L'air est frais, l'atmosphère calme et ici, sur un morceau de plage bordant le lac, la petite Nymphe Oréade est sereine. Oui. Sereine, aussi difficile à croire que cela puisse être. À vrai dire, il est même étonnant de la croiser ici après cette longue absence inexpliquée. Ceux qui la connaissait ou qui l'avait côtoyé vous aurait probablement soupiré un « bon débarras » indifférent, trop heureux de voir disparaître celle qui, d'humeur sans-cesse exécrable, leur avait fatalement pourri l'existence à un moment ou à un autre. Coralline ? On ne savait pas où elle était et on s'en moquait éperdument tant qu'elle ne risquait pas de faire une réapparition subite...

Mais peu importait à la jeune fille les messes-basses des autres personnes plantées plus loin. Quelques élèves, joyeux partisans de l'école buissonnière et de nombreux habitants désœuvrés s'étaient regroupés près du lac Yuta afin d'assister aux examens Aqua qui devaient y avoir lieu. Une distraction comme une autre, somme toute. Sauf que les dits candidats ne se bousculaient pas et ainsi Coralline était la seconde à passer, après cette fichue tête à claques de Yumi qui avait focalisé sur elle tous les regards. Et puis ensuite ? Coralline n'y avait pas réellement prêté attention. Son poing serré tenait encore sa convocation.

Lorsqu'elle ouvrit enfin les yeux, elle se sentait prête. Elle inspira un grand bol d'air, concentré. C'est qu'elle n'avait pas remis les pieds à Elament depuis près de six mois et que les cours étaient loin derrière elle à présent... Serait-elle capable de se souvenir des bases ? Et bien... il était temps d'essayer.

Coralline s'avança jusqu'à la cuvette, rangeant son morceau de parchemin dans sa chemise afin de se trouver libre de ses mouvements. Et de ses mouvements, elle en avait besoin. Elle touna ses paumes vers le sol, les doigts écartés et les bras légèrement fléchis. Déplacer de l'eau, elle savait le faire. La déplacer en si grande quantité, elle n'avait jamais essayé. Un défi en quelques sorte, et la jeune fille aimait les défis. Sous ses pieds, la flaque se mit à frémir. Puis, comme un typhon qui semblait provenir de Coralline elle-même, elle tourbillonna lentement et se souleva, générant un grand tube au centre duquel se concentrait toujours la jeune fille. Elle réfléchissait à une manière de soulever le tout suffisamment loin au dessus du sol pour être capable de trouver cette fameuse clef. Peut-être que ? Elle fit pivoter ses poignets et leva les bras. L'eau, hésitante, suivit pourtant le mouvement et alla glisser jusque au-dessus de sa tête, continuant de tourbillonner doucement, imposante bulle d'eau flottant dans les airs.

La jeune Oréade sourit, satisfaite de la réussite d'un exercice qu'elle n'avait encore jamais pratiqué. Mais l'eau pesait lourd au bout de ses bras et mieux valait ne pas trop traîner. Elle aurait besoin de toute son énergie pour la suite qui s'avérait bien plus compliqué. À quelques pas, la clef était demeurée au fond de la cuvette et brillait sous le soleil sans chaleur de cette matinée d'hiver. L'enfant se baissa prudemment et ramassa l'objet, avant de relâcher ses efforts et de laisser l'eau ruisseler jusqu'à regagner son emplacement en une cascade étincelante.

Souffler. Secouer ses bras afin d'y faire affluer le sang et les soulager de l'effort. Ce n'était que le début des épreuves et déjà, cela s'annonçait bien plus difficile qu'il n'y paraissait. Cependant, loin de se laisser décourager, Coralline souhaitait continuer. Ne serait-ce que pour en mettre plein la vue à celle pour qui elle vouait une admiration dévorante. De nouveau, elle ferma les yeux, s'obligeant à se concentrer sur son objectif. Se laisser aller maintenant était une très mauvaise idée.

Bien.
Étape suivante.

Insérer la clef dans une forme... et bien... autant lui donner la forme qu'elle mérite. De nouveau, les paumes se tournèrent vers l'eau et celle-ci vibra quelques secondes avant de se soulever. Mais cette fois, les bras se tendirent vers l'avant. L'eau suivit, s'agita, s'étala et prit doucement la forme approximative d'une... D'une quoi au juste ? Une porte ? Oui... ça y ressemblait vaguement. Pas mal, mais le plus difficile restait à faire : insérer la clef et maintenir la forme au-dessus du sol n'était pas chose aisée. Alors Coralline garda un bras tendu vers l'avant et employa toute son énergie à retenir les flots à leur place. Lentement, usant d'infinies précautions, elle y inséra la clef, incertaine de la manière de procéder. Fallait-il la tourner pour « ouvrir » ?

VLAN !

Surgissant de derrière sa « porte », un disque de givre venait de la percuter en pleine face ! Elle s'y était attendu, mais pas aussi vite et pas avec tant d'hostilité ! Déstabilisée par la douleur et le choc, elle fut projetée en arrière et sa construction s'effondra d'un seul coup, sans qu'elle n'y exerce plus le moindre contrôle. Les fesses dans l'eau et un filet de sang perlant sur sa joue, elle eu à peine le temps de se remettre de la surprise qu'un sifflement la mettait déjà en garde contre un second projectile. En un réflexe, elle créa un bouclier d'eau autour d'elle, une technique qu'elle maîtrisait maintenant plutôt bien grâce – et ça ne lui faisait pas plaisir de l'admettre – aux bons conseils d'Armand Sulimo.

Vous disiez qu'elle semblait sereine ? Et bien ce n'était plus le cas !

Vexée, elle se releva d'un bond, poings et dents serrés. L'objectif n'était pas de laisser les cibles s'écraser sur son bouclier mais de les détruire ! La bulle translucide éclata soudain et, de ses mains tendues, un geyser sortit enfin. Elle avait tenté de doser sa force afin de ne pas s'épuiser immédiatement, mais elle se rendit rapidement compte de son erreur. Trop faibles, les jets d'eau se contentaient de détourner les cibles de leur trajectoire. Il fallait y mettre un peu plus d'enthousiasme et de cela, elle ne manquait pas. Comme lorsqu'elle avait effectué ce combat de gala pour l'ouverture du tournoi de l'Été, en cet instant, elle s'amusait... Curieux comme les défis lui procuraient un plaisir évident. Tant pis pour les autres épreuves ! Sous ses pieds, le niveau d'eau baissait à mesure qu'elle y puisait afin de créer ses geysers. Et quels Geysers : fins, linéaires, ils filaient droit devant à intervalles réguliers.

Mais si Coralline se défendait plutôt bien niveau « puissance », il était évident qu'à trop y mettre d'énergie, elle perdait en précision. En effet, la majorité de ses attaques se perdaient, manquaient leur cible ou les touchait par un heureux coup de chance. Et lorsque la jeune fille fut à court de munitions, la cuvette s'étant tarie à ses pieds, les cibles disparurent, lui laissant le champ libre vers la phase suivante...

Ses bras retombèrent le long de son corps. Elle haletait déjà et sentait, comme un avertissement tant de fois ressentit déjà, des picotements au bout de ses doigts, signe qu'elle présageait de ses forces. Pourtant, elle se redressa. Pas question d'abandonner ! Devrait-elle recommencer depuis le début ou finir à demi-morte, elle irait jusqu'au bout de ces épreuves. Aussi se redressa-t-elle. Elle marqua une brève pause avant de s'avancer enfin vers la rive, d'un pas lent qui trahissait son désir de retrouver un semblant de souffle... Devant elle, le lac Yuta était gelé et dépourvu de relief. Froid et lisse comme un immense miroir, il attendait. Seuls se firent entendre, pendant quelques secondes encore, la respiration de l'enfant et les craquement lugubres de la glace sous la surface rigide et opaque.

Étape suivante, donc...

Sans crainte, la petite Oréade posa les pieds sur la glace. Marcher sur cette surface ne devait pas être bien plus compliqué que de marcher sur l'eau, du moins le pensa-t-elle en s'y engageant franchement. Mais quelques pas plus loin, son pied glissa et elle en fut quitte pour une belle frayeur. Déséquilibrée, il s'en fallu de peu qu'elle ne tombe, au risque de se faire très mal, car la glace est bien plus agressive que le sol. Les jambes et les bras écartés après quelques moulinets visant à lui faire retrouver son aplomb, elle ne bougea plus du tout. Son regard se posa sur ses pieds et elle vit, derrière elle, comme les traces de ses pas. Un instant, elle hésita, avant de comprendre son erreur. Elle avait jugé judicieux de faire décroître la température de son corps jusqu'à avoisiner celle de la glace, sous ses pas. De fait, le support devenait aussi glissant qu'un parquet ciré. Jetez un morceau de glace sur un lac gelé et observez comme il glisse à des distances étonnantes. Un palet sur une piste, et elle devait empêcher cela. Elle réfléchissait, cherchant à se remémorer quelque chose d'utile... c'était là, dans un souvenir. Oui. Elle se rappelait vaguement, la langue collée à une stalactite lorsqu'elle était enfant... ses souvenirs qu'elle s'était efforcée d'oublier et qui lui revenaient lorsque cela s'avérait utile. Pas mal. La langue était chaude, la stalactite était froide. Pouvait-ce être aussi simple que cela ?

Alors elle se concentra afin d'inverser la tendance. Doucement, très doucement, le corps reprenait une température plus proche de la normale. Du coin de l'œil, elle surveillait ses aplombs, jusqu'à ce qu'elle les sente coller. Pas trop, juste ce qu'il fallait pour ne pas tomber. Voilà qui était parfait, et la marche pouvait reprendre.

Oui mais voilà, devant elle, un brouillard hostile l'attendait et à mesure qu'elle s'en approchait, elle devinait qu'il n'était qu'une gigantesque étuve. Elle s'arrêta. Contrôler sa température était déjà difficile en soit, surtout après l'épreuve des geysers... la contrôler au milieu d'un tourbillon de vapeur brûlante en revanche, ça devenait pointu. Peut-être trop pointu pour la gamine qui sentait une certaine colère l'envahir. « Si je tenais l'imbécile qui a eu cette géniale idée d'épreuves stupides ! » Elle serra les points, consciente que sa colère jouerait en sa défaveur. Mais il était déjà trop tard pour la chasser et bientôt, sa vue fut embrumée de larmes. Larmes de rage de réaliser qu'elle n'était pas à la hauteur...

Déterminée pourtant, elle reprit sa route mais s'arrêta à un mètre du nuage infâme. D'aussi près, la chaleur lui brûlait la peau. Et si elle avait appris à résister à des températures négatives, jamais encore elle ne s'était exercée contre pareille fournaise. Il serait même assez juste d'avouer que la canicule de l'été dernier lui avait littéralement fait péter les plombs, et qu'elle avait expliqué en partie son départ. La chaleur, trop proche du feu qu'elle redoutait par dessus tout ! Comme un flash, éclair blanc dans son esprit, des bribes de son passé la giflèrent de plein fouet, soufflant avec une violence inouïe tout concentration au profit d'une terreur sans nom. Devant elle, la vapeur était devenue flammes dévorantes à ses yeux. Comme un réflexe de survie, une nouvelle fois, la bulle se forma autour d'elle et la jeune fille tomba à genoux, tout à coup incapable du moindre mouvement ou du moindre effort pour soutenir ne serait-ce que le poids de son corps.

De la terreur à la panique, il n'y eu qu'un pas que Coralline franchit en une seconde de temps. Sous elle, la glace gronda soudain avant d'éclater et de la projeter dans les profondeurs du lac. La bulle s'évapora et le contact de l'eau glacé sur sa peau brûlée par le brouillard incandescant lui fit reprendre à demi ses esprits. De l'eau. Elle était sauve !

Sauve... et éliminée. Recommencer du début était encore possible mais inenvisageable compte tenu de ce qui l'attendait.

« La poisse ! » ragea-t-elle, perdu dans l'eau.

Sa voix ne porta pas bien loin, emportant en une farandoles de petites bulles jusqu'à la surface, où la banquise s'était reformée. Folle de rage, Coralline nagea jusqu'à la rive d'où elle émergea sans autre dommage qu'une profonde blessure morale.