Enfin, le calme après la tempête...

Après les cris d'effroi et les grognements monstrueux, les sifflets des lames et les éclats des armures, c'était enfin le silence et avec lui l'extinction de chaque sens... Une douce cécité qui rendait ce monde plus doux qu'il ne l'avait jamais été. Plus de cris trahissant l'insupportable douleur, plus de sinistres vibrations sous vos pieds vous avertissant de l'indéfectible danger s'abattant sur vous. Plus de ces geysers carmins giclant des gorges ouvertes, ni de cette puanteur, mélange de larmes terrifiées et de bave cruelle... Non... Plus ce goût écœurant de sang dans la bouche... écœurant et pourtant enivrant !

Le calme après la tempête... ou peut-être après la mort ?

La gorge nouée et douloureuse, Coralline rêvait, dans une demi inconscience. Avait-elle périt ?Deviendrait-elle un Ange, comme elle en avait tant vu dans la Cité ? La Cité... mais quelle Cité ?

« _ La Cité ne doit pas tomber... » murmura Coralline sans rouvrir les yeux.

Elle avait déjà pensé cela, quelques longues heures auparavant... juste avant de sombrer, en fait... Comme si ça avait été sa dernière pensée... et comme si cette dernière devait être courageuse pour espérer la sauver... Qui l'entendrait ? Personne... hormis la créature qu'elle entraînait dans sa douce chute, par le fond... Non, la Cité ne devait pas tomber... Elle donnerait sa vie pour la protéger.

Plus la jeune fille s'enfonçait dans les profondeurs obscures du lac, plus elle se sentait aspirée dans un sommeil sans fin, fait de rêves silencieux désagréables. Tout autour, son environnement l'oppressait, lui donnant cette sensation d'être enveloppée dans du coton. Qu'il était étrange de survoler sa vie passée, dans cette atmosphère quasi irréelle... Elament, oui, elle s'en souvenait comme d'un vague souvenir... la Cité qui l'avait accueillie. Qu'était-elle venue chercher ici ? Rien, tout simplement. En réalité, elle n'était pas venue jusqu'à Elament, mais on l'avait conduite ici. Ses parents, l'accident, tout cela semblait si lointain... si... onirique...

« Est-ce qu'il va me pousser des ailes ? » se demandait-elle, persuadée d'être sur le point de mourir. Et de quelle couleur seront-elles ? Blanches, comme celles, magnifiques de ce professeur de l'Air ? Noires, comme les sinistres étendards de Clad ? Est-ce qu'elle saurait voler avec ces ailes ? Ne seront-elles pas une gêne lorsqu'elle voudra enfiler ses vêtements ? Pourra t-elle s'en servir de bouclier contre le vent et le froid ? Ne seront-elles pas un fardeau, lorsqu'elle ira se baigner dans le lac Yuta ? Ce même lac dans les abysses duquel elle sombrait lentement. Mais... le lac...

« _ Le lac Yuta... il se soulève ! »

Son murmure produisit de petites bulles qui remontèrent vers la surface en dansant. Elle se souvenait... quelques heures plus tôt...

**********

Lentement, d'un mouvement d'abord imperceptible, les eaux s'étaient agitées en effet, comme si le lac entrait en ébullition. Les flots avaient prit une teinte d'encre, qui ne présageait rien de bon.

Silence.

Où étaient l'Elfe aux longs cheveux clairs et à la peau brune qu'elle avait vu faire montre de puissance. Etait-il tombé lui aussi, écrasé par le poids de ses assaillants ? Où était Ruby, son professeur de l'eau qui forçait son respect ? Elle l'avait entre aperçue, près des murailles, et ses mouvements calmes, précis, parfaitement maîtrisés et terriblement meurtriers l'avait subjuguée. Ainsi, le contrôle de son pouvoir pouvait être à ce point destructeur ? Elle avait encore tant à apprendre... à condition que la Cité ne tombe pas...

Que deviendraient alors Rudy ? Lorelaï allait-elle vivre ?

Silence et froid.

Où étaient Sooryane, Clad, Sirènetta et Lay-Ing, son professeur de la Faune et de la Flore...? Qui allait la protéger, l'emmener loin de ce silence insupportable... Personne. Car aussi loin qu'elle se souvienne du combat, ils étaient tous figés, la bouche entre ouverte, leur souffle suspendu comme si le plus petit de leur mouvement pouvait leur être fatal... Ils étaient plus grands, plus protégés, plus armés et plus expérimentés que Coralline... et pourtant, ils avaient peur...

Car soudain, l'onde tumultueuse, grouillante, opaque, après s'être lourdement soulevée, éclatait violemment comme un volcan entre en éruption, déversant sa lave immonde de monstres sanguinaires... Des créatures dont jamais la jeune fille n'avait osé imaginer l'existence. Les épées avaient luit dans l'obscurité, le ciel s'était dardé de souillures pourpres et le lac, le joli lac Yuta n'avait plus été qu'un bourbier puant la violence et le sang.

Qu'était-elle devenue, la jeune Coralline ? Par ici... ses yeux avaient bien changés. Les dents et les poings serrées, se rendait-elle seulement compte qu'elle marchait sur les flots, à la rencontre de ses proies ridicules... de petites méduses, si l'on en croyait les corps spongieux éventrés qui jonchaient le coin de plage qu'elle venait de quitter. Pourtant, ce bras puissant qui l'avait tout à coup saisie à la gorge n'avait rien d'un appendice de méduse.

Silence, encore.

Combien de temps avait-elle lutté contre cette créature sous marine ? Elle n'en avait pas conscience. Les cours de Ruby, si difficiles à appliquer lorsqu'elle y avait assisté, s'avéraient d'une efficacité redoutable et revenaient à elle comme un réflexe de survie, dopés par l'adrénaline du combat... Sans réfléchir, Coralline avait poignardé son adversaire à l'aide du petit couteau que lui avait offert Sirènetta, usant d'une rage folle, filtrant l'eau dans ses poumons. Si la créature avait pour projet de la noyer, c'était peine perdue ! Et, bien que la petite Oréade n'était pas de taille face à un démon, elle s'acharna tout de même, bien décidée à emmener avec elle cette bête immonde... jusque dans la mort...



« _ La Cité ne doit pas tomber... » murmura de nouveau Coralline.

La tentacule monstrueuse qui lui enserrait la gorge avait glissé depuis un certain temps déjà, la créature étant vaincu. Par qui ? Par quoi ? Cela restait encore un mystère. Mais la jeune fille n'était plus étouffée et quelque chose lui ordonna de se relever et de reprendre le combat. Doucement, elle ouvrit les yeux et fut surprise de se trouver là, ensevelie de moitié dans la vase, au fond du lac Yuta. Ainsi, elle respirait sous l'eau ? Voilà qui présentait un avantage non négligeable...

Le corps meurtrit par sa mêlée au corps à corps et par quelques jours de jeûns sans sommeil, elle se redressa lentement et entreprit de nager jusqu'à la surface. En chemin, elle constata qu'elle en avait perdu son couteau et commença à paniquer. Il était évident qu'elle ne survivrait pas longtemps si elle avait à se battre à mains nues. Il lui fallait rejoindre la rive au plus vite et s'emparer d'une arme... tant de combattants étaient tombés qu'elle devinait n'avoir que l'embarras du choix. Pourtant...

Pourtant, la surface du lac Yuta était soudain redevenue calme et les êtres démoniaques semblaient avoir quittés les lieux... N'était-ce qu'un mauvais rêve ? Lorsque Coralline émergea, le coeur battant, la première chose qu'elle remarqua fut la couleur du ciel : bleue ! Et puis le silence des flots se brisa pour laisser place à celui, pesant, d'un campement dévasté par une bataille plus violente que l'avant goût auquel elle avait eu droit...

Coralline avait nagé jusqu'à la rive, tant bien que mal, entravée dans ses moindres mouvements par de violentes douleurs. Aucune partie de son corps ne semblait avoir été épargnée et c'est à bout de souffle qu'elle regagna péniblement ce qui restait du campement. Devant elle, les corps sans vie de nombreux élèves et habitants élémentalistes étaient alignés, prêts à être emportés plus loin et enterrés, avec les honneurs qui leur revenaient. Ainsi, la bataille était terminée et son voeu avait été exaucé... mais à quel prix ? La Cité, silencieuse, comme endormie, était debout et pansait doucement ses plaies. Et elle, petite fille incapable, elle n'avait été d'aucune utilité dans cette victoire.

Les larmes lui montaient aux yeux. Pourquoi, au juste, pleurait-elle ?

Une profonde tristesse, sincère, l'avait assaillie. Voir la Mort de si près n'était jamais très agréable. Pourquoi tout cela devait-il arriver ? Elle reconnu quelques visages. On ne pouvait pas dire qu'il s'agissait d'amis, mais elle s'était battue quelques heures à leurs côtés et les voir ainsi, fixer le ciel redevenu limpide de leurs yeux, eux, devenus opaques, la remplissait de désespoir. Elle était plus faible qu'eux... mais elle avait survécue. Pourquoi ? Y avait-il seulement un sens à tout cela ?

Alors qu'elle s'extirpait des flots, Coralline sentit ses jambes se dérober sous elle et tomba à genoux, sans force. Ses vêtements détrempés gênait ses mouvements et elle avait perdu un soulier. Elle remarqua en outre que ses mollets avaient prit une forme assez inquiétante... brûlés par les innombrables méduses auxquelles elle avait décidé de s'attaquer, ils présentaient de grosses boursouflures violacées qui l'élancèrent brusquement. Sans doute que l'eau avait pu apaiser ces douleurs, mais à présent qu'elle était au sec, les fesses dans le sable rougeâtre de sang séché, un mal suraigu l'envahissait, remontant le long de ses cuisses et jusqu'à son bassin. Les créatures maléfiques, aussi petites en taille soient-elles, n'étaient pas à considérer avec négligence ; c'est ce qu'appris brutalement la jeune Oréade, à ses dépens...

Il lui fallait de l'aide. Et vite. Elle hésita. Pouvait-elle décemment appeler à l'aide ? Oui. La bataille était fini, elle ne mettrait donc pas la vie de quelqu'un en danger en réclamant un peu d'attention à cet instant. Alors elle ouvrit la bouche, mais s'arrêta, inquiète. Derrière, elle avait entendu les clapotis caractéristiques des flots remuant et devina que quelque chose arrivait dans son dos. Acculée, car elle ne pouvait plus bouger, elle s'empara d'une rapière plus qu'ébréchée qui traînait à sa portée et tourna le buste, bien décidée à en découdre avec la créature qui osait la prendre en traître... Son regard s'arrêta sur une jeune femme qui n'avait pas vraiment l'allure d'un démon, mais elle resta toutefois méfiante.

« Désorientée... faire quelque chose... étudie ici... pas de crainte... » furent à peu près tout ce que Coralline pu retenir. De l'aide ?

« _ S'il vous plaît... articula t-elle en relâchant son arme de fortune, aidez-moi... »

Et d'un mouvement, elle désigna ses jambes qui ne cessaient d'enfler, arborant des couleurs noirâtres de mauvais augure.

Coralline semblait effrayée par l ‘apparition de la jeune Ondine. Celle ci crispa sa main sur la première chose près d’elle qui pourrait lui servir d’arme de fortune avant de comprendre qu’Ailis ne lui voulait aucun mal, bien au contraire. Elle marcha d’un pas décidé vers la rive, sortant peu à peu son corps de l’eau. Celui ci fit disparaître petit à petit les écailles qui recouvraient son corps et redevenir un « être humain » capable de vivre à l’air libre et de pouvoir y respirer.

Elle se rapprochait de plus en plus de la jeune nymphe qui semblait vouloir qu’on l’aide. Elle désigna ces jambes qui, à première vue, avaient été assaillies par de nombreuses méduses mécontente, appliquant leur venin sur sa peau lui procurant des brûlures à sa surface. Ailis fronça les sourcils se demandant ce qu’avait bien pu faire Coralline pour énerver ces comparses marins avant de comprendre qu’en période de chaos, tout le monde était déphasé et un geste malencontreux pouvait arrivé.

« Je vais faire ce que je peux pour apaiser tes plaies »

Sans chercher à donner plus d’explication, l’ondine replongea dans le lac, s’enfonçant au plus profond de ces abysses à la recherche d’une plante médicinale. Nageant rapidement, elle atteignit le sol recouvert de sédiment, de pierres, coquillages et plantes de toute sorte. Celle qu’elle cherchait étaient une algue qui se multipliait dans les profondeurs. Elle n’eut pas à la chercher longtemps, ayant une couleur orangée reconnaissable et de grandes « feuilles » qui pouvait atteindre plus d’un mètre. Elle en prit deux morceaux avant de remonter rapidement. Elle regagna la terre ferme avant d’appliquer les algues sur les brûlures de Coralline.

Ailis, trop occupée à essayer d’aider la nymphe, n’avait pas encore prêter attention aux nombreux corps sans vie gisant sur le sol marécageux. Elle appliqua délicatement les plantes sur les jambes de Coralline observant peu à peu les plaies se résorber et sa peau devenir moins rouge. Tout ce qu’elle trouva à faire fut de sourire heureuse d’avoir réussit la tâche qu’on lui avait confier inconsciemment.

« Ca va aller »

* oui ca va aller*

Se répétait elle sans cesse alors qu’elle se remémorait la peur qu’elle avait eut lorsque la bataille fit rage. N’ayant que peu de courage, elle était restée cacher. Ce qu’elle souhaitait le plus actuellement, c’était de racheter sa faute en aidant un grand nombre d’individus. Elle préféra s’asseoir un instant, ces jambes tremblotant légèrement sous l’effort qu’elle avait effectuée alors qu’elle n’avait pas mangé depuis plusieurs jours. Mais son corps, loin d’être squelettique, ne laissait apparaître aucun signe.

C'est par un heureux hasard que Lorelaï passait par là. Elle revenait de l'animalerie, portant un filet à provisions dans lequel se trouvait ses achats, tous pour son cher Rudy. Le filet contenait de la nourriture, des gâteries et une nouvelle brosse pour son écureuil roux. Il trottait d'ailleurs joyeusement tout près de sa maîtresse qui lui parlait gentiment, comme elle aurait parlé à un enfant.

Elle se rapprochait du Lac lorsqu'elle surprit une conversation et y reconnut la voix de Coralline, au ton de sa voix, elle sentit qu'il était arrivé quelque chose de grave et que son amie était souffrante. Elle se précipita vers les voix, et les trouva facilement. Elle laissa tomber son filet par terre et s'agenouilla près de Coralline et d'une inconnue qui l'aidait.

" Bonjour, je suis Lorelaï, une amie de Coralline, et aussi le médecin de la Cité... que s'est-il passé? "

Remarquant ses jambes gonflés, elle ajouta:

" Ca va prendre des sangsues pour retirer le poison dans ses jambes... "

Elle se mit aussitôt à soulever les pierres, là ou se cachent ses bestioles.

" Aidez-moi à en trouver!"

Chaque fois qu'elle trouvait une bestiole, elle la pincait entre ses doigts et la déposait sur les jambes de Coralline:

"Fais attention qu'elle ne te suce pas toi, prend-les délicatement entre le pouce et l'index!"

À mesure que les sangsues absorbaient le poison, elles mourraient et il fallait les remplacer. L'ancienne infirmière travaillait rapidement, et avec efficacité pour sauver son amie.

" Qu'est-ce qui t'a amené ici, Coral? Explique-moi."

Elle se doutait que sa copine ne s'était pas jeté dans le Lac par pure plaisir... surtout sachant la mésaventure qu'elle y avait vécu et qui avait mené à leur rencontre, et à la naissance d'une belle amitié.

La jeune fille observait la nouvelle venue avec lassitude, épuisée. Elle venait de remarquer ses écailles, qui disparaissaient à mesure qu'elle quittait le lac... Sans doute faisait-elle partie de la famille des Ondines. Avec les nombreuses recherches qu'elle avait faites pour trouver sa propre race d'origine, Coralline avait fini par connaître les particularités de chacune d'elles par coeur. Les Ondines, en effet, avait ces écailles et ces nageoires qui leur poussaient sur le corps, dès lors qu'elles entraient en contact avec leur élément naturel... Mais déjà, Ailis repartait, replongeant dans les flots sombres du lac Yuta. Et durant tout le temps où la petite Oréade resta seule, elle se revît, accoudée au bureau de chêne massif de la bibliothèque, rayant sur sa liste les races auxquelles elle estimait de pas appartenir.

Elle avait ainsi barré les plus faciles à éliminer, comme les Centaures, au corps somptueux d'équidés, les Anges avec leurs ailes diaphanes ou, au contraire, anthracites, les Sirènes avec leurs queues de poisson, les Elfes et leurs oreilles effilées et bien d'autres créatures dont les particularités physiques, flagrantes, n'apparaissaient pas chez elle. Ensuite, elle s'était attaqué à des races moins faciles à différencier, comme les Halflings ou toutes la famille des Nymphes. Et puis elle avait estimé que, si les Nymphes se débarrassaient de leurs enfants mâles, elles n'avaient en revanche aucune raison d'abandonner leurs petites filles... et elle avait rayé Ondines comme Oréades de sa liste, constatant avec dépit que plus aucune créature n'avait survécu à ses coups de crayons éliminatoires...

Quelle importance, en vérité ? L'important, n'était-ce pas ce qu'elle allait devenir à partir d'aujourd'hui ? Avait-elle réellement besoin de connaître ses origines pour avoir une identité ? Après tout, elle le comprenait à présent, elle n'avait nullement besoin de savoir pourquoi et par qui elle avait été délaissée à sa naissance... L'essentiel étant qu'elle avait survécu. Certes, elle avait été rejetée de nouveau, par ses parents de substitution par la suite, mais. Mais ? Cela voulait sans aucun doute dire qu'elle devrait vivre seule. Ruby, dans son dernier cours, avait mentionné cette solitude... Et Ruby étant un modèle pour Coralline, elle buvait ses paroles comme Ambroisie. Si les exercices aqua se réussissaient seule, alors une aqua se devait d'être seule. Preuve en était que le destin mettait tout en oeuvre pour la séparer de ceux qu'elle aimait...

« J'espère que Lorelaï va bien... » se surprit à penser la jeune fille, mettant un terme à son introspection. Elle qui tentait de se persuader qu'elle devait être solitaire... Son amie lui manquait, elle espérait de tout son coeur que son infirmière préférée n'ai pas eu à affronter cette bataille et, pire encore, elle priait pour que Rudy, resté dans sa chambre, ai survécu. Car Lorelaï ne pardonnerait jamais une telle trahison, consistant à laisser mourir l'animal dont elle avait laissé la garde à une... amie... « Mon dieu, Rudy... » priait-elle intérieurement en fermant les yeux. Les bateaux dortoirs étaient-ils seulement restés à flot après ces combats horribles ?

Un souffle de vent la fit frémir. Elle avait froid, faim, mal. Coralline cru que la jeune Ondine l'avait laissée tomber et tenta de se relever, mais soudain, Ailis refit surface, manifestement épuisée, quelque chose ressemblant à des algues entre les mains. Algues qu'elle appliqua avec mille précautions sur les brûlures noirâtres de la petite Oréade. Ailis eut quelques mots de réconforts qui réchauffèrent effectivement le coeur de Coralline, même si elle hésita sur la personne à qui ces paroles étaient destinées. Mais finalement, elle opta pour « la situation ». Oui, « ça » allait aller. « La situation » allait s'arranger, même si Coralline ne voyait pas trop comment. Au moins, elle n'était pas seule. Décidément, comme quoi !

Et puis... et puis un bruit de pas précipités attira son attention, sans qu'elle ai la force toutefois de tourner la tête. Un bruit mat lui indiqua qu'un objet était tombé tout près et une nouvelle fois, la jeune fille chercha une arme par réflexe. Mais son regard tomba sur un visage familier, un visage qu'elle n'espérait pas voir aussi tôt. Soulagée, elle réussi à esquisser un semblant de sourire :

« _Lorelaï ! » dit-elle simplement.

Mais sa voix avait du être trop faible, trop lointaine, car Lorelaï reprenait de plus belle, avec ce ton déterminé et sûr d'elle qu'elle avait lorsqu'elle devait agir dans l'urgence. Cette confiance en soi, c'est en partie ce qu'admirait son amie. Elle se laissa donc soigner et fit exactement ce que l'infirmière lui ordonnait, se saisissant de ces sales bestioles gluantes qui lui glissaient entre les doigts. Elle s'appliquait plus pour satisfaire Lorelaï que pour sauver sa propre vie et elle oublia, aussi simplement que froidement, que Ailis était là, qu'elle l'aidait aussi, et qu'elle méritait sans-doute un peu plus d'égards de sa part.

« _J'ai entendu un discours... ils disaient qu'il fallait protéger Elament... » commença t-elle à demi voix.

« ... et protéger Elament, c'était en protéger les habitants et les amitiés qui y étaient nées... dont la nôtre... » continua t-elle intérieurement en posant un regard bigrement soulagé sur Rudy. Le poison se dissipait lentement, mais déjà, ses idées devinrent moins floues et elle sursauta soudain en sentant le contact des mains de Ailis sur sa peau.

« _Ca va aller mieux maintenant. S'il te plaît, occupe-toi d'elle, elle semble fatiguée... » dit-elle en faisant un signe de tête en direction de l'Ondine.

Elle avait déjà vécu cette situation... c'était quand déjà ? Après un cours sur la Faune et la Flore, avec Lay-Ing, son professeur... Elle en avait pris pour plusieurs semaines d'infirmerie ce jour là et elle avait demandé à Lorelaï de s'occuper en priorité de la jeune Ange aux ailes d'Ebène. Non, ce n'était pas spécialement de la générosité... disons que plus vite elle était débarrassée des autres, plus vite elle pouvait profiter de Lorelaï pour elle seule...

Lorelaï agissait rapidement et précisément, il ne fallait pas que le poison se répande et gagne les organes vitaux. Tout en continuant le "traitement" elle pensait:

* Comment fait cette gamine pour toujours se retrouver en danger de mort... *

Puis:

* S'il te plait, elle ne doit par mourir... elle est la seule amie fidèle que j'aie ici... *

Bien que Lorelaï vive une relation ambigue avec Archaël, elle comptait Coralline comme son amie la plus proche. Et puis, elle avait une nouvelle important à annoncer à Coralline... et elle voulait la lui annoncer en priorité... elle ne pouvait pas partir avant de savoir ce qu'elle avait vécu durant son voyage avec l'Ange.

Peu à peu, son amie semblait revenir à elle, son regard s'éclaircissant. Elle vit que les sangsues cessaient de tomber une à une et sut que le poison avait été retiré en entier.

" C'est bon... on a réussi... il n'y a plus de poison...la menace est écartée une fois de plus...Oh Coralline... quand cesseras-tu de me terroriser de la sorte?"

Rudy vint frotter le bout de son nez rose sur celui de Coralline:

" Je crois qu'il veut dire: "et qui prendra soin de moi en l'absence de ma maîtresse?"

Lorelaï s'apercut qu'elle avait négligé Ailis et lui prit les mains dans les siennes, les serra très fort, en souriant, les yeux emplis de gratitude:

"Merci pour ton coup de main, tu as été très efficace et avec ton aide, on a pu la sauver."

L’alchimie entre les deux amies étaient évidentes à ces yeux. Comment n’aurait elle pu le remarquer ? Elle s’était assise sur ce qui semblait être du sable. Elle dégagea ces cheveux pour avoir moins chaud, ceux ci protégeant sa nuque du vent frais qui soufflait vers le nord. Elle laissa son esprit vagabonder se remémorant avec horreur ce qu’elle avait eut l’occasion de voir même si elle restait caché derrière un grand rocher gris, bien en sécurité dans son élément, l’eau. Ces pupilles changeait de couleurs, devenant plus foncée lorsqu’elle était perdue dans ces pensées. A quoi cela servait il de se remémorer pareils moments ? peut être à cause des remords qu’elle éprouvait ? pourquoi n’avait elle pas participer ? pourquoi était elle restait caché pendant que d’autres plus courageux, donné leur vie pour sauver la cité ? Elle garderait toujours en mémoire sa lâcheté, elle devra vivre avec les rescapé d’Elament, tout en sachant qu’ils auront des marques de guerres et qu’elle non. Alors faudrait il qu’elle se range du côté des démons ? Non elle n’aurait jamais pu faire de mal à qui que ce soit. Mais qu’importe, elle ne méritait pas d’attention particulière, pas de gentillesse de la part du médecin de la cité. Elle devrait guérir seule. C’était la punition qu’elle s’infligé. Alors elle leva son visage pour regarder celui de Lorelaï prête à répondre à ces propos.

« Ce n’est rien. Si j’ai pu l’aider c’est une bonne chose »

* J’aurais au moins fait une bonne action*

« Mais je ne pratiquement rien fait c’est grâce à toi si elle s’en ait sortit »

Elle n’osa rien dire de plus. Elle adressa un sourire à Coralline voyant que son rétablissement était proche et que la vie de celle ci n’était plus en danger. Puis elle reporta son attention vers le paysage qu’elle avait devant elle. Le soleil se couchait doucement sur l’eau, rougeoyant, il fournissait ces derniers rayons avant de s’éteindre laissant place à la lumière de la lune, plus froide mais plus douce, le paysage dévasté était cachait par l’obscurité. Elle fixait le reflets de la lune sur l’eu comme si celui ci l’hypnotisé et qu’une petite voix lui disait qu’elle était pardonnée. Mais au final, rien n’aurait pu l’aider à aller mieux. D’ailleurs, aurait elle eut la force de retourner à Elament ? Dans quel état retrouverait elle la belle cité ? Les démons ne foulaient plus ces terres c’est en tout cas ce qu’elle croyait.

Et bizarrement, cette alchimie c'était amorcée depuis ici, le lac Yuta, quelques mois auparavant. Il était vrai que Coralline avait une prédisposition toute particulière à se mettre dans des situations pas possibles et dangereuses, la majorité du temps. Si Lorelaï n'était pas devenue son amie ce jour là, sans-doute le serait-elle devenue à force de voir, dans son infirmerie, la petite Oréade à moitié morte au moins une fois par mois ! Non, elle ne le faisait pas exprès... c'était bien ça le pire ! A avoir été trop longtemps choyé, couvé même par ses parents adoptifs, elle n'appréhendait que difficilement la part de danger des évènements qui se présentaient à elle. Ca, c'était la version officielle...

En réalité, depuis son premier cours avec Ruby, quelque chose avait changé en elle. Une sorte de violence latente, de colère l'assaillait parfois et lui faisait faire des choses insensées, comme penser sérieusement combattre contre une armée de démons, par exemple. Elle voulait en découdre avec tout ce qui la menaçait, au risque d'y laisser sa vie et par conséquent, se retrouvait souvent à l'infirmerie avec des traumatismes en tous genres ou du poison plein les jambes... faisant trembler de peur la seule amie durable qu'elle avait à Elament.

« _ Excuse-moi Lorelaï... » dit-elle.

Elle caressa la tête de Rudy, sans réellement prêter attention à l'aveu dissimulé de son amie. Lorelaï s'absentait parfois, pour son travail et Coralline avait alors la garde du petit écureuil au pelage d'automne. L'infirmière y tenait comme à la prunelle de ses yeux et la jeune Ondine en prenait le plus grand soin... quand elle ne s'embringuait pas dans une bataille de titan à l'improviste...

Ailis semblait rassurée et beaucoup plus détendue qu'il y a quelques minutes. Elle n'avait pas l'air de souffrir de quelconque blessure... Que faisait-elle dans les profondeurs du Lac si longtemps après la bataille ? Une baignade raffraîchissante ? Cela semblait peu probable, à moins d'aimer les plages de poussières humaines en guise de plage de sable... et tout à coup, Coralline trouva cette jeune fille suspecte. Son comportement avait pourtant été louable et elle avait aidé la jeune fille, mais pour une raison inconnue, elle s'en défiait à présent et son regard reconnaissant devint brusquement aussi froid que la glace...

Une goutte... puis deux... et il se mit à pleuvoir, d'abord doucement, puis en trombe, comme si le ciel, pourtant clair, pleurait les morts de la Cité (ou de l'autre camp, allez savoir). Coralline pris appui dans le sable et se releva, chancelant sur ses jambes encore gonflées, mais surtout rougies par les nombreuses succion des sangsues.

« _ Je dois retourner à mon dortoir ! »

Elle avait dit cela d'un ton presque effaré, se souvenant brutalement que dans sa chambre, elle avait non seulement laissé Rudy... mais aussi le lapereau blanc ! Cette petite bête qu'elle avait trouvé au parc Xéna, malade et mal en point et qu'elle avait souhaité garder, comme s'il s'agissait d'un animal de compagnie. La gérante de l'animalerie lui avait alors prescrit un traitement de quelques jours... mais Coralline était partie sur le front et elle ne réalisait que trop tard à quel point son inconscience et son irresponsabilité pouvaient avoir de conséquences dramatiques.