Balade au clair du feu [en pv avec Sen Chizu]

Serek n’était pas dans assiette, il avait encore dû mal cuire le truc qu’il venait de manger avant. Plusieurs fois, sa cuisson lui avait joué des tours et il croyait enfin maîtriser l’art culinaire. Son ventre lui disait le contraire, et il le lui disait bien.
Il faisait chaud dans cet endroit et cela lui calmait un peu son mal, même si la douleur sourde fusait en lui comme un poignard dans l’estomac. Un poignard… Il secoua la tête… Il délirait peut-être… Ses souvenirs refirent surface, brouillant la réalité ; Le poignard fusa vers son ventre et s’y enfonça dans une gerbe de sang, son sang. Il retira la lame mortelle, un goût métallique à la bouche, son sang…

« Tu ne m’as pas encore eu, on ne se débarrasse pas de moi aussi facilement… »

Serek tomba a genoux, se releva titubant bers la forme qui lui faisait face. Il regarda ses mains, puis son ventre ; pas une trace de sang : il délirait bel et bien…Foutue bouffe mal cuite !
Il secoua la tête, refusant de se laisser avoir par une hallucination, mais la forme ne paraissait pas vouloir s’en aller. Il se passa la main sur la figure ; rien a faire, hallucination tenace ! A moins que… Il tendit le bras vers l’avant frôlant la silhouette, il fronça les sourcils, ses doigts rencontrant une étoffe douce. Il leva la tête, mais la lumière l’empêcha de voir les traits de sa vision, pourtant si réelle.
Aïe ! Son ventre le lancinait atrocement, saleté d’oiseau cru. Il en était maintenant certain, c’était bien réel, il n’y avait aucun doute. Ses souvenirs se superposaient et le mettaient dans des situations parfois malsaines.

« Ben ça… Ce n’est pas toi… alors c’est bon, tu ne vas pas une nouvelle fois essayer de me tuer ! »

Il y a longtemps, à l’époque révolue du roi de Brokta, il avait participé a de nombreux duels à l’épée pour le bonheur de gentes, et il avait malencontreusement tué un adversaire, alors que les règles interdisaient la mise à mort, seulement faire couler le premier sang. Il s’était alors coltiné une veuve éplorée sur le dos pendant plus de cinq ans qui avait juré de le tuer a son tour et qui avait bien failli réussir. Il dormait alors dans une auberge et elle avait réussi a accéder a sa chambre il ne savait encore comment et lui avait enfoncé un poignard dans le cœur. Heureusement pour lui, il avait des réflexes encore vifs et au dernier moment, il avait dévié la lame, qui s’était plantée dans le ventre.
Il comprenait cette femme, qui voulait venger son mari, et il ne lui en avait pas tenu rigueur, malgré cette tentative quasi-mortelle et très douloureuse. Il lui avait quand même cassé le poignet et elle lui avait craché dessus lorsqu’il avait tenté de s’excuser.

« Un jour, tu te réveillera mort », lui avait-elle juré.

Elle était morte sans jamais avoir pu assouvir son désir, mais maintes fois, Serek la revoyait, le poignard à la main, visant le cœur.

Elle avait des cheveux colorés…Non, pas la femme, cette nouvelle vision qui n’en était pas une. Des cheveux roses ? Il n’en était pas sûr, la lumière jouant avec des reflets violets. C’était quand même une femme, et elle avait l’air de le regarder.
Son mal prit fin, sa vision s’éclaircit et il se retrouva à genoux devant une personne qui avait l’air curieuse de son comportement…Reprenant un minimum de contenance, il dit :

« Pardon…Je n’ai pas dû te faire bonne impression. »

Il se releva et remarqua qu’elle ne lui arrivait pas très haut, mais ce n’était pas une naine, loin de là, elle avait un visage fin, deux traits noirs, l’un sous un œil et l’autre sur la joue, qui ne lui enlevaient rien a sa beauté, et une expression de tristesse infinie, comme si elle venait de voir mourir quelqu’un.

« Ca va ? J’espère que ce n’est pas a cause de moi que tu fais cette tête, sinon je m’en voudrais ! » dit-il pour lui rendre le sourire.

Et qui aurait pu prévoir cela ? Pas elle en tout cas, sûrement pas. Qui aurait pu prédire cette rencontre ? Elle, elle n’en savait absolument rien, et à vrai dire cela lui importait bien peu.

Enveloppée dans la nuit noire et sans lune, elle était sortie de l’école sans vraiment de raison apparente. Attirée par les ténèbres ou tout simplement en quête d’escapade et de liberté ? L’halfling n’en avait aucune idée. Tout ce dont elle était sûre c’était l’ironie de la situation. Sen se rendait compte au fur et à mesure du temps que malgré le fait qu’elle soit depuis maintenant quelques mois à Elament, elle n’avait jamais pu rester prostrée à l’intérieur de l’école très longtemps. La Cité l’émerveillait et elle se sentait encore et toujours le besoin de parcourir ses rues, d’y découvrir les endroits qu’elle n’avait pas encore exploré. Quelques jours avant qu’elle se retrouve ici, avec nous et lui, elle avait eu pris son premier cours sur le feu qui lui avait laissé une marque indélébile, lui faisant trop prendre conscience de ses propres faiblesses en la matière. Pourtant, elle avait foi en l’avenir. Elle deviendrait forte.

Ses pas l’avaient conduit de manière explicable vers le volcan Salasta et elle s’était figée à son image, envahie par la soudaine chaleur émanant de lui, les étincelles qu’il cracha, feux d’artifices dans le ciel d’encre, son immense silhouette imposante qui la fascinait tout en l’effrayant quelque part. Dans son esprit éveillé à une pareille heure elle réalisa que ce n’était pas uniquement le fruit du hasard si elle s’était aventurée par ici, et le souvenir fugace d’une rencontre revint à elle. C’était il y avait maintenant longtemps. Avant la bataille et tellement de choses qui avaient changé à jamais son existence. Une nuit où son corps plus que sa volonté l’avait traîné ici, probablement le démon dans son corps qui avait fait des siennes, et où elle s’était réveillée, totalement démunie. Pourquoi revenait-elle sur ces lieux ? Une étrange bouffée de chaleur monta en elle et assaillit sa gorge, à tel point qu’elle se demanda soudainement si ça ne provenait pas tout simplement de sa nature d’igni.

« Tu ne m’as pas encore eu, on ne se débarrasse pas de moi aussi facilement… »

Etonnement. Stupeur. Elle n’était pas seule ici. D’un brusque mouvement elle se retourna et découvrit avec surprise quelqu’un derrière elle. Dans son innocence, elle s’était imaginée être la seule dans Elament qui n’avait rien de mieux à faire que de se balader la nuit sous l’emprise d’une envie aussi injustifiée que fugace. D’un œil critique, elle l’examina, se demandant instinctivement si elle était en danger, les rencontres à des heures pareilles n’étaient pas connues pour être des plus agréables et des moins dangereuses. Sen lui donnait facilement dix-sept ans. Des cheveux roux tirant fortement vers la couleur des flammes. Quant à sa race, elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus, même en tendant légèrement son aura vers la sienne pour la sentir. Il y avait pourtant quelque chose de nostalgique dans celle de l’inconnu. Quelque chose qu’elle avait déjà rencontré. Ses yeux s’écarquillèrent quand elle se rendit compte qu’il était en train de souffrir le martyre. Automatiquement, elle fit un pas vers lui, jeune et d’une grande naïveté encore. Pourtant, elle savait qu’à sa ceinture pendant ses couteaux de lancer et sa dague, et de ce fait elle n’avait pas peur.

« Excusez-moi, vous avez besoin d’ai… »

Sa question fut interrompue quand il saisit par réflexe la manche de ses vêtements. Depuis son premier au sein de l’école, elle n’avait pas réenfilé son ancienne tenue et avait préféré garder son haut à manches longues par-dessus lequel elle s’était vêtue d’une tunique fendue des deux côtés avec elle-même des manches courtes par-dessus celles de l’autre vêtement. De cette manière, elle minimisait les risques que l’on voit l’étrange marque sur son bras qui symbolisait la présence d’un être maléfique en elle. Si quelqu’un qui s’y connaissait un tant soit peu en matière de démon venait à deviner ce qu’elle détenait à l’intérieur de son enveloppe charnelle et divulguait le secret au sein même de l’école, elle ne se le pardonnerait jamais. Et alors qu’elle le fixait, ses iris d’un marron chaud s’égarant sur lui, elle s’aperçut que son attitude lui était vaguement familière même un peu trop.

Être enfermé dans ses souvenirs. Enfermé. Bloqué à l’intérieur de soi. Ne pas pouvoir s’échapper. Une lutte contre soi-même perpétuelle. Jusqu’à la fin… Une ombre passa dans son regard qui se voila aussitôt d’une nappe mélancolique tandis qu’elle se rappelait que sa propre vie se résumait à cela. Fuir ce qu’elle portait en elle. Gauchement, elle tenta de se pencher vers lui, sachant qu’elle était trop faible et maladroite pour prétendre apporter quelque réconfort à sa douleur, mais voulant tout de même le faire, accomplir quelque chose. Tendre une main salvatrice à lui, elle qui en avait tellement rêvé autrefois. Sa fine main blanche partit vers son épaule, puis les doigts se rétractèrent. Hésitation. Méditation. L’altruisme est un beau sentiment, mais n’est-il pas animé par la pitié quelque part ? Ne toucherait-elle pas un peu trop son orgueil si elle s’y prenait de cette manière. Par ailleurs, il sembla soudain se remettre de son mal, et alors qu’il était à genoux devant elle, comblant le fossé de la taille entre elle, il se redressa. Plus grand qu’elle évidemment. Mais à cet instant, elle n’avait cure de son complexe.

A ses paroles, elle le contempla d’un air perplexe, se demanda comment il pouvait sourire après ce qui venait de se passer. Puis elle se souvint qu’au fond, c’était sa propre attitude qu’elle voyait en face d’elle. Ce besoin de lutter contre l’adversité et d’y rire. Malgré elle, elle tenta un faible sourire. S’enfermer dans la mélancolie n’était pas une solution, c’était un abandon du combat qu’elle ne s’était jamais permis.

« Désolée, j’étais inquiète pour vous. »

Comme d’habitude, le vouvoiement lui venait instantanément sur les lèvres.

« Vous sentez vous mieux ? Si je peux faire quelque chose, n’hésitez pas à me demander. »

« Est-ce que je peux vous aider ? »

Serek sourit, cela faisait longtemps qu’on ne lui avait pas posé cette question. A vrai dire, la dernière fois était il y a plusieurs années , alors qu’il sortait complètement ivre d’un bar d’où il avait été jeté après une bagarre. Il s’était juré de ne plus jamais boire comme un trou après un monumentale gueule de bois et un réveil au milieu d’un champ d’où il ne se rappelait plus pas avoir atterri. Le fermier propriétaire de ce champ n’avait pas été le plus charmant du monde et lui avait posé cette question d’une manière plus ou moins ironique, en tenant une fourche. Mais là, c’était sincère, il l’entendait dans le timbre de cette voix.

Elle n’était pas grande, mais il avait appris à ne pas juger les gens par leur taille, notamment après de rudes combats contre des nains et d’autres créatures de petite taille. Les oreilles pointues étaient caractéristiques des elfes mais elle n’en était pas un.
Un nom lui vint à l’esprit, quelque chose comme halfing, ou halfling, oui, c’était cela ! Il en avait souvent entendu parlé de la bouche des humains, mais la plupart de ces histoires étaient fausses, au vu de ce qui se tenait devant lui ; selon eux, les halflings étaient des lutins joyeux habitant dans le Grand Nord et fabricant des jouets pour un gros bonhomme habillé de rouge.
Serek cligne des yeux, chassant la vision des petits gens aux chapeaux pointus et observa attentivement la personne qui se tenait devant lui, qui n’avait rien d’un fabricant de jouets.
Une longue tunique lui tombait élégamment jusqu’aux pieds et lui couvrait les bras, ce qui lui donnait l’air un peu mystérieuse. Il ne voyait pas d’armes, mais son corps élancé laissait penser un certain entraînement au combat. Serek, lui, n’avait pas pris la peine de prendre sa cape par cette chaleur et il était simplement vêtu de sin habit de lin qui laissait ses bras nus et de son pantalon flottant en cuir noir. Sobre, il était toujours discret, même si ses bracelets en métal poli fixés à ses poignets trahissaient sa nature non-pacifique. Le pommeau de son épée était visible au-dessus de son épaule droite, épée habituellement cachée dans les replis de sa cape lorsqu’il la portait.
Elle l’avait vouvoyé savait que c’était une marque de respect, mais tout de même, il n’avait quand même pas 80 ans…euh si ! Enfin, il n’était pas si vieux que ça ! Un peu gênant…

« Pas besoin de me vouvoyer », dit-il, « je ne suis pas si vieux que ça… Et si tu me permet de te tutoyer comme je viens de le faire pour toi, je te demanderai comment tu t’appelles. Moi, c’est Serek, et pour faire court, j’ai traversé un quart du monde humain pour arriver à Elament et j’étais un ange »

Ces derniers mots résonnèrent en lui comme si quelqu’un d’autre les avait prononcés. C’était bien vrai après tout, un ange sans ailes n’était pas un ange, alors il n’était pas un ange. Il ne reniait pas sa race, il était juste réaliste. Il n’aimait pas le terme « ange déchu » on aurait dit l’appellation d’un être maléfique, ce qu’il était loin d’être.
Il était tard, et déjà le soleil jouait à cache-cache avec le volcan qui se dressait devant eux et qui chauffait l’atmosphère a lui tout seul. Ses yeux s’égarèrent dans ceux de son interlocutrice, brillants et vifs, des yeux qui pétillaient de vie. Il leva le regard, non pas gêné mais pensif, passant la main dans ses cheveux rouges –rouges de son sang- auparavant blancs, mais il n’était plus un ange… Pourquoi y pensait-il maintenant ?
Il reporta son attention sur la personne en face de lui et dit :

« Drôle de moment pour une rencontre… »

Balade au clair du feu [en pv avec Sen Chizu]

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