simplement, fallait-il un coupable à un passé que l’on voulait cacher, une cible à une haine trop longtemps gardée. Peut-être était-il la mauvaise personne au mauvaise endroit. Peut-être était-il le symbole d’une chose qui ne devait pas se faire savoir. Peut-être était le détenteur d’un savoir, d’images, de souvenirs, qu’il n’aurait jamais du entrevoir, la personne qui avait réveillé quelque chose qui aurait du dormir. Peut-être, aussi, avait-il demandé une chose qu’il n’aurait jamais du vouloir désirer posséder… Peut-être tout ça et rien à la fois. Qui peut expliquer les raisons qui poussent la folie à agir ?

C’est de la même folie dont est née la sauvagerie et le carnage. Personne ne sait ce que ressent une victime lorsqu’elle attend son bourreau. Oui, car c’est cela le pire : attendre la mort. Et, les yeux posés sur la porte par laquelle viendra son meurtrier, on se trouve parfois soulagé lorsqu’elle s’ouvre enfin. La délivrance de la fin de l’attente.

Ruby ressentait-elle ma même chose ? Non, mais, qui sait, peut-être Shinreï, oui. Ne ressentait-il pas la confiance en soi de son adversaire ? Ne percevait-il pas son assurance et son aisance dans de tels moments ? Ne comprenait-il pas que se trouvait juste devant lui son bourreau ? Meurtre, carnage… Folie. Elle était cette dernière qui avait assisté ses enfants. Et qui avait été eux.
Assurément, elle était devenue cette folie à leur dernière rencontre. Mais la première l’avait aussi provoqué. N’avait-il pas porté la main sur sa peau ? Fait revenir en sa mémoire des choses qu’elle avait clos au fond de son esprit ? Ne lui avait-il pas échangé un don contre une promesse qu’elle ne pouvait pas tenir ? Donner le pouvoir aux ambitieux… c’était donner une lame à un impulsif en pleine crise de haine. Aussi folle eu-t-elle été, elle l’était autant que raisonnable.

Mais, elle avait accepté cette promesse pour la rompre, et ainsi renier sa race. Oh ! Si ! Elle savait très bien que la rupture d’un pacte fait sur la Grande Déesse provoquerait la dissolution de sa magie : elle resterait là, latente, à attendre un réveil qui peut-être ne reviendrait jamais, mais là quand même. Toute l’histoire est-elle plus claire dans l’esprit de métal des utilisateurs d’épée qui lisent ces quelques lignes ? Il serait tout naturel de dire que toute la logique de cela ai pu un jour échapper, même aux plus érudits car, et j’en ris bien, il n’y a aucune logique.

Le regard de l’Ancienne Cristalléenne, du clan du Loup, se fit plus doux, descendant jusqu’au sol pour fixer songeusement les traces que ses pieds avaient tracé dans la neige. Ephémères traces d’une puissance qui ignorait l’éternité… qui ignorait même jusqu’au durable. Son pouvoir destructeur avait fait naître une place nette que la neige avait recouvert, purifiant par la même occasion l’air. Ses pas y avaient tracé des arcanes. Et son souffle, dans l’air, ne laissait pas de trace.

Jeune femme détendue, elle s’étreignit elle-même, touchant du bout de ses doigts froids une peau à la même température, l’opale caressant à un endroit les ténèbres d’une encre marquant une peu de lait. Et ce tableau était tellement emplie de solitude et de paix qu’il en devint d’une fragilité amusante. Mais Ruby ne faisait que revenir à la réalité.

Avait-il donc peur, ce Shinreï ? Ne venait-il pas armé, recouvert d’une de ces carapaces dont se gêne les humains ? Et qui venait chasser qui ? Elle, elle n’était pas préparée ainsi, pieds nus dans la neige, portant une robe blanche, élimée par l’usure, les cheveux volant dans la brise de l’hiver qui installait peu à peu son emprise sur ces terres. Pourtant, elle était la chasseuse.

Elle releva le visage, cligna des yeux, ayant toujours l’air aussi innocente. Ses yeux se firent plus durs, la haine y prenait peut-être de plus en plus sa place. Elle dévisagea l’elfe qui, impassible – et on pouvait bien lui concéder cela – attendait, et sourit de voir ce qu’elle voyait. Qu’il est si simple de ce croire protéger ! Elle ne pouvait certes pas contrôler, changer, agiter, influencer une magie dont le périmètre d’action englobait la personne qui l’avait crée mais elle pouvait se mouvoir autour de celui-ci. N’était-elle pas une Aqua puissante ? Il maîtrisait les arts du combat, elle le maîtriserai donc.

« Je pensais pourtant être la plus folle des deux. » dit-elle presque en soupirant

Ruby laissa à ses bras reprendre leur place, le long de son corps, pour encadre sa silhouette filiforme. Des formes ? Elle avait l’ébauche d’une poitrine dont les chairs ne se tendaient jamais par le froid, ses hanches étaient celles des jeunes adolescentes. Sa morphologie était ainsi faite. Et, même si ses bras étaient minces, tout comme ses jambes et ses cuisses, était-il extraordinaire de croire qu’elle possédait une endurance aussi développé que tout le monde ? La force ne se trouve pas forcément dans les muscles.

« Tout ce dont tu pares ne sert à rien. Une armure ? Carapace de tortue. Une épée ? Ton corps n’est-il donc pas assez puissant pour valoir le mien ? » Ruby leva sa main, paume vers le ciel, ses doigts crispés comme des serres d’oiseaux au bout desquels des ongles transparents et d’une longueur terrifiante étaient visibles. « Mais fait comme tu veux, Shinreï. Frappe moi avec l’acier. »

Terre, ciel, lune et flocon. Que peut-on donc désirer de plus ? De la simplicité né le bonheur. Les pattes dans la neige, ignorant son froid et l’humidité qui s’infiltre au travers du pelage. Qu’est-ce quand on cours pour chasser ? Il n’est rien. La chasse est promesse de chaleur. S’il faut avoir froid pour être certain de se réchauffer ? Là sont les lois de la nature.
Les griffes laissant des traces dans la terre en dessous de la croûte de verglas recouvrant l’humus ancien comme un cocon, les coussinets s’usant ou se faisant sur les pierres et les caillasses des bois, les muscles du corps roulant sous la peau, sentir l’énergie dans sa chair, sentir la chair sous les crocs, esquiver les crocs des ennemis, marquer son territoire. Tout cela pourquoi ? Pour construire un avenir pour la descendance ? Qu’importe le futur, les loups n’ont pas de futur, ils vivent aujourd’hui, pour la chasse, ils vivent maintenant, ils vivent, faut-il chercher plus loin ?

Vivre.

L’énergie se dégagea de son corps lorsque les points d’énergie s’ouvrirent, sans brûler celle-ci. Folle, mais pas stupide. Les yeux de Ruby n’exprimait plus rien tandis que l’ivresse la reprenait, plus forte que celle de la chasse, plus forte encore que celle de la traque. Son corps s’enveloppa d’une lueur bleutée, comme la lumière qui passe au travers d’une eau pure, lorsque le corps y flotte en profondeur… Puis, celle-ci passa au blanc nacré, piquant les yeux, dévorant les ombres de ces lieux et la nuit. Forte ? Vraiment ? Ruby ne se savait pas l’être autant. Qu’était donc cette sensation au bout de ses doigts, qui courait sur sa langue, qui prenait peu à peu l’emprise sur ses sens ? Elle venait d’une race rare, d’une race d’anciens guerriers, nés pour la guerre, vivant par elle et pour elle. Dans les veines de ses ancêtres avaient coulé un sang barbare, rustre, un sang tellement violent mais à la fois tellement recherché… L’ichor de son corps transportait encore les restes de ce courage, de cette vaillance et de cette pure sauvagerie. L’ivresse ais-je dis ? Oui. Ca et tellement plus.

L’Ancienne Cristalléenne sourit, le coin de ses lèvres se relevant d’abord en mimique de pure cruauté, de sauvagerie et d’excitation déstabilisantes pour finir en grimace carnassière. Elle sentait le combat pulser dans ses membres au rythme des battements de son cœur. Sentait sa proximité dans son organisme, et cela résonnait jusqu’au tréfonds de son corps. Une bataille ? Qu’elle vienne donc au plus vite ! Ruby l’attendait de pieds fermes. Elle ferait de la forêt son sanctuaire en attendant son arrivée.

Puis, elle fit un pas en arrière, ouvrant les deux bras pour former autour d’elle un cercle avant de les stopper en arrière, ses ongles près à l’ouvrage.

« Aller, elfe ! Attaque moi en premier que ma traque n’ai pas été veine ! Et si tu es scrupuleux quand au fait que je paraisse être femme, dis-toi que moi je ne l’aurai pas été. »

Et, comme si le destin décidait de s’en mêler, les flocons cessèrent leur ballet aérien pour laisser à la lune le loisir d’éclairer la scène. Ainsi, face à face, le louve provoquait son adversaire…

On la disait puissante.
Oui, c'est cela que l'on murmurait, cela pourquoi ses élèves l'admiraient, cette raison pour laquelle elle avait été choisi pour devenir professeure. Puissance, force, endurance... Certains naissent avec le talent..., d'autres essayent de l'obtenir à force de persévérance et de sueur... Essayent et y parviennent, parfois. L'éloignement entre deux puissance est prédestiné, incrusté dans la chair, inscrit dans le sang, inaltérable. Déesse ? Ne sont Dieu que ceux qui n'ont pas le choix, les mortels ont plus de chance que les divinités. Déesse ? Elle n'avait pas choisi sa force, mais avait fait en sorte de choisir tout le reste, et la Lune ricane encore de ces choix.

Elle avait les yeux ouverts, redevenu calmes, brillants dans la nuit de pleine lune qui les illuminait tout deux. C'était deux flammes rouges comme le sang, deux pierres précieuses que la lumière traverse pour projeter ses miroitement. Elle observait le flocon, particule d'une petitesse effarente, grandir, devenir le coeur d'une technique sous l'usage magique de l'ancien élève.
Que dit le dicton ? L'élève est devenu plus fort que le maître ? ... Être le professeur d'une leçon ne fait pas de quelqu'un un élève. Elle ne lui avait rien appris car il était sot et indiscipliné, mais il lui avait appris plusieurs choses, lui. Deux jours d'apprentissage ? Mais que pensais-tu que la Glace faisait, dans les replis sombres des appartements d'un être encore plus noir ? Elle brisait le sort, souffrait et pleurait... Couverte de honte, suant de douleur et hurlant son mal, elle usait son énergie... Puis, le choc passait, elle attendait, calme comme l'eau qui dort, de récupérer la vie en elle, déplaçant ces points de magie, affinant sa maîtrise des bases de toutes ses magies. Si le loup ne coulait plus en elle que sous la forme d'un ru, l'eau l'innondait et... la magie des canistias ?Cette magie là ne se faisait que plus simple d'utilisation pour elle...
Suffisament pour se débrouiller, pas assez pour le dépasser.

Elle se mit ses gardes, une jambe en arrière, ses doigts crispés, près à lascérer les chairs. Et le flocon quitta la paume de l'elfe à la peau ébène, monta vers le ciel et enfla. Puis, Shinreï se déplaça, usant de ses capacités magiques, celles que Ruby découvrait à peine. Surprise, elle ne le vit pas venir et prit les premiers coups qui vinrent, ayant à peine le temps d'esquisser un mouvement.
Cette ébauche de déplacement lui sauva le bassin de la fracture. Elle accusa le coup en reculant. Le coup de talon lui écorcha allègrement le menton. La douleur aiguë de l'écorchage de son visage nacquit vivement et la déconcentra alors qu'un membre heurtait ses côtes. Projetée dans les airs, elle souriait. Ne lui avait-il pas intimé le silence ? C'est qu'il avait du caractère, mine de rien, ce petit. Il n'était pas faible, ça, elle le savait, mais Ruby, même si elle avait toujours douté de l'étendue de sa puissance, se le savait plus que lui.

Une botte percuta son ventre, l'envoyant danser plus haut dans le vide. Le temps de se ressaisir ? L'ancienne Cristalléenne savait le combat proche, le conctat imminent... Inconsciemment, elle fuyait ce qu'elle avait poursuivit si longtemps.
Sur sa langue revint le goût de la bile alors que des spasmes l'agitaient et qu'elle sombrait dans un sommeil étrange... Souvenirs de quoi... ? Et des mains qui palpaient son dos, touchaient sa peau blanche, si blanche... Peau que personne ne devait frôler ou caresser... Goût de son sang qu'elle faisait boire à un ange, et ses lèvres sur les siennes... Fuir ?! Songea-t-elle, une fois les souvenirs passés. La Chasseresse se reprit. Ses pieds ne touchaient plus le sol, mais elle était une aqua prise dans le coeur de l'hiver.

La vapeur se condensa sous ses pieds à la vitesse de la pensée, puis se transforma en bloc de glace. Elle prit appui dessus, s'élança plus haut dans les airs et se propulsa avec de la vapeur d'eau vers un Shin qui armait déjà sa nouvelle attaque. Il lui décocha un coup de paume sur le menton, la stoppant net et l'envoyant encore en arrière. Ruby atterrit sur les pieds et s'accroupit alors que derrière elle s'écrasait sur le sol de l'eau gelée.

Une pause.
Sa main se releva lentement, passant sur sa bouche, étalant autour de ses lèvres son sang incarnat. Elle le cracha, enfin, le laissa couler d'entre ses lèvres et le sentit avec joie dégouter sur son menton pour appaiser la douleur de la vive écorchure qu'un talon qui avait fait. Jamais elle ne s'était battue de la sorte. Sa race avait bien été une race de guerrier, son corps chariait encore l'appel de la guerre, du sang, de la bataille, mais c'était la chasse qui prévalait dans son esprit, dans ses actes instinctifs. Elle devait se détacher de tout cela, faire corps avec elle-même, remonter par delà son temps, par delà sa génération et trouver en elle la puissance d'une vraie femme de son clan.
Mais les guerres des Cristalléns sont des guerres étranges, composées de bataille qui le sont tout autant...

Ruby se releva rapidement, donnant l'impulsion à ses jambes. Courbée en deux, elle fonça vers Shinreï comme une idiote. Mais, à deux mètres de lui elle chuta volontairement, fit une roulade sur le sol et essaya de lui frapper le genoux. Il l'évita de peu. L'Ancienne Cristalléenne se servit de l'angle de sa jambe pour pendre appui sur le mollet de l'elfe : elle ne se releva pas, les mouvements près du sol étant sa spécialité, mais se déplaca de telle sorte que l'elfe était le pivot de son axe. La jeune femme aux yeux de sang arrêta son geste dans le dos de son ancien élève, se redressa et agrippa ses épaules avec ses deux mains. Elle essaya d'y enfoncer les ongles mais n'y parvint pas à cause de l'angle que son corps avait.

Ses dents trouvèrent la chair, s'y enfonçèrent un peu à la jointure du cou, tachant la peau noire par son sang. Le goût salé du sang elfique vint chatouiller des papilles déjà étourdies par le propre sang de leur propriétaire. Un spasme de la machoire donna à Ruby le réflexe animalier de garder prise et de tirer la chair mordue. Elle ne le fit pas, se décrispant pour remordre de nouveau dans la peau offerte.

Sous la lune, alors que les étoiles étaient les yeux du ciel, il ne s'était pas écoulé plus d'une minute depuis le début.

Le chasseur attrapa les cheveux de Ruby. Oh ! fils de lait, rayons de lumière lunaire... Il tira un grand coup et envoya son ancienne maîtresse au coeur de la place dégagée. L'ancienne Cristalléenne se rattrapa maladroitement sur les genoux - s'écorchant au passage - et se releva derechef.

"Technique de renard." Susura-t-elle avec mépris, postillonnant des goutellettes de sang avant qu'une salve de dards de givre ne l'atteigne. Elle leva le bras pour se protéger le visage et le cou juste à temps et fut surprise par un coup de genoux qui l'atteint à l'estomac.

Elle ne mélangeait pas réellement ses techniques.
Il ne fallait pas posséder un grand sens d'observation pour le contaster : louve par nature, ne l'avait-on pas déjà assez répété, la Parjure usait de ses crocs dont la taille était maintenant dérisoire, de ses griffes qui ne se transformait plus mais qu'elle-même modifiait grâce à de la glace, à ses réflexes et à son endurance et sa rapidité de louve. Elle ne mélait pas à tout cela l'eau, la glace ou la vapeur, ou ne le faisait que de façon minime. Quand à la magie des canistias ? Il ne lui était même pas encore venu à l'esprit de l'utiliser, alors que cela se serait révélé surprenant pour Shinreï. N'avait-il pas bloqué cette aptitude ?

Elle prit donc un coup à l'estomac et, réflexe d'Aqua ou geste décidé, sa magie d'Aqua agit enfin ! Ruby se transforma en flocon, se dissimulant dans le sol un dixième de seconde pour venir se reformer à quelques mètres de Shinreï.
Il la dominait. Cela lui faisait mal de le penser, mais il était plus fort que lui en combat, plus rapide aussi. Son sang à elle coulait, sa peau sentait encore la chaleur du corps de son ennemi. Ses crocs oubliaient déjà le goût du sang adverse... La Rage ne l'habitait-elle pas partant ? Que fallait-il pour qu'elle réagisse ? La jeune femme n'en avait actuellement aucune idée - elle n'y réfléchissait pa, à vrai dire, préfèrant s'arrêter au "je donne des coups et j'en recois". Puis, même si ses blessures scuintaient, cela ne la gênait pas : le loup mord d'abord l'adversaire et lèche ses plaies ensuite...

Le combat continuait.
Qu’importait alors que le temps continue sa course, ici, là où le sang coule et que les gestes se font ? Pourtant, il passait, sur les corps et les esprits, et c’était ce temps qui avait affaibli la rage, fait tarir la haine. La corde trop tendue d’un arc finit par se détendre, il en allait de même pour la volonté ou la conviction. Pourtant, il suffisait parfois de peu pour rendre son poli à une arme, son tranchant à une lame.

Pour toutes les attaques qui virent, l’esprit de l’aqua ne trouva que la fuite dans la dissolution de son corps. Telle une écharpe de brume, de flocon, elle fondait sur elle-même et disparaissait, pourtant toujours présente, mais intouchable, comme se devait de l’être un être telle qu’elle. Elle esquivait, encore et encore, par instinct, sans le réfléchir – elle ne réfléchissait pas souvent, il fallait bien le dire. Et ses réflexes lui manquèrent. Il s’était dissimulé pour les détecteur magique, pas pour les flairs animaliers. Son odeur et sa présence étaient toujours là, quelque part. Mais le froid en absorbait une grande part.

Puis des mains la touchèrent. Il n’y avait plus de distance entre une peau et la sienne. Que dire d’une personne qui ne supporte pas les épaules des passants dans la rue ? Que dire d’une personne qui supporte à peine la présence de ses élèves dans sa salle de classe ? D’une qui s’exil, jour après jour, dans les pièces, les lieux, les sanctuaires les plus isolés et solitaires ? Cette personne gagnait certes en sensibilité des autres présences, mais pour elle, la peau tiède d’une autre personne, proche, si proche, relevait de l’abomination.
La Glace ne cria pas, ne bougea même pas, à vrai dire, clouée par la stupeur d’un tel acte et par le dégoût qu’il lui faisait ressentir. Et tout s’enchaîna. On la toucha, encore et encore, effaçant le froid par la tiédeur. Puis des lèvres touchèrent les siennes, leur insufflant de la glace sous sa forme la plus tranchante. On avait presque pu lui faire aimer la bouche d’un autre, un jour, lointain, au sommet d’une tour balayée par les vents… Le sang était un rempart mental alors. Là, il ne l’était pas, bien loin d’avoir la fonction de lien.

On lui enfonça des épines dans le ventre, épines couvertes pas la peau tiède d’une main qui encore tâchant un corps pur. Avant ou après cela ? Elle ne le savait pas, le savait plus, totalement déboussolée, désorientée. Perdu dans l’immensité des actions de Shinreï. Se rendait-il seulement compte de ce qu’il faisait ? Un fou réveillant la Folie en la transformant en Rage…

De la chaleur sur son ventre, proche, trop proche. Que portait-elle ? Une robe blanche, comme toujours, fine, de soie ou d’autre chose, parvenant à peine à tenir chaud à quelqu’un en été. L’eau la rendait transparente dès que l’air devenait humide. Cela ? Une barrière suffisamment épaisse pour contrer son dégoût d’un corps au-dessus de sien ? Je ne le pense pas. Et des genoux le long de son flanc, un homme en plus.

On lui décocha un coup de poing à la mâchoire et ce fut trop.
Prêta-t-elle attention à lui quand il se releva ? Non, elle ne le sentait plus sur elle et cela était la seule chose qui lui importait. Et, plus que ça, la nausée venait, puissante, imposante, brûlant son ventre tandis qu’elle venait grignoter sa gorge en l’étouffant à moitié. Un spasme l’agita, ses muscles se contractèrent. Ruby se retourna, se mit à genoux et vomit sur le sol tout ce qui se trouvait en elle, morceaux de viandes qui autrefois courraient dans la forêt sous la forme d’un cerf aux bois usés. La douleur dans sa trachée s’éveilla, toute aussi puissante que le dégoût, mais plus aiguë. Si les épines de glace avaient fondu sous la chaleur de la bile, les blessures n’avaient pas disparu de la même façon. La professeure usa de son pouvoir sur l’eau, et régénéra sa chair et son œsophage. Elle dissipa la brûlure ne laissant que l’amertume de la connaissance de son ancienne présence.

… Le Baiser …
… Fërima …
… Une homme admirable ?

Son esprit désorienté ne captait que quelques mots, brides de parole, n’en comprenant pas tout le sens, mais l’énonciation du second titre suffit à lui découdre les paupières.
Très lentement, elle essuya la salive qui coulait d’entre ses lèvres. Ses yeux étaient grands ouverts, fixés sur la neige tout autour d’elle. Tout autour d’elle, aussi, un cercle de flocons étaient balayés par la puissance de sa magie qui, enfin, se réveillait. La Magicienne de l’Eau passa de la position à genoux à celle debout, sans passer par le redressement, passant juste par l’état de flocon. Ses cheveux se dressèrent tout autour de son corps. Puis, celle qui se révélait actuellement être l’Aqua la plus folle de ses terres tourna enfin le visage vers la cible de sa colère.

Aux pointes de ses cheveux se formèrent des pointes en glace dont le poids rendit à la chevelure son plat d’origine. Les mèches se tressèrent entre-elles, animées par on-ne-savait-quoi exactement. La glace chuta, se fondant dans les flocons, disparut rendu à elle-même et maintenant inoffensive pour les pieds mortels.
Puis, le lin du vêtement gela totalement, craqua et parti en particules glacées, en esquilles de matière. Nue ? Se battre nue ? Lui offrir ce privilège là ?! Ne venait-il pas de dire que l’ancien maître était admirable ? Il verrait donc ce qu’il avait apprit à sa protégée, ce qu’il lui avait forcé à faire. Apprendre nue, dans la neige, alors qu’elle ne possédait pas encore la capacité de résistance face au froid…
Sur deux bandes, la vapeur cacha ses formes et une ombre de glace se mit à se mouvoir, telle une mort glissante comme l’eau qui s’insinue dans les failles.

Elle fonça vers lui dans les airs, mi-vapeur, mi-flocon, suffisamment transformée pour ne pas être touchée par les flèches, les jets de bois, les coup de bâton et, aussi, les coups de poings, assez pour être sentie et fendre un tronc avec son froid et sa magie.
De la paume, elle frappa le ventre. Il fit un pas en arrière, esquiva et le coup eut le vide, tranchant l’air en sifflant. Ruby s’arqua et opéra un tour dans l’air. Son talon chercha la gorge mais eu l’épaule et elle vit distinctement un sourire sur les lèvres noires de l’elfe avant que sa natte, dans un mouvement souple, ne lui efface du visage. L’être d’eau et de glace prit appui sur la poitrine large et s’élança vers l’endroit qu’elle avait souillé.

Sa poitrine se levait et se baissait au rythme de ses respirations. Sur son ventre, le sang coulait, venant caresser le nombril par son filet. Du rouge sur une peau si blanche, autant que les flocons… On la voyait à peine dans la neige. Ce n’était que l’aspect terne mais vivant de la neige qui permettait de discerner cette silhouette mince qui, pieds nus, frappa d’un geste vif avec son poing sur la terre. La glace naquit sous forme de stalagmites effilés. Ils grandirent, se dirigeant vers l’elfe qui eut à peine le temps de faire un saut sur le côté.

Ruby recommença deux fois puis plaqua sa main sur les plaies de son ventre, la mâchoire pourtant non crispée par la douleur. Cela n’était rien à côté de la séance dans les grottes, mais pourtant le sang coulait.
Elle fit un tour sur elle-même, puis un autre, puis un autre, les flocons du sol se soulevant à chaque fois un peu plus, d’autres naissant de plus belle. Elle s’immobilisa, mais les flocons continuèrent leur route et, tels des petites lames, allèrent vers l’elfe dans une salve tranchante. Il ne fallait pas être érudit pour voir en ce cadeau et cette création de la nature une arme parfaite. Mais elle ne lui laissa pas de répit car une fois aussi statique que les étoiles, elle joignit ses mains, paume contre dos, et laissa l’eau faire son œuvre, sous la forme de 4 petits geysers, droit vers la silhouette haïs.

La douleur. C’est elle qui l’avait bloquée alors qu‘ils commençaient à se battre, ou plutôt qu’elle le laissait faire. La peur de la douleur est parfois plus destructrice que la douleur elle-même. Mais elle avait assez fuis, non ? Ce n’était pas assez de l’avoir pourchassé, d’avoir souffert de cela puis d’être partie pleurer dans les replis de la terre ? Il fallait en plus qu’elle continue à fuir devant lui, se montrant telle que son Fërima disait qu’elle était ? Une louve… Cela l’avait bien fait rire jusqu’à ce que la louve se rebiffe. Elle ne portait plus à l’épaule son loup, mais un signe tribal, calligraphie de sa race, lettres anciennes qui signifiaient simplement Erinress, la patte boiteuse, la fuyarde, celle-qui-trahit, où, dans une ancienne histoire, une fille ouvrit le ventre de sa mère après avoir tué toute sa famille pour un homme. Ne pas tenir ses promesses face à un esprit dont on est certain de l’existence est pire que trahir la foi, car la foi repose sur la croyance, non sur la connaissance, et le doute est peut-être une raison valable de renier quelque chose.

Celle-qui-trahit la meute n’avait plus peur, plus peur de la douleur, encerclée par les bras protecteur de la Folie. C’était une mamelle plus nourrissante que la peur, toujours accessible, là, à portée de son esprit de feuille et d’eau. Loin, quelque part dans la terre, une figure de noir blancheur s’était demandé ce que la louve trouverait après la folie, quand le sein abondant se tarirait enfin… Seul le temps le sait. Que reste-t-il après que la dernière solution eut-été trouvée ? Dans cet infini de possibilité, elle était actuellement là, ses mains charriant la puissance comme on ne l’avait jamais vu auparavant.

Les trois geysers se réunirent en un seul au point d’impact. La jonction entre le cou et l’épaule, la où la chair est savoureuse, fragile et dénudée. Il para partiellement, ayant esquivé une grande partie des flocons, mais le geyser frappa fort, le propulsant un peu plus loin où il atterrit apparemment durement.

Le vent se calma, puis la Folie parla.

« Tu parles de choses que tu ne connais pas. » dit une voix aux consonances de métal et de glace, donnant plus la chair de poule que le blizzard. Ruby dirigea son regard vers un Shinreï qui s’était immédiatement relevé. Ses prunelles étaient noires, noires comme le sont les nuits australes, comme l’est le sang des démons ou la haine. Noire comme l’incarnation de l’hiver, quand le froid est devenu si froid que la glace perd sa couleur est devient capable de trancher les dimensions… Noire comme l’est l’encre d’un tatouage ancien ou nouveau.



Un coup la surprit. Puis un autre et encore un autre. Il voulait se battre, et puis elle s’était tu. Il usait de ses dons, de sa vitesse et de sa précision pour lui faire mal, là où elle préférait frapper fort pour achever, avec ses instincts animaliers. Il la frappa au ventre, sur la plaie où des épines de glace dépassaient, les enfonçant un peu plus. Elle bloqua sa respiration. Un coup l’atteint à la mâchoire, là où une ecchymose était née. Un coup lui atteint le sein, et elle répondit aussitôt.
Elle était certes moins rapide dans l’utilisation de ses dons de Canistias, mais tout aussi précise, et elle connaissait assez bien les parties de son corps où les points de douleurs, de paralysies et de morts se trouvaient. Sa main gauche bloqua le poing de l’elfe tandis que sa main droite le frappait au menton pour lui relever le visage. Il se libéra et la refrappa à la mâchoire d’un crochet. Sous le coup, elle recula, glissant sur le verglas que ses piétinements avaient fait, et du sang gicla d’entre ses lèvres. Ses dents lui avaient ouvert l’intérieur de la bouche.

Elle redressa lentement le visage mais reprit là où elle s’en était arrêtée.

« Tu ne connais pas le renard qui folâtre avec les aigles. » Se voulait-elle pleine de sagesse ? A l’origine, sa race descendait de guerriers qui, lassés des combats, étaient devenu des érudits, tout en gardant à cœur de garder les traditions claniques. Que faut-il donc comprendre, ainsi ? L’enfant qui grandit dans les livres devient sage, l’enfant qui grandit dans le sang devient dangereux. L’enfant qui voit sa mère se détourner de lui ne connaît pas l’instinct maternel. Et l’enfant devient adulte.

Ruby tourna lentement le visage, le sang coulant sur ses lèvres, coulant sur son menton, gouttant entre ses seins où la goutte poursuivit son chemin, marquant sur la chair aussi blanche que la neige un sillon incarnat. Sagesse ? Loin, loin dans une vie précédente elle avait été la voix de la sagesse. Elle n’était plus ça aujourd’hui, ou ne l’était probablement plus, ne gardant de cela qu’une partie infime de raisonnement…
Il voulu la refrapper au même endroit, l’avant bras de la jeune fille stoppa ce mouvement. Petits bras de petite fille… Ne sous-estime pas la force que peu avoir la mâchoire du loup… Celle-qui-trahit répliqua d’un coup de poing dans les côtes, un nouveau bleu naissant sur son bras. L’elfe n’y allait pas de main morte, et il était endurant. Mais c’était ignorer une chose : l’eau s’insinue… Garde cela à l’esprit, être de chair et d’os. L’eau entoura ses chevilles, emprisonnant ses pieds dans la glace qui gela lentement. Dans un mouvement circulaire, Ruby lui décocha un coup de talon dans le ventre.

Ôh, doux elfe… Il était puissant, lui aussi, son esprit brisa le charme, fendilla la glace, la transforma en particules rendues aux vents qui se levaient. Il se libéra, et recula.

« Appelle celui que tu nommes par son nom, Renard, car c’est ce que Driëdre signifie dans ta langue. » susurra l’Ancienne Cristalléenne, pleine de mépris.

Comment simplement pouvoir concevoir apprécier un être qui touche ce qui ne doit l’être par un homme ? Qui profite de sa force, de son sexe, de sa grandeur, qui se salit et salit son nom, celui de sa famille et la race de son clan pour dominer un être qui ne le mérite pas ? Un être qui n’apporte rien ? Et lui apprendre, volontairement et avec violence, un savoir qu’on ne possède pas ? Penser que sans cela, Ruby aurait peut-être eu une force différente est probablement vrai. Mais qui sait ? Qui sait si la Glace aurait été la même ? Si la petite fée de givre aurait fait les mêmes actes si on ne l’avait pas rejetée dès sa naissance pour son apparence faible ? Les doigts de Déesse louve l’avait touchée dans la matrice de sa génitrice. Elle était née ainsi, contenant dans son poing la puissance d’une armée d’Homme.

Et un coup de pied percuta de nouveau son ventre. Elle parlait trop, cette petite. Mais peut-être comprenait-il, cet être à la peau sombre ? Cet elfe aux yeux qu’elle ne voulait pas regarder de peur de la haïr encore plus et de se noyer dans cette haine. Peut-être comprenait-il. Ou était-il sourd aux paroles de la Folie ?

Tout devient noir. Tout devint flou. Le vent se leva et entoura le corps de l’Ancienne Cristalléenne tandis que, dans la forêt, au plus profond des entrecroisements inextricables des arbres, des architectures de plantes, parvenait la rumeur étouffée mais cristalline d’un chant émouvant. Le cœur des loups se fit entendre, poignant, ondulant de son, stable en clarté. La petite fille devenait femme, le louveteau devenait louve. Le vent souleva son corps, ou du moins en eut-on l’impression. Elle joignit sa voix grâve à cela, arquant son dos en arrière pour montrer sa gorge, certaine qu’on oserai pas porter la main à son corps en suspension.

Silence. Seul le ciel et la terre, et le vent et la neige.

« Admire… » reprit-elle. Des vagues passèrent sur son corps à peine masqué, ne laissant que ça et là des traces d’or en filigrane qui miroitaient un instant avant de disparaître. Peu étaient ceux qui pouvaient comprendre qu’il s’agissait là des anciennes cicatrices d’une tout ancienne vie. Elle baissa son visage tandis que ses pieds revenaient toucher terre. Et ses yeux étaient du feu liquide, plus rouge que la vie qui coule des veines ouvertes à la lune « …Admire ta fin. » Et elle bondit sur lui.

Elle y était toujours.
Allongée sur le flanc, un bras en travers du ventre, l'autre sous sa tête comme oreiller, ses grands yeux rouges bridés fixaient l'elfe en train de dormir. Ses yeux fermés, ses mèches en travers du visage et les traits détendus mais où une fatigue véritable se voyait encore pour qui voulait bien regarder, il paraissait encore plus jeune que le jeune homme que Ruby avait combattu. Elle le regardait presque avec tendresse, mais aussi avec quelques regrets. Avait-elle fait le bon choix ? Avait-elle eu raison de le laisser vivre ? Puis, en voyant sa poitrine se soulever au rythme de ses respirations, elle sut de nouveau que la vie avait sa place ici, et qu'elle devrait bientôt tuer. Prévenir le sang parce qu'un sang allait être versé n'était sûrement pas la meilleure façon de s'acquitter de la dette que la vie elle-même avait envers elle, mais avec des peut-être et des probablement, on ne forgeait pas une existence de Loup.

Sourires.

Sur quoi avait donc été bâtie cette pseudo existence ? Sur les traces fumantes de l'incertitude ? De l'abandon ? De la sensation de solitude ? Un loup ne se sent pas seul, un loup courre avec les étoiles et la lune, un loup danse avec la forêt. Mais, malgré tout ce qu'elle voulait faire croire ou devenir, elle était en partie humaine.
Sa main se déplaça, quittant le support de son ventre pour venir caresser la neige, comme une fourrure où il dormait et qu'elle attendait avec la patience de l'eau.. attendait... elle ne savait pas quoi, mais elle le faisait. Seuls les aquas peuvent se permettre de cohabiter avec le froid, seuls les aquas peuvent faire de tendres flocons leur couche.
Ses doigts emprisonnèrent ces quelques gouttes d'eau gelée et son poing se crispa, formant une petite boule mal formée. La glace ne fondit pas. L'eau ne ruissela pas. Et elle resta ainsi, encore, sous les yeux interrogateur de la jeune elfe. Qui était donc cette femme dont les dents formaient des crocs, dont les yeux étaient devenus si étrange ? Dont la peau venait de se marquer d'un immense tatouage ? Qu'était-elle, plutôt ?
L'eau s'évapora puis, formant un petit nuage dans l'air, regela pour tomber en flocon sur le corps de la Cristalléenne. Toujours nue, toujours d'apparence si faible, mais tellement transformée à l'intérieur. Elle pouvait toujours être une petite créature, une fille à l'esprit de loup, mais était maintenant Elle, consciente de sa force qu'elle n'imaginait pas si impressionnante.

Elle retira la cape trouée de sa peau et la déposa sur Shinreï.
Tant de traques, tant de lunes passées avec pour seule sœur la nature autour d'elle, la nature en elle. Tant de chasses faites, d'acquisition de volonté, de dépense d'énergie et de colère. Tant de promesses faites, de sang versé. Son sang versé. Tout cela pour quoi ? Pour l'orgueil d'une stupide fille de joie ? Pour la fierté d'un peuple incarnée dans une poupée de porcelaine ?

Sang.
Elle se haït.
Sort.

Elle sourit de nouveau, les yeux entrouverts. Sa langue passa - fugitive - sur ses lèvres. Mais ce n'était qu'un sourire de peine inavouée, de mélancolie. Un sourire de circonstance pour une circonstance qui ne méritait pas de sourire. D'ironie amère. Il chercherai probablement, il essayerai de trouver la cause de sa chute, fouillerai dans son esprit à la recherche d'un signe, d'une incantation spéciale de Ruby, tenterai de percer le mystère, et retrouverai probablement l'origine de sa perte. Qui sait ? Peut-être essayera-t-il - fou qu'il est - de refaire l'instrument de sa fin. Mais il perdra, encore et encore, ne saisissant pas la subtilité de la chose. Du sang ? Pas n'importe lequel... Le sang qui emporte la vie, le sang qui peut la donner et signe la fin de ce don. Le sang d'une femme. Le sang de ses saignées... Dans le sang de l'elfe, c'était son sang à elle qu'elle contrôlait, et la rapidité qu'elle donnait à cela avait faillit tuer son ancien élève.

Neige.

Le ciel se remit à pleurer des larmes de glace. D'un caprice de son esprit, Ruby protégea la jeune elfe du froid qu'elle devait probablement sentir mordre sa peau. Pas tout le monde ne pouvait se vanter de pouvoir être allongé nu dans la neige, de ne faire qu'un avec les flocons, de s'oublier à ce froid si délicat. Était-ce une raison pour en faire souffrir les autres ? Non.
La Cristalléenne se redressa, faisant sa chevelure son seul vêtement. Elle lui sentit une autre odeur, sauvage, presque féline. C'était vrai qu'il avait été là...


Les yeux grands ouverts sur le monde, Ruby avait accusé l'impact de sa réminiscence en louve. Ses paupières n'étaient plus rabattues sur ses prunelles, son nez ne portait plus un masque. Sa peau elle-même n'était plus entourée des barrières humaines et ressentait chaque chose avec la façon véritable dont elle devait l'être.
Elle observa le tapis neigeux se reformer.
Il n'était pas blanc, quoi que l'on puisse en penser, mais ses teintes allaient du gris foncé, anthracite, au blanc le plus pur. Le drow s'agita dans son rêve. Qu'y voyait-il ? Les rêves des autres sont si différents de ceux des loups... Rêvait-il de chasse ? De courses ? De combats ? De femelles ? Oui... les mâles rêvent souvent de femelles, de leurs bras chauds, de leurs bouches aimantes... Les mâles sont ainsi fait. Et sa peau à lui n'était pas noire, n'était pas son opposée. Elle était violette en certains endroits. Était-ce là la marque de ses coups ?

Ruby passa la main sur son sein. Une ecchymose le marquait, lancinante, profonde, virant au noir en certain endroit. Blanc... Noir... La jeune elfe voulut lui donner une poignée de neige pour faire passer la douleur mais se ravisa. Cette petite fille ne venait-elle pas de dominer un homme qui avait terrasser une horde de démons à lui seul ? Elle devait-être spéciale, voir ne pas être une petite fille...

Aucunes marques ne tâchent le corps de la Louve...
Elle ferma les yeux, respira profondément. Contrôler son corps, contrôler le froid, contrôler tout. Se contrôler. Résister à tout, oublier le mal et le garder pour plus tard. Se blesser, se faire mordre. Mais attaquer et lécher ses plaies ensuite, telles disent les paroles du clan du Loup. Et, plus loin que cela encore, dominer l'intérieur de son être, telles sont les vérités des Aquas, où celles que l'on a bien voulu lui faire croire.
Le bleu disparut, puis les autres suivirent, doucement. Les entailles se refermèrent les unes après les autres, restant pourtant rose - et c'était sur une peau pareil un coquelicot dans la neige - car elle économisait ses forces pour la chasse et qu'elle subissait déjà, là, en une fois toutes les douleurs d'une cicatrisation naturelle. Le reste de ses blessures avait été endigué par le drow. Délicate attention de sa part, songea-t-elle sincèrement. Puis, elle leva le bras vers l'elfette qui eu un mouvement de recul. Ruby stoppa son mouvement, tendit la paume vers elle, son visage d'une neutralité absolue.

"La neige" dit-elle dans la langue naturelle de la demoiselle, gagnant de son estime.

Elle lui donna, et Ruby commença à se frotter les bras avec avant de s'arrêter.
Que faisait-elle donc ? Elle effaçait. Elle gommait à geste vif les odeurs étrangères avant de se rendre compte qu'elle était stupide. Elle avait été consciente alors que, dans les bras de Shin, elle le sentait lui caresser les cheveux. Ses yeux à elle étaient écarquillés sous le choc de ses sens, mais elle était toujours consciente, toujours, même lorsqu'elle sentait sur son corps nu des yeux inquisiteurs... presque... profiteurs ?

Elle avait alors pensé deux choses.
Colère. N'avait-il donc pas compris ? Ne saisissait-il pas l'importance de son geste ? Les Souvenirs qu'il occasionnait, les sensations qu'il lui faisait se remémorer ? Ce n'était pas le stupide caprice d'une petite fille sotte, c'était les impressions et les images qui étaient collées à cela qui la gênait. On l'avait éduqué en lui expliquant que les femmes étaient au dessus de tout et que les hommes ne pouvaient pas avoir le pouvoir sur elles, ni sur leur corps, et encore moins sur leurs biens. Et, à côté, on la bafouait avec subtilité, sans la toucher, car sa peau était touchée par la Louve Blanche. Et lorsqu'on le faisait, c'était un viol pour elle car toujours elle était maîtresse de sa propre existence. Ou lui en laissait-on l'impression.
C'était parce qu'il avait touché sa peau, fouillé dans son esprit qu'elle le pourchassait. On avait pas le droit de voir en elle, ni même d'ouvrir à elle-même son propre esprit, même si cela avait pour but de la rendre plus forte et de la transformer. Mais les hommes ne peuvent pas comprendre, les hommes ne pourront jamais comprendre ce qu'est le viol...

Désir. Il était là, chaud, et fort. Plus fort que certains qu'elle avait rencontré, moins fort que d'autre. Il n'avait pas la douceur, la mélancolie, la calme placidité, l'infinie profondeur d'Archael, il n'avait pas sa peau blanche, ses yeux d'un bleu profond, il ne possédait pas non plus ce parfum de liberté, cette effluve nostalgique. Car, si Shinreï Suiton était un chasseur, c'était parce qu'il était une proie. Et son obstination à la traque relevait de l'instinct de survie.
Et il avait aussi ce courage, cette puissance, cette bestialité, cette sauvagerie si animale qu'elle rappelait presque à Ruby l'environnement aimé de son enfance. Puis il était son exact opposé, bercé par des règles masculines de puissance et de douleur. Cela n'était-il pas, au moins, en partie vrai ?
Puis, ce que la Cristalléenne désirait, c'était simplement une nuit de véritable sommeil. On lui avait offerte, une fois, si loin... Mais depuis, elle dormait sur l'oreille de la traqueuse traquée. Elle était devenue une proie. Elle se devait de changer.

La poignée tomba en paillettes sur le sol.

Durant tout le temps que Shinreï dormit, la Cristalléenne ne ferma pas l'oeil et observa l'elfe dormir à son tour, roulée en boule dans ce qui ressemblait à un manteau. Ruby s'allongea sur le côté, de nouveau, et garda les yeux grands ouverts, les sens à l'affût de la moindre présence de vie, du moindre mouvement.
Fatiguée ? Fatiguée ! Non, elle ne l'était pas, pas autant qu'elle pensait l'être, moins que le drow. Elle avait épuisée toute l'énergie de son physique, une grande part de sa magie de louve qui ne coulait alors que sous la forme d'un ru dans son corps, et peu, très peu de sa magie d'Aqua. Mais elle le payait. Qui crois-tu, réparait en ce moment même son corps ? Il y a des choses que seule l'eau elle-même peut faire.

Frémissements.
L'elfe [l'elfette, drow pour Shin] se réveilla, se releva et s'étira, avant de partir dans une des maisons non loin de la place. Elle y entra et n'en sorti plus. Chercher de la nourriture ? Des vêtements ? Ruby n'en sut rien, mais elle ne revient que bien plus tard, alors que la nuit était passée et qu'un timide et froid soleil d'hiver venait chatouiller de sa lumière les deux corps couchés. La Cristalléenne releva le visage et fixa le soleil terne. Elle ferma les yeux laissa ses rayons venir caresser sa peau et laissa le calme l'envahir. Ses crocs disparurent, ses pupilles changèrent de forme, les ongles redevinrent courts et lisses comme ceux d'une demoiselle bien tenue. Puis Shin se réveilla.

Il jeta un regard que Ruby eu du mal à identifier. Le veillait-elle ? L'obervait-elle ? Le gardait-elle ? Peut-être, simplement attendait-elle son réveil pour l'achever. Elle-même ne savait pas ce qu'elle faisait ici. Ce qui est sur, c'est que lorsqu'il ouvrit les paupières, elle était déjà accroupit et qu'elle le fixait le visage incliné sur la gauche, mi interrogative, mi curieuse. Avec patience, elle laissa quelques secondes passer, pour qu'il reprenne pied avec la réalité, pour qu'il se sorte de la mélasse gluante de la fatigue et du sommeil.

"Qui es-tu ?" prononcèrent ses lèvres.

Ce n'était pas une question sotte, ou la question d'un amnésique. Elle cligna des yeux, le vent agita une mèche de sa chevelure qui lui tombait sur tout le corps. Qu'es-tu devenu ? As-tu changé ? Cette question sous-entendait cela. Un combat avec la Glace a-t-il servit la cause de la reine des Enfers ou celle de Layna, ou, encore, toi, simple vagabond, chasseur de démons, resteras-tu ce que tu as toujours été ? ... Est-il en ce monde des choses qui peuvent réellement changer les êtres ?

"Que veux-tu ?" murmurèrent ses lèvres.

Prendre le pouvoir ? En posséder plus ? Que visait-il, ce drow à la peau noire, noire comme la haine, comme le sang des démons ? Acquérir de la puissance n'est que pour en faire usage après. Se rendait-il compte, cet elfe, se rendait-il compte que si c'était seulement la puissance et la force qu'il recherchait, il ne venait pas alors de perdre une ennemie mais de s'en faire une encore plus violente ? La Haine en elle s'était tari contre lui : elle se savait plus forte et savait qu'elle avait puni son arrogance de désirer la battre, elle ne le craignait plus, et savait qu'un jour, ses caprices tactiles seraient punis.

"Que vas-tu faire ?" susurrèrent ses lèvres.

Elle termina ainsi la trinité de ces questions, soupirant sur la dernière, comme lasse de ce jeu auquel, pourtant, elle aimait jouer. Mais le laisser gagner, elle ne comptait pas le faire. Peut-être ne saisissait-il pas le but de cet amusement. Et, après tout, où seulement voyait-on une logique en cela ? Il n'y avait pas de fil conducteur le long de ce qu'elle disait, le long de ce qu'elle pensait.

Quand l'elfe revint de sa quête, elle s'immobilisa sur le seuil de la maison la plus proche, à quelques mètres d'une Ruby qui de nouveau menaçait un Shinreï allongé. Vous souvenez vous des lames qui pointaient aux extrémités de ses cheveux ? La Cristalléenne venait de refaire la même chose, donnant à des mèches de sa chevelure un aspect reptilien. Il y avait des dizaines de petits serpents qui s'agitait tout autour d'elle, venait frôler un instant puis l'autre un morceau de peau du drow.

L'elfette laissa tomber la bassine remplie de pain qu'elle portait dans la neige puis fit un pas en avant. La louve tourna le visage vers elle.

"Tt Tt, ne te mêle pas de cela, elfe. Je ne te veux pas de mal. Je ne veux de mal à personne." Elle tourna alors le visage vers son ancien élève, cause de tant de ses blessures. "Je veux juste des réponses."

Cliquetis du verre.
Toutes les lames tombèrent dans un même mouvement, alos que la poitrine de la Cristalléenne se baissait dans un soupir de fatigue intense. Elle ferma les yeux et baissa le visage, aussi fragile qu'une poupée de cire sous le solei, aussi belle qu'une fleur percant la neige. Sa main monta lentement, venant se poser sur son coeur, poing fermé, comme détenant un secret défendu de son corps.

Puis, un geste se fit à côté d'elle, et elle sauta - impulsion animale - sur sa droite, et fit face à ce qu'il y avait. L'elfe. Toujours là. Ses grandes tresses elfiques tombaient sur ses épaules et, malgré le froid et le manque de brossage, ils semblaient presque luir dans la froide lumière de l'hiver. Ses yeux aux prunelles marrons fixaient la jeune femme deant elle avec défénrence, presque avec peur.

Ruby se releva, la neige glissa, roula sur son corps pour venir tomber au sol avec autant de légèreté d'une plume. Les lames disparurent et Ruby se trouva stupide d'avoir fait appaitre des choses qu'elle détestait. La jeune fille soupira, les crocs de ses lèvres disparurent, les ongles démentiels qui ornaient ses doigts de même puis, amoureuse, elle passa sa main sur son épaule, caressant sa peau blanche parsemée cà et là de traces rouges, vestiges de coups dont la marque était aussi éphémère que le flocon, aussi altérable que le givre.

Vertige.
Elle était épuisée, lessivée, malade d'envie de courir à en mourir. Elle chancela quelques secondes puis se reprit, toujours nue dans la tourmente, toujours nue. Elle se sentait trop faible pour user ses pouvoirs élémentaux dans le but de se faire un habit de neige, et préféra donc tourner le dos à cette ville, à la puanteur qui l'habitait.

"Sache..." dit-elle à l'attention de l'elfe "Sache qu'il a souillé la pure virginité de sa sombre et répugnante puissance. Son sort n'est pas encore fixé."

La tourmente se leva encore, plus forte, plus puissante, levant sur son passage miriades de flocons qui virent agiter et se mêler aux cheveux de l'elfe. Ruby, elle, restait intouchée par les vents, comme si les dieux eux-même se rendaient compte de la rage qui ne l'habitait plus et s'étaient lassés de la pousser à bout.

Elle avança à pas lents vers la rue principale de la ville, celle qui menait à la sortie, vers la forêt Dark, s'éloignant des Marais. Il ne restait plus de la destruction de ce lieu qui maintenant parassait plaisible que quelques bâtisses dont l'odeur de cendre venait coller à la peau de la jeune femme, et que quelques cadavres partiellement recouvert par les câprices des éléments.

"Si tu veux partir de cette ville, suis-moi, je te protégerai du froid. Je me rend vers la Cité d'Elament."

La Cristalléenne continua de marcher, pieds nus, avant d'entendre dans son dos l'elfe se rapprocher en courrant. Au passage, elle déposa sur le dos de sa guide ponctuelle une cape aux tons verts qu'elle portait juste avant. Ruby la resserra autour de son cou, ouvrant pour cela quelques secondes le poing dans lequel une paillette de sang glacée était visible.

Le vent l'emporta, et elle le laissa faire, sentant de toute façon qu'elle ne pouvait pas lutter contre la tempête qui s'avançait. Pas à pas, inspirations après inspirations, elle et l'elfe se dirigeait vers la grande cité, un vent de désolation les poussant, puant le massacre et le sang, annonce de pires choses à venir. Et, loin, loin dans l'infinité du ciel, une paillette de sang elfique valsait avec la tempête...