Narcisse, en déboulant sur les rives du lac sous le regard de la lune voilé par les nuages, qui éclairait leurs pas par intermittance, fut prit de panique. En effet, nul ne le savait dans la cité car il n'y connaissait que très peu de monde, cependant même chez lui tous l'ignoraient: il avait peur du noir. Un frisson lui parcourut l'échine. Une peur insidieuse, lente, mais certaine s'emparait de lui, au départ ruisseau d'anxiété se déversant sur son coeur glacé pour finir torrent d'angoisse inondant ses veines frénétiquement emplies d'un sang tourmenté, et noyant son esprit dans une sombre chape de terreur, ne laissant place qu'à l'instinct. Celui-ci réagissait à chaque craquellement de feuille morte sous les pieds de Lailath, chaque ombre devenait la source d'une nouvelle hantise formée dans son imaginaire ; loups, assassins, goules, nécromanciens, démons prenaient vie dans l'esprit de Narcisse, formés dans le noir ambiant, terrorisant le jeune ange nonobstant l'insubstantialité de leur origine. Le noir étouffait tout, recouvrait tout, il ferma les yeux malgré lui et se retrouva encore plus plongé dans l'ombre, pris au piège. Il ouvrit les yeux, il faisait toujours noir, les horreurs qu'il imaginait demeuraient aussi présentes dans sa tête.
Un nuage passa, découvrant la lune. Il vit le lac, et devant lui, assise au sol, Lailath. Ses yeux scintillaient à la lumière étherée, pendant une seconde il ne vit que deux éclats mauves qui vinrent le tirer de l'angoisse produite par les ténèbres environnants. Son coeur stoppa. Il écarquilla les yeux. Les visage de la jeune dryade, teinté de la paleur nocturne émise par la lune, lui soutira un soupir et un frisson lui remonta le long de la colonne vertebrale. Il se sentit en sécurité, face à la forme de beauté la plus pure qu'il avait jamais rencontré, il contempla un instant le sourire innocent, la douce complicité. Elle n'avait pas lu la peur résidant en ses yeux quelques moments plus tôt, car en se tournant vers lui, toute anxiété s'était dissolue dans son âme, bannie par la caresse salvatrice de son regard.
A la question de la jeune femme, Narcisse prit quelques secondes avant de s'éveiller de sa contemplation admirative. Magnifique? Certes, elle l'était. Jamais telle beauté n'était apparue aux yeux du jeune homme.
Heu, oui, superbe... Le noir me met cependant un peu mal à l'aise d'habitude...
Il s'assit aux côtés de Lailath, plongeant son regard dans le mauve envoûtant de ses yeux, son regard si déroutant en temps normal ne le dérangeait pas cette fois, au contraire, il le cherchait, ressentait plus que le désir, mais le besoin de le trouver, ça lui était désormais indeispensable ; il s'enivrait de s'émerveiller dans la profondeur de ces lueurs lorsque la Lune disparaissait derrière un obscur rideau brumeux, et d'être fasciné par les traits grâcieux de son visage, la délicatesse de chaque mouvement qu'elle esquissait, la douce harmonie de la sonorité de chaque parole prononcée par Lailath, lorsque la lumière revenait sur le rivage.
Il sentit son coeur frénétique dans sa poitrine, comme aspirant à se sentir contre elle, l'enlacer pour la rapprocher encore plus, la serrer pour ne jamais la laisser repartir.