C’est beau, les lumières de l’aube. Alors que la nuit est si froide et fait si peur, le soleil amène de la joie, peut importe où on se trouve. On souhaiterait tous s’en rapprocher, être toujours baigné de sa chaleur, ne jamais plus connaître l’obscurité et l’angoisse, ne plus jamais être dans le noir.

Le trou noir…Si profond et si oppressant ! On ne peut connaître le noir absolu, le vide, qu’en ayant regardé au plus profond de l’âme d’un égaré. De l’âme de quelqu’un qui n’a plus rien à perdre, de l’âme d’une personne qui ne se reconnaît plus, l’âme d’un possédé, l’âme d’un être qui n’en a plus.
Et pourtant, même les plus perdus, les déchets d’une autre vie, cherchent le soleil, tous à se baigner de sa chaleur bienveillante. C’est bien ce signe qui prouve que rien n’est perdu, car l’obscurité se retire face à la lumière.
Ce jour là sur les falaises, le soleil pointait tout juste le bout de son nez qu’un homme réclamait déjà sa chaleur. Un homme ? Le terme n’est pas exact, car la créature qui s’avance n’est plus humaine, ce n’est même plus un ange. Ce n’est plus rien.

- Conneries…

Althys s’essuya la bouche maculée de sang et se releva. En dessous d’elle gisait un gibier, le ventre ouvert. Elle inspira longtemps et regarda autour d’elle. Tout était paisible. Elle recracha le reste de sang qu’elle avait dans la bouche, en toussant. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait ce genre de crises. Et ça arrivait toujours quand elle tentait de s’amuser un peu, ou de manger, comme ça avait été le cas tout de suite. Les lumières rosées de l’aube striaient le ciel, et elle sentit la mer. Elle ne devait plus être très loin des falaises.

Toussant toujours des giclées de sang, elle se mit à marcher d’un pas mal assuré vers le sommet de sa petite colline, d’où elle pourrait voir la mer. Dans sa main gauche se trouvait le vulgaire poignard avec lequel elle avait tué et découpé son repas. Après à peine quelques minutes de marches, sans compter la maigre pause qu’elle fit du à une quantité trop importante de toux, elle atteignit enfin les falaises. L’odeur de la mer était agréable, même pour elle, et une fine brise balayait son visage et la rafraîchissait. Elle sentit ses cheveux s’envoler au vent, elle ne savait même plus qu’ils étaient aussi longs.
Tout en elle, n’était plus que contradictions. Une faible partie d’elle-même voulait sauter le plus loin possible et se brûler les ailes grâce au soleil pour enfin redevenir elle-même, et une autre partie, plus forte cette fois, maudissait l’astre pour tout ce qu’il était. Heureusement pour cette dernière, la petite partie d’Althys qui pouvait encore être considérée comme saine ne serait bientôt plus qu’un souvenir. Toute cette bataille s’arrêterait, enfin.

La sensation était grisante...
Le vent fouettait son visage, malmener ses ailes étendues, et le portait loin au-dessus du sol, grâce à un courant ascendant et persistant qui semblait vouloir l'emmener à une destination encore inconnue.
Non, les Soquiors ne peuvent pas voler, leurs ailes sont trop petites pour cela. Mais ils peuvent planer, profiter de quelque vent puissant -suffisamment pour supporter leur poids, tout du moins...
Ces Falaises étaient une véritable bénédict... un endroit formidable! L'air y était agité, les souffles violents et ininterrompus! Thyrim regrettait de ne pas avoir eu l'idée de venir là plus tôt... Cela dit, il était bien trop occupé à boire allégrement pour véritablement s'en soucier.
Le jeune Démon ferma les yeux, et ressentit plus fort encore le vide qui s'étendait autour de lui. Un vide physique, mais également un vide mental... Pas la moindre petite émotion alentour, pour venir se mêler aux siennes, et lui torturer l'Esprit -quoiqu'il n'y prêta presque plus attention à présent.
Il n'y avait rien, absolument rien... Pas même un petit oiseau téméraire venu braver les Elements qui se déchaînaient en se lieu. Rien que l'air qui écrasait le Monde de sa masse colossale et pourtant si légère.
L'adolescent ne put retenit un sourire ironique -depuis quand avait-il de telles pensées? Comme c'était mélodramatique, on aurait dit un Elfe!-, sourire qui se mua bientôt en éclat de rire.
Mais, les contractions spasmodiques de sa cage thoracique le déséquilibra et, soudain, le courant qui jusque là le soutenait s'évanouit. Ou, plus exactement, les mouvements provoquées par l'hilarité du Soquior firent tressauter ses ailes, qui s'éloignèrent de ce vent bienveillant, pour se retrouver prises dans un autre, qui, lui, descendait vers le sol à une vitesse effroyable.

- Oups..., fut la seule chose intelligente que Thyrim trouva à dire, avant d'être précipiter vers la terre et la roche, plusieurs dizaines -ou centaines, on ne se rendait pas très bien compte du ciel- de mètres plus bas.

Puis, vint le choc. Brutal, douloureux. C'était la seconde fois en l'espace de quelques semaines qu'il en venait à tomber ainsi. Enfin, la fois précédente, il y avait une vieille Succube dégénérée entre lui et le sol.

- Rah! Ce n'est pas juste! Pourquoi ça arrive toujours à moi, ce genre de choses?!

Un peu sonné, bien qu'ayant conserver toutes ses capacités pour ce qui était de jurer -capacités qu'il mettait d'ailleurs en application, cela va sans dire-, il se redressa dans une position semi-assise, les jambes étendues, appuyé sur les coudes.
D'une main, il palpa fébrilement son crâne, ses cornes et son front, vérifiant avec une angoisse assez peu justifiée qu'il n'ait pas été abîmé par la chute.
Puis, rassuré, il sortit son peigne d'ivoire qui, lui aussi s'en était bien tiré, et démêla avec une application maniaque sa chevelure immaculée.
Douleur. Indécisions. Désillusions...
Ces sentiments n'étaient pas les siens, il n'était pas seul.
Ce devait être une sorte de malédictions... A chaque fois qu'il tentait de s'isoler quelque part afin d'être tranquille, soit pour se livrer à son activité favorite -je vous donne un indice: "Boisson alcoolisée"-, soit pour simplement se promener, il tombait sur un Être qui, au choix, essayait de l'étrangler pour récupérer un champignon lépreux, ou qui le poursuivait de sa laideur inégalable.
Peut-être était-il un peu fataliste. Après tout, il n'était pas toujours obliger de rencontrer des personnes complètement dérangées et psycotiques, n'est-ce pas?

Pour l’ancien ange qui se tenait sur la falaise, le vent qui battait à tout rompre contre ses oreilles portait une odeur familière, une sensation qu’elle connaissait bien, avant. Oui, il semblait, qu’elle était une aera autrefois, c’était dans son pouvoir de maîtriser les vents ! Oh, comme elle s’était battue longtemps avec cette imbécile pour pouvoir accéder à ce pouvoir ! Elle avait l’impression que l’air était plus qu’un élément, c’était une partie immense d’elle-même, elle avait l’impression qu’il lui murmurait des choses à l’oreille, et qu’elle pouvait le toucher, et sentir de la résistance.

Fascinée comme un enfant qui voit la première fois la mer, Althys tendit une main presque tremblante dans le vide, et doucement, elle se mit à toucher. Oui, l’élément la reconnaissait, elle, comme une partie du Tout et une partie du Rien. Qu’elle le veuille ou non, elle lui était liée de tout son corps et âme. Elle sourit à elle-même, et expira, se concentrant fort.

Les vents s’amenuisèrent alors. Quelle sensation magnifique ! Se dire que cela était arrivé par sa pensé ! Elle avait cru qu’à cause de la résistance de l’imbécile, elle ne maîtriserait jamais aussi bien l’élément. Ses craintes n’étaient pas fondées. A nouveau, le vent se leva, et cela lui donna bien matière à réfléchir. Car l’esprit qui habitait maintenant l’enveloppe charnelle de l’ancien ange était de ceux qui pensent longuement à ce qu’ils voient, car ils ont l’éternité devant eux.

Il fallut peu de temps pour qu’elle sente une présence. Elle ne pouvait dire si elle était hostile ou non, mais ça sentait la charogne. Etait-ce seulement l’odeur de son dernier repas ? Une nouvelle quinte de toux, et Althys décida d’aller voir de quoi il retournait.
Elle ne marcha pas longtemps avant de se retrouver en présence d’un être étrange. Elle ne chercha même pas à se cacher ; elle se moquait pas mal d’être remarquée, elle valait cent fois mieux qu’une peureuse tout de même. Elle sentie l’odeur du démon, elle savait que cet être n’était pas vraiment un banal habitant de la cité, et elle se demanda alors si c’était normal qu’elle ne se sente pas proche d’une race qui ressemblait, dans ses motivations, autant à son existence même. Après tout, n’était elle pas la pour prendre le pouvoir de l’âme qu’elle possédait maintenant, et la détruire à petit feu ? la curiosité que cet être inspirait chez elle était grande, autant pour son apparence soudaine que par le fait qu’elle n’avait pas finit son repas un peu plus tôt, et qu’il avait l’air comestible.

- bouh

Dit elle enfin pour annoncer sa présence à la créature qui se repeignait.

Thyrim s'attaquait à un noeud coriace et mal venu lorsqu'il entendit un "Bouh!" strident -ou presque-, qui le fit bondir sur ses pieds. Qu'était-ce que cela? Une Hydre maléfique -quoi qu'il était sensé être lui-même un Être démoniaque? Un Ogre eunuque? Un Fantôme de Femme hystérique?
Non, rien de tout cela, un Ange. Une Ange, pour être précise. Enfin, si l'on en croyait les ailes dont la personne était dôtée...

- Cette greluche est bizarre, décréta l'adolescent, pensant tout haut sans s'en rendre compte.

Son Don lui permettait de manier la pensée aussi bien que la parole -à quelques migraines près, bien sûr-, alors, il lui arrivait parfois de ne plus très bien faire la différence entre les deux.
Oui, cette Ange était étrange... Il sentait quelque chose d'indéfinissable émaner d'elle, quelque chose qu'il ne comprenait pas vraiment, un sentiment, peut-être... Quelque chose qui la différenciait des autres membres de son espèce.
Le jeune Démon se demanda un instant si cette étrangeté justifiait l'utilisation de son Pouvoir, mais le souvenir du contrecoup de ce dernier l'en dissuadèrent très rapidement. Plus tard, sans doute, s'il se sentait d'humeur masochiste.

- Que fait un Ange si loin d'Elament? demanda-t-il, cette fois conscient de ses paroles.

Il aurait voulu ajouter une pique caustique et spirituel, mais rien de satisfaisant ne lui venait à l'esprit. C'était sûrement la chute, le choc l'avait durement ébranlé...

- Et, d'ailleurs, que fais-tu ici? Il me semble que c'est un peu vide et... inintéressant, comme endroit..., reprit-il sans attendre la réponse.

En vérité, il n'utilisa pas le mot "inintéressant", il usa d'un terme beaucoup plus vulgaire, terme que je ne retranscrirais pas ici. Puis il se tut, afin d'observer plus en détail son interlocutrice.
Plutôt pas mal, ma foi. Grande -trop-, fine, belle...

- Aurais-tu, un nom, l'Ange? s'enquit-il, un sourire enjôleur plaqué sur le visage, tout en rangeant son peigne avec une dextérité peu commune.

Althys haussa les sourcils, une expression indéfinissable sur le visage. Elle était presque déçue qu’il soit encore bien vivant, elle s’était mise en tête qu’il ferait un bon casse croûte après tout. Greluche ? Finalement, elle n’avait peut être pas à craindre de le tuer et pouvait quand même se permettre de le manger ; elle avait faim et il était d’une impolitesse surprenante, même pour un simple démon. Un sourire serein se dessina sur le visage de la jeune fille ; non, elle connaissait les bonnes manières, elle au moins, même si l’un n’empêche pas l’autre.

* discrétion…discrétion…*

Elle ne pouvait simplement pas se permettre d’attaquer n’importe qui, elle devait avant tout se comporter comme la vraie Althys, l’ange, et donc sourire de manière stupide à cet espèce de créature qui lu faisait face.

« Bizarre ? Est vous êtes quoi, sinon bizarre, avec ces cornes ? – elle réfléchit un instant à sa deuxième question- j’avoue que je ne sais pas trop ce que je fais ici, dit elle d’une voix un peu insouciante- j’avais envie de voir la mer, je suppose »

En vérité, elle savait très bien ce qu’elle faisait ici. Cette imbécile avait essayée de reprendre le contrôle de son corps et l’avait traînée jusqu'à ce coin paumé, tiraillée par la faim. Mais la mer était bien jolie par ce temps, et ça aurait été dommage de ne pas profiter du spectacle. Etre maléfique n’exclue pas être sensible tout de même.

« Mon nom est Althys Emphel »

Dit elle d’un voix calme, une voix qui pouvait exprimer tout aussi bien l’amusement et la curiosité que le mépris le plus total.

« Et vous, monsieur corne de bouc ? »

Finalement, c’était peu être du mépris.

Elle se demanda si l’homme, euh, la chose étrange en face d’elle serait suffisamment futée pour comprendre ce qu’elle était, et surtout ce qu’elle n’était assurément pas. Mais elle en doutait, après tout, elle était une chose plutôt rare dans la cité d’Elament, et même dans le monde ! Elle sourit à elle-même tout en ayant cette pensée, cela lui plaisait bien d’être quasi-exceptionnelle, elle avait son orgueil, bien entendu. Encore une fois, elle se posa la question du pourquoi elle n’arrivait pas à considérer ce démon comme un de ses pairs. Les démons et elles étaient presque cousins, éloignés, mais cousins tout de même, avec les même buts, non ?

Cela la faisait rire de voir l’agréable sourire sur la tête du démon. Althys était quelqu’un d’imbécile, et elle allait devoir se comporter comme elle, sûrement.