Dans le bureau de la directrice, il faisait sombre, très sombre même, car tous les flambeaux étaient éteints. Au dehors, la nuit était tombée depuis plusieurs heures. Tout était calme dans la Cité. C'était une nuit de vent, tourmentée, une nuit où la nature elle-même semble attendre quelque chose avec inquiétude. Les rayons de la lune, tantôt brillants, tantôt voilés par les nuages, jetaient une lueur vacillante sur le bureau de bois et les papiers posés dessus. Devant la fenêtre ouverte, les rideaux bougeaient dans la brise. Le silence n'était troublé que par les derniers craquements du feu mourant dans la cheminée.
La lune disparut derrière les nuées et le vent se calma peu à peu. Le silence devint total. L'air se chargea peu à peu d'une tension presque palpable. Soudain, il y eut un choc dans l'air. Les boucliers de la Cité, qui passaient non loin au-dessus du bureau, s'irisèrent un instant, signe qu'ils contenaient de l'énergie maléfique arrivant de l'extérieur. Ce n'était pas la lueur orange qui se produisait quand ils repoussaient un sort magique, mais quelque chose d'autre. C'était comme une vague sombre qui montait dans le ciel de la Cité, à partir du bas de celle-ci, en direction des Portes. Des chuchotements haineux semblaient murmurer dans l'air, des mots de colère et de malédiction. Une aura froide et ténébreuse s'étendit brièvement autour de la ville, comme si elle essayait stupidement de l'engloutir, dans un inutile geste de haine. Mais Elament était protégée contre une agression de ce genre. La vague d'ombre reflua, repoussée par les puissants et inébranlables boucliers, qui résonnèrent à peine, d'une vibration faible et grave comme la plus basse note d'un grand orgue.
Mais il est des signes qui ne relèvent pas de la magie, mais uniquement du destin, et pour qui les boucliers d'Elament ne signifiaient rien. Des avertissements que le monde semblait donner à ceux qui savent le respecter. La bise siffla dans la chambre, mais elle semblait devenue plus froide, plus âpre, plus sombre. Une odeur sèche et puante se répandit dans la chambre, répendat des relents de mort. Ceux-ci se dissiperaient rapidement, mais leur signification était lourde de sens. Un être extrêmement mauvais était passé aux Portes. Sa haine avait un instant inondé l'athmosphère, puis, impuissant, il était reparti. Cette aura n'avait rien de comparable à celle d'Apharez, qui faisait violemment résonner tous les boucliers de la Cité à chaque fois qu'elle passait à proximité. Non, cette aura était bien plus faible, mais largement aussi maléfique. Et surtout, elle différait par l'impression qu'elle laissait derrière elle. Autant celle de la Maîtresse des Enfers était violente et puissante, autant celle-ci était insidieuse, noire et froide comme les abîmes.
En réalité, cette aura ne pouvait appartenir qu'à un seul être. Un être que toute personne versée en démonologie pouvait reconnaître facilement: le plus sombre et le plus froid des démons, celui qui avait été banni, maudit et honni par ses semblables mêmes. L'Enfant de l'Ombre, Iblîs le Marcheur des Ombres, avait signé son retour et sa première visite avait été pour Elament... savait-il que ce faisant, il révélait sa présence à la protectrice de la Cité. Sans doute que non. Il devait penser que, isolée par ses boucliers, la Cité ne pouvait voir son retour et sa présence. Les démons haïssent le monde dans lequel ils vivent. Celui-ci ignorait que le monde, par sa simple existence et par des moyens aussi simple que le vent nocturne, avertissait sa protectrice d'un nouveau danger...
