C'était... Une belle journée. Indubitablement. Et le deuxième jour d'Aisling dans la cité.
Son deuxième jour seulement ! Et pourtant déjà tant de merveilles lui avaient été révélées. Des merveilles architecturales et humaines... Elle savait déjà que son avenir était ici, à Elament, et pas ailleurs. Comme si la Cité l'avait attendue pendant tout ce temps.
Ce qui n'était pas le cas bien sûr. La Cité avait été envahie, corrompue, construite, re-construite, et était passée parmi tous les états possibles pour une ville. Période florissante, décadence, ruines et reconstruction. Aisling espérait voir un âge d'or d'Elament fleurir à nouveau. Ce n'était pas impossible, après tout. On pouvait voir l'apanage ancestral de la Cité, presque partout, dans la hauteur de ses habitations, dans ses ruelles sombres mais surtout en son cœur, où se trouvait l'école. Les gens étaient de retour. Et son inscription à l'école la veille... Ç'avait été comme une aide muette. Du moins, elle l'espérait.
Tout au long de son périple jusqu'à Elament, elle avait planifié chaque chose qu'elle ferait, tout ses projets, toutes ses idées. Fidèle à elle-même, Aisling avait tout organisé à la minutes près. Il y avait cependant eu un imprévu : sa propre condition. En effet, dès son arrivée, elle n'avait pu s'empêcher de se sentir un peu (mais vraiment un peu!) apeurée. Les ténèbres des grands bâtiments, l'omniprésence des cicatrices, du sang et des cendres... Qu'elle avait pourtant tenté de cacher à sa vue.
Aisling se baladait. Elle cherchait un endroit calme et naturel, où elle pourrait s'exercer à son pouvoir sans crainte d'être dérangée. Après tout, n'était-elle pas venue pour s'instruire ? C'était sa vocation principale, et sûrement la seule à ce jour.
La nymphe marchait lentement, comme à son habitude, de cette démarche si caractéristique des sylphes. Son regard d'améthyste céleste, hautain et perçant, scrutait les alentours. Il parcourait les façades, se perdait sur les échoppes, s'immisçait dans les tavernes presque vides à cette heure. Aisling aimait cette période de la journée. Le matin. À l'heure où le soleil commence tout juste son ascension, où l'humidité de la nuit est presque palpable.
Il n'y avait pas de vent. Et dans le ciel encore rosé, seulement quelques nuages qui ne noircissaient en rien le tableau. L'air que respirait la nymphe était frais. Inspiration, expiration. Il remplissait les poumons, revigorait. Inspiration, expiration. Au fur et à mesure, sa cage thoracique se soulevait, au milieu de son corps presque frêle. Son vêtement, une simple tunique violet pâle à liserais noirs, cintrée, ne semblait avoir comme utilité que de souligner sa poitrine menue, et la finesse de sa taille et ses cuisses. C'était un habit confortable, ample, de très bonne facture, qu'elle avait obtenu, non sans quelques négociations et échanges, d'un marchand sur le parvis de l'école, la veille. C'était donc la seule chose qui la couvrait actuellement. Aisling ne portait ni chaussures ni parures ; elle n'en n'avait ni le besoin ni l'envie.
Elle avait coiffé ses cheveux sur le côté, sur son épaule, en une longue tresse blanche, comme parfois, comme souvent. Ses mains s'y baladaient, feignant la décontraction. Perdue dans ses pensées, elle ne voyait rien d'autre que la ville, l'avenir et elle-même.
Et ses pas la conduisirent à l'endroit... Presque rêvé.
Une étendue encore marquée par les stigmates de la guerre, mais qui reprenait des couleurs. Ci et là, la nature, l'herbe, étaient sauvages et verdoyantes.
Aisling marcha, fit quelques pas pleins d'assurance (de toute évidence). Ses pieds nus rencontraient l'humus, qui semblait porter en son sein de nombreuses contradictions ; à la fois sali et pur, à la fois détenteur de vie et de mort. Des choses s'étaient passées ici. Comme un peu partout dans les environs.
Mais qu'en savait-elle ?
Elle le sentait. Et regrettait peut être de ne pas être venue avant pour le voir et le vivre. Ç'avait dû être une période sinistre et sombre, mais Elament en avait peut-être tirée une force. Une forme de résistance. Elle le sentait. Mais encore une fois, elle se sentait ignorante sur le sujet. Et elle n'appréciait pas cette sensation désagréable et angoissante.
Ses pas la menèrent non loin d'un lac, le fameux dont on lui avait déjà parlé. Le lac... Yuka ? Non ! Yuta ! C'était dont ça, le lac Yuta, une étendue céruléenne pleine de clarté comme une lueur d'espoir. Aisling s'éloigna un peu, trouva un arbre et s'assit à son pied en tailleur. Elle pouvait enfin être tranquille.
Peu à peu, en se concentrant, la nymphe aérienne parvint à générer une brise, et en gérer l'intensité. Presque grossièrement, mais avec aisance désormais. Cependant, c'était là sa limite : et c'est là qu'interviendrait probablement Vila, professeure de l'Air. C'était là sa seule limite et elle le sentait. Les idées ne lui manquaient pas sur la façon d'utiliser son pouvoir, mais il lui fallait de l'aide.
Un bruit aux alentours se fit entendre, comme des feuilles séchées, écrasées par la lourdeur nonchalante de pas, brisant la concentration mentale lentement édifiée par Aisling. La nymphe eut un sursaut, ouvrant grands les yeux. Fronçant les sourcils, mordant ses lèvres rosées, elle tourna sa tête, à gauche et à droite, et même derrière l'arbre. Elle soupira, lourdement, de manière à bien se faire entendre.
" - Qui est là ?! Enchantée, illustre inconnu !"
Mais parfois, la nymphe, poussée par l'exaspération, se sentait d'une inconscience (ou d'un courage ?) presque divine.
Dans la foulée, elle soupira bruyamment une nouvelle fois.